Archives de catégorie : Contes et Nouvelles

Disparaître en Indochine – 6°

Chapitre 6

– Je suis arrivé à Paris, il y a quatre ans. C’est mon fils qui m’a fait partir du pays, mais je crois vous l’avoir déjà dit. Arrêtez- moi si je me répète, vous savez, je me sens vieux
Il avait les larmes aux yeux et ne parlait plus que pour cacher sa tristesse, ne pas la laisser le submerger. Il venait de perdre son ami une seconde fois. Thierry prit la main droite dans les siennes et lui donna silencieusement tout ce qu’il pouvait de réconfort. Ils étaient tous les deux assis sur ce pauvre canapé. Puis le vieux monsieur se mit à raconter. Continuer la lecture de Disparaître en Indochine – 6°

Disparaître en Indochine – 5°

Chapitre 5

Ahurissant !
Au sortir de la station de métro, en remontant vers l’air libre, Thierry avait la tête en l’air et se tenait à la rampe de l’escalier. Incroyable. À des hauteurs vertigineuses, les tours dominaient tout l’espace. Quand il était entré dans le métro, à la gare Montparnasse, en tournant le dos à la tour, Paris avait encore des allures de cartes postales. Une ville qu’il semblait connaître, avec ses vieux immeubles aux toits de zinc, les bistrots accueillants et les bancs de bois sur les larges trottoirs. Mais maintenant c’était une sorte de New York qu’il découvrait. Un New York asiatique ! Continuer la lecture de Disparaître en Indochine – 5°

Disparaître en Indochine – 4°

Chapitre 4.
Rue des Fontaines il se gara devant la maison et se dirigea, en face, chez Mme Taillefer.
Elle était absente. La sonnette résonna dans le vide. De l’autre côté de la rue, la maison d’Étienne se devinait, derrière les hautes grilles et la haie de laurières. La rue était déserte. Avec la pluie incessante et la solitude, l’endroit lui paraissait complètement désolé, en contradiction avec les souvenirs gais et heureux des après-midis de son enfance. De part et d’autre de la rue, les grilles des villas cachaient imparfaitement les jardinets dégoulinants. La pluie cachait même les odeurs. Il remonta dans la voiture et tout en allumant une cigarette il jeta un coup d’oeil dans le rétroviseur. La perspective fuyante lui semblait interminable. Puis il démarra. Il était temps de rentrer à Toulouse. Continuer la lecture de Disparaître en Indochine – 4°

Disparaître en Indochine – 3°

Disparaître en Indochine – Chapitre 3

Thierry était muet. Il l’avait aimé le vieil Étienne et sa mort solitaire l’avait vraiment chagriné et il n’avait pas, tout d’abord, réalisé que sa disparition allait d’un coup lui donner plus d’aisance financière, lui permettre de réaliser des projets, le rendre un peu moins pauvre. La maison de la rue des Fontaines représentait une très belle somme. Il en avait besoin, vite, et ce vieux monsieur chinois venait de tout mettre par terre ! Et puis, par-dessus toute cette histoire d’héritage, une question, bien plus importante, se faisait jour. Et si l’oncle Adrien était encore vivant ? Mais c’était impossible. Il aurait eu… 65 ans ! On ne reste pas toute une vie sans donner de ses nouvelles ! Et s’il avait eu des enfants ? Continuer la lecture de Disparaître en Indochine – 3°

Disparaître en Indochine – 2°

Disparaître en Indochine – Chapitre 2

Il s’engagea sur la rocade qui menait à Muret sous une pluie battante. Maître Viannet avait son étude dans le vieux quartier de la ville, près de la cathédrale. Thierry se rappelait très bien l’endroit. La plaque dorée surmontant le fronton du porche. Maison bourgeoise où il s’était déjà rendu une fois, avec sa mère et son grand-père, plusieurs années auparavant. Il trouva une place libre, juste en face, devant une banque concurrente. Il jeta un coup d’œil sur les employés qui s’affairaient, derrière la vitre, préparant l’ouverture, puis il courut sous la pluie, se réfugier sous le porche de l’étude notariale. Continuer la lecture de Disparaître en Indochine – 2°

