Paola Barbato : « À mains nues »
Ce gros bouquin révèle ce qu’il y a de pire en nous.
Partons du principe que nous avons tous en nous une part innommable de perversité et de volonté de domination. Affirmons qu’il n’y a pas de monstres d’un côté de braves gens de l’autre mais que nous sommes toutes et tous de possibles prédateurs et d’horribles salops. Or, ce que Paola Barbato fait vivre au lecteur dans cette plongée insoutenable de 480 pages, c’est l’horreur absolue, certes, mais surtout le plaisir de s’y confronter, de s’en émoustiller gratuitement, de se faire plaisir à peu de frais. Je parle bien de la chanson de Ferrat : Les belles étrangères 1°.
Là, on nous gave de combats à mort entre jeunes esclaves que l’on a dressés à tuer comme des animaux de combat pour le plus grand plaisir des riches spectateurs clients de la mafia. Ils ne se sentent plus bander qu’en voyant des « chiens humains » mourir sous leurs yeux et des jeunes filles violées, sodomisées, étranglées dans des « snuff movies » 2°.
Mais qui sont ces spectateurs si ce n’est le lecteur lui même ?
Alors bien sûr Paola Barbato nous donne un petit prétexte à continuer une lecture aussi immonde : celle de l’analyse psychologique entre le maître et l’esclave. La domination désirée. Le jeune Davide qui devient redevable à l’organisateur de son enlèvement et de son dressage. Elle nous assène : On ne nait pas assassin, on le devient. Sous entendant bien sûr que c’est finalement ce que tout le monde désire : être dominé et aimer son maître plus que lui même.
J’ai été jusqu’au bout de ce livre dégoûtant de sang, de glaire, de sperme, de tripes, de cervelle, de plaintes, de supplications, d’agonies et surtout d’inhumanité. Mais ce fut à mon corps défendant. Et je ne dévoilerais pas la fin car il n’y en a pas. 3°
Il me confirme bien que ce genre de littérature de gare ne sert à rien.
L’horreur journalière des informations du monde me suffit. Nous n’avons pas besoin qu’on y rajoute encore plus de crimes, encore plus de serial killers, encore plus de souffrances et d’humiliations.
Quelques extraits ?
Page 368 : Sur le monde extérieur à leur prison :
Ici, dit-il avec une grimace de dégoût, il n’ y a ni règles, ni éthique, ni morale. Juste une masse d’hypocrites qui agissent comme des moutons, tous derrière le premier qui part, tous à avoir les idées de quelqu’un d’autre.
– Ils ne sont pas tous comme ça.
– Ils le sont pour nous. Que penses-tu pouvoir leur donner, Mirco ? Et eux, que peuvent-ils te donner ? Penses-tu que quelqu’un s’intéresse vraiment à qui tu es. Crois-tu vraiment que les gens dehors soient différents de ceux de la Garganella ? Ils font la même chose. De façon différente bien sûr, mais la substance est la même.
Page 376 : sur l’art de tuer :
Cela a d’abord été un métier, un métier comme les autres. Plus tard c’est devenu un art. Le truc c’est de cesser de penser à eux comme des personnes. Il faut réussir à les décomposer, séparer les différents éléments. Les mots, les plaintes, que sont-ils ? Ce ne sont que des sons. De même que les larmes ne sont que de l’eau et le corps n’est que de la chair. Des choses, tu comprends ? Ils deviennent des choses. Tuer une chose ce n’est pas tuer, c’est juste faire un trou dedans. 4°
Notes
1°
Les belles étrangères
Qui vont aux corridas
Et qui se pâment d’aise
Devant la muleta
Les belles étrangères
Sous leur chapeau huppé
Ont le teint qui s’altère
A l’heure de l’épée
2° Le snuff movie (ou snuff film) est un film mettant en scène la torture et le meurtre d’une ou plusieurs personnes. Dans ces films clandestins, la victime est censée ne pas être un acteur mais une personne véritablement assassinée. (Wikipédia)
3° Je promets que s’il y en avait une qui soit digne de ce nom je la donnerais rien que pour dissuader de continuer une descente dans ces égoûts putrides.
4° Les SS parlaient des déportés et des juifs comme des stucks, des « morceaux ». Paola Barbato en reprend bien le terme !
Caillou le 11 juillet 2015