Archives de catégorie : Photographie et Dessin

Le vaurais ou pays de cocagne

pigeonnier2

C’est dans le calme d’un jardin
sur les coteaux, près de Lavaur*
et dans la fraîcheur d’un matin,
que m’a parlé le pigeonnier.

Il est comme le gardien du lieu
et sur le flanc de la colline
bien plus vieux que la maison même
il est l’éperon qui domine.

Si tous les oiseaux l’ont quitté
partis vers d’autres paysages
il reste là, comme déserté
peut-être comme un témoignage.

En dessous c’est un potager
tout en pente qu’un chemin parcoure
avant les grandes chaleurs du jour
quand les fleurs aiment la rosée.

Et sur le côté un grand arbre
un Paulownia, quel nom bizarre !
donne de l’ombre à cette tour
de brique, de tuiles… Et de passé.

Caillou, le 7 août 2008

*le Vaurais

Derrière les murs des prisons

cerclecapitole

Derrière les murs des prisons
Mon pays retient des enfants
Leurs noms sont durs à prononcer
Ce sont les enfants étrangers

Sur les feuilles des ordinateurs
Mon pays construit des fichiers*
Il veut pouvoir tout contrôler
Comme s’il pouvait retenir l’heure.

Cherchant partout, tapette à mouche
Mon pays massacre les fleurs
Cognant les chaises, la cheminée
dessus, dessous, comme un damné.

Dehors, en cercles de silence
La rose et le réséda*
S’unissent et disent qu’ils ne prennent pas
Le chemin de ce pays la !

Caillou, 4 août 2008
* Edvige
http://souriez.info/EDVIGE-un-fichier-totalement-hors-la-loi

* Aragon : « la rose et le réséda » sur l’unité entre Catholiques et Communistes dans la Résistance française.

Jeux d’écriture (suite)

C’est un jeu! (Auquel vous pouvez participer… en envoyant vos propres mots ou en proposant vos textes sur les mots des autres…) Claire, qui a un superbe blog: http://entre.nuage.et.pluie.over-blog.org/, m’envoie ses mots (10) et je lui envoie les miens… Cela donne des textes ou des poèmes.

Sur les 10 derniers mots: diabolo-menthe, lit d’hôpital, travail salarié, être en retard, lacets, manger, détour, aisselles, arbres, se lever

Caillou: Le plus mauvais des tours !

bol2

Mais qu’est ce que j’air con dans ce bol ridicule.
Et dire qu’en mai dernier, suite à une petite annonce, on m’avait proposé un petit boulot salarié, peinard, un été à l’air libre ! Le cravaté derrière son bureau dans la tour de la Défense qui me disait: « Nous vous proposons un voyage en quad pour la période du Tour de France. Vous serez logé nourri blanchi et payé » Et me voilà deux mois plus tard, déguisé en jaune, nageant dans la chicorée, en compagnie d’une petite cuillère ! Et cette connerie va durer trois semaines !
Le plus stupide c’est le rétroviseur qu’ils m’ont collé tout en hauteur… Il me faut faire très attention. Car je roule entre deux haies de spectateurs qui se pressent sur les côtés et qui hurlent en attendant qu’on leur jette des cadeaux publicitaires. La moindre erreur et j’en envoie un sur un lit d’hôpital ! D’autant qu‘à force d’attendre en plein soleil, ils ne boivent pas que des diabolos menthe ! Je te les vois tous avec les cannettes à la main. Cela picole sec sur le bord de la route. Le passage des vrais coureurs c’est dans deux heures ! Dans quel état seront les amateurs de la petite reine au passage du peloton ?

