Seul, rue de l’Université, Pierre met du jazz sur le pick-up. Il plonge dans les délices de l’apitoiement sur soi-même avec « Olé » de John Coltrane et son incessant battement de contrebasse. Il veut se faire à manger mais ne sait plus trop quoi faire. Va pour un œuf et des tomates, qu’il grille dans la poêle, et pour une bouteille de vin, qu’ils avaient mise de côté pour une bonne occasion… Dehors la nuit a fini par tomber. Seul, il ne sait ni quoi faire ni où aller, alors il rentre dans un bar voir s’il y a encore du monde… Puis il remonte dans leur chambre.
Demain il ira au Lycée, il reverra Andrée sans oser lui parler.
Puis les jours se suivent et les soirées où il tourne en rond le font sortir et fuir dans les rues.
Dans le quartier Latin, vers la rue de la Huchette… Il rencontre des anciens copains de première, des types inexistants et flous, qu’il méprisaient il y a quelques mois encore et qui ne pouvaient supporter sa morgue méprisante. Mais dans la fumée des bars, maintenant, quelle importance ?
Il noue des relations avec la sottise, sottise pas méchante mais écrasante, celles des clichés et des pensées communes d’un petit monde de la provocation, de la marge et des drogues. Il fume de plus en plus de l’herbe, aspire de l’éther. Il prend du LSD avec des types bizarres qui se réunissent sur les quais du fleuve, derrière la Gare d’Austerlitz.
Il perd son job vers la fin d’octobre. Et maintenant sans limites, il se perd complètement.
Le soleil l’éblouit car ses yeux ne sont plus habitués à la lumière du jour. Sur le quai où il échoue un jour, brillant de plus en plus, il n’y a que le soleil et la chaleur des pavés sous sa joue. Pierre se vide de lui-même. Indifférent et pessimiste il devient sans espoir, vivant au jour le jour.
Et puis, enfin, il disparaît au coin de la rue Véronèse et du boulevard des Gobelins.
Fin.
Caillou 1967