“Camarades! Il y a parmi les camarades
des camarades qui ne sont pas des camarades”.
Je marche seul dans les ruines d’une forteresse abandonnée. Dans ses couloirs déserts j’ouvre un à un les portes des bureaux, j’allume des interrupteurs éclairants des pièces totalement vides. Aux murs d’anciens portraits d’hommes dont plus personne, maintenant, ne se souvient, même si leurs noms sont encore celui de beaucoup de nos rues, de nos avenues, dans nos banlieues. Le bruit de mes pas résonne. Ce doit être ce que l’on appelait le 44. Je crois bien qu’il doit y avoir encore, quelque part dans le fond du bâtiment, une poignée de militants qui rêvent de voir se repeupler l’immense immeuble vide. Mais je ne les cherche pas. Ils ne m’intéressent pas. La plupart sont trop jeunes et je suppose qu’ils ne voient que devant eux, l’année prochaine, les futures échéances… comme tous les militants. Ils ne sont pas du tout intéressés à ce qui s’est passé ici, il y a des années.
Moi je viens y retrouver des vérités effleurées au début des années 70, au moment même oû le PCF, le Parti, commençait sa très longue agonie. Sans nostalgie aucune, mais avec le respect que je conserve pour ces années passionnées où la confiance en l’avenir permettait de supporter l’ignoble exploitation capitaliste.
Bon, c’est très mauvais ! Je recommence.
1971. Dans le tiroir d’une armoire j’avais une collection d’UNIR-DÉBAT. Nous déménagions pour aller vivre ensemble, à Asnières. Ma compagne, est tombée dessus. Elle était atterrée, comme si elle avait trouvé des exemplaires de journaux de fesses. Elle pleurait au milieu des cartons. Le peu qu’elle en avait lu lui avait appris que je lisais une revue anti-Parti. Et comme nous étions, elle et moi, totalement attaché au Parti Communiste, elle ressentait devant ces quelques exemplaires un sentiment de trahison. J’ai jeté mes brochures…
Bon, ce n’est pas meilleur ! Je recommence.
Un groupe interne au Parti Communiste Français, totalement clandestin de 1952 à 1967, (un peu plus visible de 67 à 75), a tenu une revue où les secrets les mieux gardés de la direction stalinienne du PCF ont été révélés, mois après mois, sans que l’on ne sache vraiment, même aujourd’hui, qui en était le noyau fondateur.
Bon, c’est sec. Et en quoi est-ce intéressant ?
Maintenant que plus personne, ou presque, n’a idée de ce que représentait comme force le PCF dans les années cinquante et soixante, je me dis que tout le monde a oublié aussi les oppositionnels communistes, celles et ceux qui essayèrent vainement de s’opposer, en interne, à son ossification. Or il se trouve que j’ai connu, (par quel biais, je ne m’en souviens plus), une petite brochure qui à l’époque était distribuée, de façon clandestine, parmi ses militants. Cette brochure s’appelait Unir-Débat. Près de 40 ans plus tard je me demande qui étaient ces gens ?
Bon, vas-y ! Cela va être long ?
En 1952, à la fin d’une réunion de la fédération de Paris du PCF, une poignée de cadres communistes qui n’admettent pas ce qui est en train de se passer avec l’exclusion de Marty et de Tillon, décident de dénoncer les pratiques abjectes de la direction de Thorez. Mais pour eux, et cela semble difficile à comprendre aujourd’hui, il ne peuvent et ne veulent dévoiler ces magouilles dans la presse «bourgeoise». Pour ce que l‘on en sait, ce sont des vieux militants, certains sont des vétérans du Parti, depuis 1921, d’autres se sont connus dans les luttes de 1936, dans les brigades internationales en Espagne, beaucoup viennent de la résistance et de la déportation.
Dès la fin des années 40 la direction du PCF, Thorez ayant passé toute la guerre à l’abri en URSS, cherche à se débarrasser de cette génération communiste issue de la Résistance, car elle lui fait de l’ombre. Elle élimine, en quelques années, toutes les grandes figures de la Résistance communiste, contradictoirement avec un discours où le PCF se présente comme Le Parti des fusillés. Et ces exclusions se font de façon ignominieuse en les traitant de flics, de fascistes, d’hitlero-trotskyste, d’espions. Un exclu est un pestiféré qui perd en quelques jours tous ces amis, est rejeté de partout. Qui peut le comprendre aujourd’hui ?
Les procès de Moscou, les purges staliniennes, qui tuaient ou envoyaient au Goulag les soi-disant opposants et en premier lieu les communistes, qui n’y comprenaient rien, n’avaient, en France, que cette conclusion : le bannissement.
J’ai longtemps cherché une thèse qui parle du groupe UNIR.
François CHOUVEL. Des oppositionnels dans le PCF
Unir pour le socialisme (1952-1974).
Année universitaire 1984.
La plupart de mes informations viennent de cette thèse.
À suivre… Caillou, 18 décembre 2011