 

pneu

Et merde ! Je suis en retard. Y’a Georges qui va me rattraper et on va encore se faire engueuler ! Georges roule derrière moi, déguisé en pneu. Je le connais bien car c’est le fiancé de ma sœur. C’est moi qui l’ai fait embaucher, et nous partageons la même chambre d’hôtel. Il est bien gentil, mais qu’est ce qu’il fouette. Il a des broussailles, des vrais arbres sous les aisselles et avec tous ces kilomètres à rouler à 50 à l’heure le soir il pue carrément. Et puis, le matin, il a du mal à se lever. À chaque fois il faut que le secoue. Et ensuite, toute la journée, j’ai peur qu’il ne s’endorme et me rentre dans le cul !

lcl

Tout à l’heure on va attaquer la montagne. Il va y avoir plein de lacets et comme mon futur beau-frère mange toujours beaucoup trop à midi, j’espère aussi qu’il ne dégueulera pas. Derrière lui c’est la bagnole jaune de la L.C.L. J’imagine la tronche du coureur qu’ils ont placé dessus maculée de vomi. C’est Le Crédit Lyonnais qui sera content. Oui je sais, ils ne s’appellent plus comme ça depuis leur faillite de 1993, le plus gros scandale financier en France depuis l’affaire du canal de Panama ! La banque a été renfloués par les finances publiques ! Ensuite ils ont changé de nom, je crois que L.C.L. cela signifie « Les Corrompus Libéraux ». Et c’est eux qui nous payent ! Et bien vivement Paris et les Champs-Élysées parce que j’en ai ras le bol de leur Tour de France! Et Ras le bol c’est bien le cas de le dire !

Caillou, 19 juillet 2008.

Claire: Sevrage.

Encore une fois j’allais être en retard, comme si, quand on a un travail salarié on pouvait se le permettre. Au restau, c’est pas moi le patron, pas moyen qu’elle comprenne ça. Alors elle accélère. Elle fait le détour par la route sinueuse, elle sait bien que j’ai horreur de ça, tous ces lacets qui nous balancent un coup trop près du vide, un coup frôlant les arbres. Sur, à ce rythme là, on va finir sur un lit d’hôpital, ou pire…
-Pas si vite!
-Faut savoir ce que tu veux, t’as peur d’être à labour ou de tomber dans le fossé?
-les deux, mon coeur, les deux…
-oui, t’as peur de tout tout’ façon, alors… autant que je fasse c’que je veux!
-oui mon coeur, tu as raison.
-et m’appelle pas mon coeur!! accroche plutôt le tien ça tourne, t’as rien mangé j’espère!!

C’est plus sa rebuffade qui me fait transpirer que la peur, depuis quelques temps elle me rabroue sans cesse, je ne sais plus quoi dire, quoi faire. Je ne la reconnais plus, même son odeur a changée. Si je me fais tout petit, elle me traite de pleutre, mais dès que je l’ouvre… elle me la ferme. Après tout… elle n’a qu’à y foncer dans les arbres, mais pas nous râter alors…

On arrive, sains et saufs, enfin saufs, parce que sains… mon patron va encore me reprocher mon odeur d’aisselles, j’y peux rien, ça ne m’arrivait pas avant, mais maintenant, dès que je suis contrarié, je transpire. C’est vrai que c’est gênant pour les clients. Ils commandent, distingués, un diabolo-menthe et le serveur empeste comme un forçat.

C’est chaque matin plus dur de me lever pour affronter cette vie, ma douce qui s’est muée en furie sans que je comprenne comment.
-Si c’est le trajet votre problème, me dit le patron, j’ai une petite maison au bout du lac, les locataires l’ont laissée récemment, vous pouvez y loger, gratuitement, du moment que vous faites votre boulot correctement… et proprement.

J’ai accepté, elle n’a pas dit non. Peut être que ça l’arrange après tout, peut être qu’elle a un amant? Je la rejoints mes jours de congés, qui sont pour elle travaillés. Seul à la maison, je range le bazar, je fais le ménage qu’elle ne fait plus. Elle apprécie, me regarde autrement, peu à peu se radoucit. Puis un jour, en me reconduisant au travail très calmement elle me dit: « C’était vraiment une très bonne idée que tu as eue, de prendre un peu de large pendant qu’on essayait tous les deux d’arrêter de fumer. »

Claire, 17-18 juillet 2008

Child with a Toy Hand Grenad in Central Park.

Diane Arbus
Le garçon à la grenade factice dans Central Park.
1962

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Cette photographie a été réalisée par Diane Arbus.

