Je voudrais faire une remarque sur un phénomène curieux lié à l’utilisation des outils informatiques en période de confinement. Ceci est observable aussi bien dans la plupart des journaux télévisés de la période que dans nos expériences familiales et amicales de visio-conférences.
Dans la vie courante, lorsque nous nous parlons nous sommes face à face. Il y a bien évidemment des exceptions, chez le patron et les supérieurs – ils sont assis, je suis debout, chez les flics – je suis assis, ils sont debout, à l’hôpital je suis couché, l’infirmière, l’aide soignante et même parfois tout un aréopage de médecins et d’étudiants sont debout, mais tous ces cas particuliers renforcent d’autant la normalité égalitaire d’un habituel rapport de conversation. Nous sommes à peu près à la même hauteur et donc face à face. Il n’en est pas de même avec la visio-conférence. La caméra utilisée étant celle de l’ordinateur, nous voyons nos interlocuteurs du bas vers le haut, menton proéminent, front fuyant et vue, en arrière plan sur le plafond. Et si on se rappelle (oui je sais c‘est difficile), c’est comme cela qu’on voyait nos parents. Nous sommes petits et ils sont grands!
Dans la vie quotidienne, lorsque nous nous parlons nos regards se croisent. Nous sommes, comme beaucoup de mammifères, dans la reconnaissance constante du est-ce que j’existe pour toi comme tu es pour moi même? Ce jeu des regards est très important car il nous donne ou pas une place dans la vie de l’autre. Il y a là aussi des exceptions: derrière les guichets où l’autre regarde très souvent ailleurs, dans la rue où l’on ne regarde jamais un mendiant dans les yeux et surtout dans les transport en commun où tout regard croisé trop prolongé est considéré comme une impolitesse, une provocation ou une drague lourde. Mais ce ne sont là que des cas particuliers qui en disent long sur les rapports de domination. Et bien il me semble qu’il en de même sur nos bureaux d’ordinateurs où nos écrans de télévision. Les regards se croisent, certes, mais avec un décalage épouvantable. L’interlocuteur nous regarde mais nous ne le voyons pas nous regarder, la vision en est décalée. Ce regard fuyant ? C’est exactement comme cela que l’on nous ment! On ne nous regarde pas pendant qu’on nous affirme un croyez-moi ! péremptoire. Nous sommes petits et ils sont grands.
Enfin, le son des visio-conférences est très souvent haché, lointain, à la limite même du compréhensible. Contrairement au téléphone qui, de la bouche à l’oreille, nous met dans un rapport d’intimité, le son pourri d’hygiaphone électronique nous éloigne irrémédiablement des êtres qui nous parlent dans ces étranges lucarnes*. Serions-nous redevenus les bébés qui cherchent à comprendre les étranges sons des babillages qui se penchent sur eux? Serons-nous bientôt les vieillards sourds qui ne comprennent plus du tout ce qu’on leur dit et s’isolent alors dans le silence? Nous sommes petits et ils sont grands.
Peut-ête jucher l’ordinateur portable, ou du moins sa caméra, sur un escabeau ? Peut-être s’éloigner pour être en plan large et utiliser le téléphone pour s’entendre avant d’inviter ses amis à boire virtuellement l’apéro ? Je préfererais revoir les gens que j’aime ou qui m’informent me parler face à face, le regard bien droit et d’une voix pure.
(* Citation empruntée au Canard enchaîné des années 60)
Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnés par… moi-même:
menton, plafond, bureau, lointain, escabeau, boire.
J’avoue d’ailleurs avoir triché puisque imposé ses mots
en fonction de ce que je voulais écrire.
Caillou le 9 mai 2020
Et le texte de Maryse
Mots d’enfants
Le lieu : appartement avec balcon – quartier calme
Les protagonistes : Igor, le père prof (télé travaille)
Capucine, la mère infirmière
Lulu, le fils 10 ans
Sidonie, la fille 8 ans
Pilou, le chat.
La mère, déjà partie à l’hôpital après avoir embrassé les enfants.