Disparaître en Indochine – 1°

Disparaître en Indochine – Chapitre 1°

Le raclement âcre de la lame de rasoir sur la peau rêche, en levant le menton, sous le cou, avec plein de petits refus, comme le bruit des chaussures que l’on frotte sur un paillasson, et bien non, décidemment cela ne pouvait plus durer ! Thierry, comme chaque matin, se détestait. Le seul moment de la journée où il se regardait était désagréable. L’eau qui gicle et les regards en coin, quand on ne se reconnaît plus, et que l’on se trouve moche et triste. Déjà fatigué… Continuer la lecture de Disparaître en Indochine – 1°

Le soleil noir – 13° et fin.

Seul, rue de l’Université, Pierre met du jazz sur le pick-up. Il plonge dans les délices de l’apitoiement sur soi-même avec « Olé » de John Coltrane et son incessant battement de contrebasse. Il veut se faire à manger mais ne sait plus trop quoi faire. Va pour un œuf et des tomates, qu’il grille dans la poêle, et pour une bouteille de vin, qu’ils avaient mise de côté pour une bonne occasion… Dehors la nuit a fini par tomber. Seul, il ne sait ni quoi faire ni où aller, alors il rentre dans un bar voir s’il y a encore du monde… Puis il remonte dans leur chambre.
Demain il ira au Lycée, il reverra Andrée sans oser lui parler.
Puis les jours se suivent et les soirées où il tourne en rond le font sortir et fuir dans les rues.
Dans le quartier Latin, vers la rue de la Huchette… Il rencontre des anciens copains de première, des types inexistants et flous, qu’il méprisaient il y a quelques mois encore et qui ne pouvaient supporter sa morgue méprisante. Mais dans la fumée des bars, maintenant, quelle importance ?
Il noue des relations avec la sottise, sottise pas méchante mais écrasante, celles des clichés et des pensées communes d’un petit monde de la provocation, de la marge et des drogues. Il fume de plus en plus de l’herbe, aspire de l’éther. Il prend du LSD avec des types bizarres qui se réunissent sur les quais du fleuve, derrière la Gare d’Austerlitz.
Il perd son job vers la fin d’octobre. Et maintenant sans limites, il se perd complètement.
Le soleil l’éblouit car ses yeux ne sont plus habitués à la lumière du jour. Sur le quai où il échoue un jour, brillant de plus en plus, il n’y a que le soleil et la chaleur des pavés sous sa joue. Pierre se vide de lui-même. Indifférent et pessimiste il devient sans espoir, vivant au jour le jour.
Et puis, enfin, il disparaît au coin de la rue Véronèse et du boulevard des Gobelins.

Fin.