Diane (Némérov) Arbus est né en 1923 dans une riche famille juive de New York. Les Russek/Némérov sont des marchands de fourrure et ils ont plusieurs magasins de mode. Ils habitent Park Avenue donc tout près de Central Park.
Elle suit des études d’art plastiques. Son peintre préféré est Georges Grosz.
Pour Diane, la réalité n’était jamais qu’un fantasme.
Contre l’avis de ses parents, elle épouse, dès 18 ans, Allan Arbus, en 1941.
Celui-ci apprend la photographie à l’armée et, à son retour de la guerre, ils ouvrent en 1946, un studio de photo de mode, dans les locaux de ses parents. Les débuts sont difficiles. Le couple Arbus fonctionne en symbiose. Ils ont deux enfants. Leurs photos sont faites à la chambre 20×25. Les Arbus ont le choix des décors, de la pose. Ce ne sont pas que des exécutants. Diane est plutôt la styliste car elle déteste l’utilisation de la chambre photo. Dans cette période, elle rencontre Bérénice Abbott, Irving Peen, Richard Avedon.
En dehors de cette activité de studio, elle prend beaucoup de photos avec un Leica 35 mm dont elle apprécie le grain. Une photo a d’autant plus de réalité qu’elle est composée comme un instantané. Sa démarche est donc proche de celle de Robert Franck et rompt avec celle (dominante à l’époque) de Stieglitz.
Dans les années 55/56 elle est de plus en plus dépressive.
En 1957 le couple se séparent, d’abord professionnellement : Allan reste photographe de mode, Diane sort de plus en plus dans la rue, la nuit (cf. Braissaï), puis, en 1958, en tant que couple.
Diane s’intéresse à l’histoire de la photographie (Niepce, Julia Cameron, Paul Strand, Lewis Hines…) et elle rencontre Lisette Model qui devient son maître, professeur de photographie. Regarder la laideur en face.
Diane s’enfonce dans la bohème new yorkaise (Beat Génération) et découvre le film Freaks (1932) de Tob Browning.
Chaque photo doit être un événement!
À partir de 1962 elle utilise exclusivement un Rolleiflex 6×6. La perspective du Leica aplatissait ses photos et accentuait leur dimension irréelle. Elle ne supportait plus le grain de ses tirages et voulait être capable de rendre la texture des choses, Lisette Model lui ayant dit et répété « Plus grande est la clarté plus profond est le mystère.
Le Rolleiflex avec son format 6×6 et ses négatifs plus nets, offrit donc à Diane la clarté qu’elle recherchait et lui permit d’atteindre le style classique et raffiné, l’impression de sobriété qui firent sa marque de fabrique. Mais elle se heurta au problème de la rigidité du cadre carré.
Elle rencontre également Marvin Israel qui va l’aider beaucoup pour trouver des débouchés à ses images, d’abord dans Bazaar puis dans Esquire.
Elle mène une vie dissolue, drogue, baise, provocations… flirter avec le danger.
Première exposition en 1965 au Muséum Of Modern Art.
Elle donne quelques cours de photographie dans une école d’arts graphiques.
Elle attrape une hépatite en 1966.
En 1967 le MOMA lui offre sa première grande exposition.
Il suffit d’avoir un jour regardé dormir une personne proche pour comprendre qu’on peut déceler sur son visage une étrangeté inattendue. On ne regarde jamais personne impunément. Une fois qu’on a regardé sans détourner les yeux les photos d’Arbus, on s’y trouve nécessairement impliqué. Quand on a croisé le regard d’un nain ou d’un travesti, une transaction s’opère entre le photographe et le spectateur. Dans une sorte de processus d’apaisement nous sommes comme lavé des pulsions criminelles grâce auxquelles nous avons oser regarder. La photo nous absout, dédouane notre regard. Au fond la grande humanité du travail de Diane Arbus consiste à sanctifier une intimité qu’elle avait apparemment commencé par violer. (Marion Magid dans Arts Magazine)
Beaucoup de controverses sur son travail.
Elle sombre de plus en plus dans la dépression puis elle se suicide en 1971, à 48 ans.