9 H du matin:
Les enfants sautent de leurs lits tels des diables sortant de leur boîte et se jettent sur le petit déjeuner que le père a préparé.
Le père – ” bonjour les enfants. Ce matin, j’ai une visio-conférence. Je vous demande de jouer gentiment dans votre chambre”
Les enfants – ” oui, papa”. Le confinement les avait rapprochés, ils étaient plus que jamais complices et créatifs. Ils inventaient des jeux, parfois bruyants, mais bon, le
principal était qu’ils ne se disputaient plus.
9H30 du matin :
Igor part au bureau allumer l’ordinateur. Il avait changé le fond d’écran. Au premier plan, un balcon, au lointain la mer. Confiné, Il avait éprouvé le besoin de s’inventer un horizon. Parfois il restait quelques minutes devant en se grattant le menton, songeur.
Lulu et Sidonie regagnent leur chambre.
Igor rejoint les conférenciers.
Calme plat.
11 h du matin : Igor éteint l’ordinateur et gagne la chambre des enfants, il ouvre la porte et là ….. Il voit Lulu et Sidonie assis sur l’escabeau qu’il a oublié de ranger (la veille, il avait repeint la chambre). Ils contemplent leur œuvre. Sur les murs des dessins. Des mots : confinement, virus, chouette pas d’école, marre du télétravail, on s’amuse bien, câlin, bisous, vacances, papa, maman on vous aime, ennui, les copains nous manquent…..Seul le plafond vierge. Il ne dit mot, se retourne, referme la porte et part à la cuisine boire un coup pour désamorcer sa colère.
Tout doucement, Lulu et Sidonie le rejoignent et, lui tendant un pot de feutres “toi aussi papa tu peux écrire tes émotions”.
Et aussi celui d’Annick
7 rue Emile Zola
Elle est au 36ème dessous. Ca fait 22 heures qu’elle n’a pas dormi. Les yeux au plafond, les pieds sur le bureau, le regard fixe, elle pense encore à cet immeuble grisâtre, abandonné depuis qu’on a détruit une grande partie de la cité. A moitié assommée par le manque de sommeil, elle enfile son blouson, celui que sa mère a brodé d’oiseaux de couleurs et de fleurs.
Marcher lui fera du bien et ses pas sans même s’en rendre compte la mène jusqu’au pied du bâtiment haut de quatre étages. Les quelques volets qui restent bringuebalent sous l’effet du vent violent qui vient de se lever. Elle est passée plusieurs fois devant, intriguée par le rebord de la fenêtre toujours fleurie, lointain, lointain souvenir de son enfance.
Elle voudrait monter. Hésite et finalement se décide à pousser la porte d’entrée du hall de l’immeuble. Métal rouillé, vitrage renforcé par un treillis métallique défoncé. Quelque chose coince derrière, elle insiste et se rend compte qu’un escabeau aux marches vermoulues bloque le passage. Elle parvient à entrer et grimpe les marches, le pas lourd et le corps fatigué. Quelle porte ? Son sens de l’orientation lui a toujours fait défaut, elle ne sait s’il faut se diriger sur la gauche ou la droite dans le couloir étroit. La moquette marron, usée par les talons fait la grimace à maints endroits. Des lambeaux rongés par les mites dégagent une odeur poussièreuse, légèrement âcre. Elle n’est plus très sûre de ce qu’elle veut.
Boire. Elle a soif. Ni épicerie, ni bar. Le silence et de l’herbe folle. Elle se souvient des jours heureux aux HLM lorsqu’avec ses sœurs, une boîte d’allumettes trouée dans la main , elle courait dans les friches autour pour capturer les sauterelles. Le dimanche, les enfants partaient avec les mères se baigner au Poupenot, près du moulin sur la Brenne.
Le passé est loin. Les parents sont morts. Elle reste là un peu sonnée, étourdie par ce temps qui revient sans prévenir.
…
Ce texte
ANNICK: DIMANCHE: Année, juge, nom, remercier, Mathieu, mâchonner
et Maryse, si tu veux pour Lundi matin