Caillou 1967

Le soleil noir – 12°

Septembre arrive enfin.
Pierre entre comme surveillant dans le lycée où Andrée travaille déjà. Il a, pendant l’été, perdu de vue Michel, Jacques et les copains anars. Seuls comptent Madeleine et son nouveau travail. Il rentre dans un moule…
Puis, après une quinzaine de jours, Pierre rencontre André à la sortie du bahut et elle lui propose de venir chez elle pour poser ses affaires, boire un coup, se changer, avant qu’elle ne vienne manger chez eux, rue de l’Université. « Juste un frichti, cela fera plaisir à Madeleine. »
Mais rue de la Condamine, rien ne se passe comme prévu. Il est assis sur l’unique chaise, elle est allongée sur la couverture rouge. Après avoir beaucoup parlé de Michel, ils ne savent plus trop quoi dire. Andrée le regarde avec des larmes dans les yeux. Il voudrait pouvoir lui dire les mots qui la consolent mais il n’en connaît pas. Il est gauche. Alors il se lève et vient s’asseoir près d’elle et lui caresse le visage. Elle ferme les yeux pour ne plus le voir, pour cacher son chagrin de Michel qui est parti et ne reviendra plus. Le visage de Pierre descend doucement vers les lèvres d’Andrée. Il ne sait plus lui même si c’est du désir ou de la consolation, mais il finit quand même par toucher ses lèvres et, après un instant d’hésitation, elle lui rend son baiser et ils s’embrassent. Très vite ils baisent comme s’il fallait faire vite. Elle pour se rendre à ses armes, et tant pis si ce n’est pas Michel, pour le renfoncer dans le silence dont il n’aurait pas du sortir. Baiser ! Cela lui fera plaisir à lui et elle en a envie ! Et lui sans réfléchir, ce corps laiteux maintenant lui fait dresser la queue. Elle halète d’un coup, il éjacule aussi, pas d’amour là-dedans c’est juste une méprise. Il se sent dégueulasse, elle se cache dans le lit. Il n’y a pas de mot échangés…
Après cette confusion, il s’en va et descend les escaliers puis se retrouve dans la rue, ensoleillée, de cette fin d’après-midi. Il part vers la Gare St-Lazare. Il fait beau, mais Pierre est mal comme un jour de pluie. Il va vers l’Opéra, les grands magasins désertés, tourne devant les « femmes nues – lampadaires ». Il pense qu’il pue maintenant, qu’il pue vraiment.
Les platanes du boulevard des Italiens sont poussiéreux et disent des « Merdes » retentissants aux quelques flics du carrefour qui jouent tous seuls dans le vide. Pierre marche, le dégoût aux lèvres et 50.000 virgules au cœur. Il va porter sa pourriture, maintenant, comme tous les autres. Les autres femmes nues, celles du Louvre, les bien grasses, offrent leurs corps en admiration à la guerre.
Pierre, la fourmi Pierre, la poussière Pierre, vu du haut de Notre-Dame, longe la Seine, puis tourne vers la Gare d’Orléans. La place vide est tranchée comme une tarte par le double rayon de ses pas et avalée sans coup férir par son ombre.
Pierre lentement, « Madeleine je t’ai trompé… »
Madeleine qui part sans réfléchir.
Pierre assis à la table qui se tait.
La nuit tombe, la page se tourne, il va pleurer.

À suivre…

Caillou 1967

Le soleil noir – 11°

Madeleine et Pierre ont emménagé dans une chambre qu’il a trouvée, toujours rue de l’Université, une chambre de bonne, claire et bien emménagée. Madeleine part tous les matins à son travail et Pierre, provisoirement, ne fait rien.
Un matin, vers dix heures, Pierre est avec un livre de poche sur le lit et Jacques sonne à la porte. Ils discutent longuement, du Parti, de la situation politique et des copains. Il fait beau sur Paris. L’odeur du café. Puis Jacques lui dit, en riant, qu’il a appris que son copain Yves était parti en mai, à l’étranger je crois… Pierre qui n’a plus remis les pieds au lycée depuis plusieurs mois en est très étonné. Yves est parti ! Et oui ! En beatnick, vers les Indes, et sans laisser d’adresse. Jacques en fait toute une théorie sur l’abandon de la lutte de classe par les anarchistes… puis il s’en va.
Mais Pierre en reste silencieux avec l’ombre de Yves qui s’étend maintenant sur la lumière du jour.
Le soleil au-dessus de la lucarne ouverte, la chaleur de la pièce, la tranquillité de sa vie malgré l’angoisse, et puis maintenant ce départ sans doute définitif, avoir l’impression d’être passé à côté de quelque chose et de ne le savoir que lorsqu’elle disparaît.
En fin d’après midi il va voir Sébastien, un ancien compagnon d’Yves, devenu vendeur de chaussures à l’Inno-Réaumur. Il y aura ce soit une réunion d’anars, dans un local du côté de l’Observatoire. Si Pierre veut venir, la porte est grande ouverte. Il y va, avec Madeleine, mais la réunion est une rencontre de hâbleurs. Ces gens s’écoutent parler.
Ils rentrent vers onze heures, Madeleine au creux de Pierre, car elle se lève tôt le matin. Ils dorment ensemble et c’est une grande joie. Puis, dans la nuit, Pierre est seul avec une insomnie et il se demande s’il n’a pas envie de pleurer, avec des semaines de retard, sur le départ de Yves, parti sans prévenir. Mais tout est donc trop tard !

Grundage est mort. Et dans son lit. Hélène ne le sait pas.

À suivre…

Caillou 1967