Beaucoup de citations extraites de sa biographie
par Patricia Bosworth, paru au Seuil en janvier 2007


Lire “Child with a Toy Hand Grenad in Central Park” sur
http://lucileee.blog.lemonde.fr/2006/11/24/paris-photo-5-diane-arbus-a-la-galerie-robert-miller/


Essai d’analyse

 

enfant-jouant-new-york

masses

lignes-sombres

pdc

focalisation

composition

Sur un fond de formes arrondies, lumineuses et floues, dont la perspective est indiquée par le chemin à droite…
Deux formes verticales sombres coupent le format carré presque par le milieu.
Les ombres de l’arbre désignent dramatiquement le sujet principal: le visage déformé du garçon.
Puis on découvre les deux autres points forts de l’image et le triangle qu’ils forment en donne le sens.
(En général la composition d’un format carré est explosive ou implosive à partir du centre)

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En regardant la planche contact on réalise que cette photographie n’est pas un instantané mais le résultat d’une traque,
ce qui explique peut-être le visage excédé du garçon.

Enfin, je précise qu’analyser une image, essayer d’en décortiquer la composition, ce n’est jamais la résoudre ou lui enlever le plaisir de la regarder. C’est, par contre, en admirer encore plus le talent de l’auteur.

Caillou. 12 juillet 2008

Lella

Au départ il y a une photographie célèbre, mondialement connue : Lella.

On l’a vue en poster, en carte postale, en calendrier… c’est une jeune femme en chemisier blanc, qui regarde vers la droite avec un air résolu tandis que sur un fond très sombre, une autre femme regarde vers la gauche. Le contraste entre ce premier plan très lumineux et ce fond assombri est dramatique. Il est renforcé par ces deux regards de défi et d’orgueil alors que le chemisier transparent laisse voir le soutien-gorge noir témoin de la tendresse féminine. C’est un jour d’été sur le pont d’un bateau, il y a très longtemps.

Si cette photographie a fait le tour du monde, c’est peut-être qu’elle nous pose le problème du mystère de la femme à la fois tendre, lumineuse, transparente et dure, sombre et volontaire.

Mais les photographies uniques nous sont parfois dévoilées comme c’est le cas aujourd’hui pour Lella dans leur continuité. Car il y eut un avant et un après cette prise de vue et Lella n’est pas un modèle passager ou une passante entrevue mais le visage du premier amour du photographe.

L’exposition et le livre qui lui sont consacrés nous font découvrir 50 ans plus tard ce qui fut pour Édouard Boubat et Lella F. une formidable histoire d’amour.
« Aujourd’hui il y a une lumière particulière. Maintenant, elle est frissonnante.…/… nous ne vivons pas une histoire ; nous sommes dans notre propre vie, innocents. Nous ne nous regardons pas vivre. »
Une quarantaine d’images de 1946 à 1950 entre Paris et la Bretagne nous parlent du temps qui est passé, qui ne reviendra plus, de la beauté de l’amour et de la fierté de la jeunesse. Ces images semblent intemporelles. Elles ne nous parlent pas par le décor, comme Doisneau par exemple, du Paris des années cinquante. Superbement tirées, en noir et blanc, elles ne nous parlent que du photographe amoureux, à cette époque encore inconnu, et qui va devenir un des artistes majeurs de la photographie française.
Mais il reste que la confrontation entre cette image unique et les images qui l’entourent demeure pour nous spectateurs une énigme. On fait dire à une image tout ce que le hors-cadre cache. Aussi, la découverte de l’histoire qui l’entourait renforce à la fois sa beauté mais en repousse d’autant le mystère. Pourquoi Lella est-elle devenue un chef-d’œuvre ?

Caillou en voyage

Texte paru dans le Coquelicot N°20 de février 1999

Édouard Boubat : Lella
Paris audiovisuel/Maison européenne de la photographie. 85 F.
J’en profite pour signaler que Boubat a écrit, il ya quelques années, un superbe livre d’initiation à la photographie dans la collection Le livre de poche.

À ce moment précis où tu t’en vas déjà

Oh Toni quand on voit
La route derrière toi
on se dit qu’elle est courte
et d’autant que parfois
on l’a faite avec toi.

Qu’est-ce qu’on va faire maintenant
tu n’es plus dans les rangs
bras dessus, bras dessous
comme quand, du même pas
nous refaisions le monde ?

Il s’est bien fait sans nous
et n’est pas beau à voir
mais tu pars et nous laisses
chercher dans nos mémoires
les années sont passées.

Devant la route est longue
si c’est chacun pour soi
et comme ce sera sans toi
j’ai bien peur qu’elle ne monte
ou qu’elle ne disparaisse.

À ce moment précis
où tu t’en vas déjà
c’est une partie de moi
qui s’en va avec toi
une part de jeunesse
une part d’utopie
de confiance en l’avenir
de refus, de colères,
de mépris, de fierté.
Nous étions des milliers.

À ce moment précis
où tu t’en vas déjà
je te serre dans mes bras
Salut mon camarade
(Oh ! pardon, compagnon !)
“Continuons le combat!”

Caillou 23 juin 2008

Je me souviens de son sourire.

 

La scène était illuminée, tout au fond de la salle obscure, quand le régisseur nous a fait pénétrer.
Jamais rentré dans un théâtre, très jeune homme et sans expérience, j’ai fait comme les autres et je me suis approché du bord de la scène.
Nous étions ainsi une quinzaine de photographes, debout, seules les têtes, cachées derrière les objectifs, dépassaient au raz du plancher.
Derrière nous les ténèbres et devant moi la magie d’un spectacle en construction.
J’ai sorti mon boîtier, enfin c’était celui de ma mère, un Minolta SR7, un réflex japonais à l’optique verte, de toute beauté, et j’ai regardé ce qui se passait dans la lumière. Les acteurs terminaient, ce soir-là, l’avant-dernière répétition, la costumière. Les lumières doivent apprivoiser les couleurs et les tissus…
Mais moi c’était mon premier reportage. Je venais d’être embauché comme apprenti dans une agence de presse, qui n’avait trouvé personne d’autre pour assurer cette pige. J’avais un peu peur de louper mes prises de vues. J’ai pris quelques images, les coudes sur le plancher, l’œil collé dans le viseur, quelques portraits d’acteurs dont je ne me souviens pas, bien sûr, en noir et blanc, sur de la pellicule de 400 asa, de la Kodak aux boîtiers jaunes.
Puis la répétition se termina. Le metteur en scène était content. Tout était prêt. Demain la répétition générale, ouverte aux critiques parisiens, puis plus tard les représentations, le public, peut-être un succès, peut-être un four, qu’importe, le travail de préparation, de mise en place, tout était fini. Il autorisa les photographes à monter sur la scène. Et l’auteur s’assit dans un canapé sur le côté du plateau, entouré de tous les comédiens. Nous devant, en mêlée de rugby, dans ces moments il faut faire vite, nous nous bousculions pour obtenir le bon cadre.
Je n’avais jamais fait cela. J’avais 17 ans et cette confusion me parut d’une incroyable violence. Mes confrères demandaient tous ensemble, mais les uns sur les autres, à l’un ou l’autre de regarder son objectif. En face cela les faisait rire. Pris dans la tourmente, je cadrais comme je pus et essayais, bousculé par des coups d’épaule, de prendre une image valable. Je changeais rapidement d’objectif pour un téléobjectif de 200 mm. Un visage, puis un autre, vite, vite, ils vont se lever et après ce sera trop tard. Dans mon viseur, je vis alors l’auteur de la pièce, très célèbre à l’époque, qui me regardait moi et qui, très gentiment, longuement, me faisait son plus beau sourire. Elle était ironique et tendre, mais ce sourire était pour moi, rien que pour moi. Je le savais très bien lorsque j’appuyais sur le déclencheur. Ma jeunesse et ma visible inexpérience de ces pratiques de brutes l’amusaient.

Développé, ce portrait ne trouva pas preneur et se perdit dans les archives de l’agence de presse de la rue Réaumur.

Maintenant, des années plus tard, je me souviens de ce sourire et je lui en suis toujours reconnaissant. Merci, Madame Françoise Sagan, je n’ai jamais beaucoup aimé vos livres mais votre sourire, ce soir de septembre 1966, je ne l’ai jamais oublié.

Caillou, 10 avril 2008

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Françoise Sagan à St.Tropez en 1956 par Jeanloup Sieff

La beauté et sa représentation

Faussant compagnie à la famille qui m’avait accueilli, à Anglet, prétextant le très beau temps et leur désir de discuter entre eux, j’étais allé me promener, sur les falaises, envie de dessiner aussi. Je m’assis sur un caillou plat, tout au bout du cap, devant Biarritz. Le soleil d’après-midi d’avril était encore assez haut sur ma droite et éclairait le monde sans l’aplatir, comme il le fait, plus tard, dans l’année. La brise, venue de l’océan, n’était pas trop forte, il faisait beau et je pris là un bon moment de fraîcheur, en regardant la baie.

J’ouvris alors mon grand carnet d’esquisse et essayais, timidement, de rendre avec mes fusains, le lent mouvement de la mer, ce seul mouvement dans la calme splendeur du paysage, vu de mon promontoire. Je dessinais, ce qui était facile, la conque de sable, la ville et ses immeubles bourgeois, le petit phare, la montagne derrière, la côte lointaine, les baigneurs et, ce qui m’était bien plus compliqué, les grandes vagues qui, immuablement allaient caresser la peau de l’océan pour s’échouer langoureusement sur le sable.

Je m’y repris, beaucoup, gommant, frottant, noircissant puis estompant sur le papier, les grandes traces, le mouvement, la perspective des vagues. Je savais que je ne pourrais pas, en dessinant ses grandes ondulations, les montrer telles qu’elles sont. J’espérais juste en donner une image, illusoire, qui évoquerait aux yeux de mes hôtes, quelque chose qui ressemblerait, de loin, à une réalité qu’ils connaissaient bien mieux que moi. Mais, au bout d’une demi-heure, une heure peut-être, je mis un point final à mon essai. Il me fallait rentrer et je savais que je ne saurais pas faire mieux. Je rangeais donc mon attirail, ma trousse et repartis, mon carnet sous le bras.

C’est alors que je vis, un peu plus haut, un jeune couple qui regardait la mer, sur la balustrade de bois qui lui fait face. Elle y était assise, il l’enlaçait debout derrière elle. La jeune femme était radieuse, face au soleil, les pieds posés sur une barre, ses mains à lui, autour de la taille. L’homme, très beau, le visage encadré dans la longue chevelure des adeptes du surf, avait sa tête posée dans le creux du cou de la jeune fille et il m’observait, intrigué, tandis que je me rapprochais, plus bas, dans la légère pente qui me faisait remonter vers leur point de vue. Il émanait d’eux une beauté lumineuse et fière. Ils ne souriaient pas, ils avaient même une gravité profonde, celles des adolescents incertains.

Moi je franchis la balustrade, pesamment, un peu plus loin, conscient de mon ridicule manque de souplesse. Puis j’entendis le jeune homme qui me demandait :
Excusez- moi? Nous vous observions. Vous dessiniez? Vous pouvez nous montrer?
À son accent, je sus qu’il était du pays. Je me l’imaginais, jeune Basque, au milieu des touristes, encore peu nombreux en ce printemps, mais qui allaient bientôt déferler par milliers sur la côte. Je ne répondis pas et ouvris mon carnet. Ils regardèrent mon dessin et me dirent qu’il était beau.

Je les en remerciais d’un hochement de tête, refermais mon cahier, puis je repris mon chemin, en me disant qu’ils ne se rendaient peut-être pas compte de leur propre beauté. Jamais, jamais un dessin ou une photographie ne serait aussi beau que la réalité de ce jeune couple ou de ces vagues de l’océan. Jamais, jamais, devant leur beauté, je n’avais été aussi conscient de la faiblesse de mes moyens pour essayer vainement de la transcrire…

Caillou, 25 mars 2008

biarritz