Tous les articles par Caillou

LE CAUCHEMAR

Devant l’école de mon quartier il y avait une échoppe, celle d’une marchande de bonbons. C’était une petite boutique pimpante tenue par une charmante vieille demoiselle, mademoiselle Line, Courte de son nom de famille. Elle y vendait, dans toutes les couleurs et les goûts deux sortes de bonbons: des pois à rayures et des pois à pois. A chaque sortie de l’école les enfants heureux envahissait le magasin en riant.

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L’Aïd

10 heures, sur une crête, des hommes alignés
tous en djellabas blanches et les mains grandes ouvertes
les paumes vers le soleil immense et déployé
dans la lumière du monde, minéral, immobile.

Pas un oiseau ne chante, pas un enfant ne rit.
Le temps est suspendu et ces hommes qui prient
au-dessus du hameau lui donnent un peu de vie
dans la lumière du monde, minéral, immobile.

Plus que quelques instants à vivre, le mouton
doit sentir les fumées des feux que l’on allume
rêver aux prairies vertes des paradis posthumes
dans la lumière du monde, minéral, immobile.

Les femmes, bêtes de somme, ont briqué les maisons
habillés les enfants, récuré les chaudrons
tout est prêt pour l’Aïd, maintenant, si Dieu le veut
dans la lumière du monde, minéral, immobile.

C’est bien ce que j’ai vu assis dans l’autocar
qui filait vers le sud sans jamais s’arrêter
touriste sans contact, bulle d’étrangeté
dans la lumière du monde, minéral, immobile.

Caillou, le 6 mars 2001

PARTIR, PARTIR ENFIN…

La ville artificielle
surpeuplée et brutale
est incivique et sale.
La voiture y est reine
les voyous sont légions.

Elle sent dessous les bras
la sueur de l’angoisse.
Les nuits y sont trop pleines
l’ivresse y est trop creuse
et les faussetés mêmes
des mensonges à soi-même…

Elle est comme un creuset
de toutes les espérances
mais elle meurt en même temps
de changer tout le temps
et bien plus vite qu’une vie
qui n’y compte
de toute façon
pour rien !

Caillou, juillet 2001

LA SEMAINE

Les lundis sont immenses et désolés, sauvages
Ils restent devant moi comme des plateaux sans fin
où le vent s’abrutit et cogne les nuages
où l’heure n’avance pas, où tout semble trop loin.

Les mardis sont sous terre. Je n’y vois plus le jour.
J’attends qu’un événement m’appelle à la surface.
Mais dans le ventre étroit où l’on devient comme sourd
le silence est si froid il m’enserre et me glace.

Les mercredis sont doubles, moitié de la semaine,
moitié de la journée, comme une respiration.
À peine comme un souffle dans le port de la chaîne
avant de revenir à ses macérations.

Les jeudis sont moins lourds car ils sont des guetteurs
à la proue de l’ennui ils voient surgir le jour
mais la mer est étale. Ce n’est pas encore l’heure
où l’on pourra hurler à la vie et l’amour.

Les vendredis sont fastes et remplis de promesses.
La main se fait plus vive, l’oeil se fait moins lourd.
Jusqu’à la délivrance je rêve à des caresses.
À ne plus travailler jusqu’à la fin des jours.

Caillou, le 21 février 2001

LA NUIT DES TEMPS

Une masse immense de gens de toutes sortes et de tous âges se dépêtrait dans les hautes herbes et le sable, éclairée par des torches vacillantes tenues à bout de bras. Je n’y voyais presque rien dans ces éclats de lumière brusques et ces sauts dans le noir. Des cris dans le lointain nous poursuivaient au milieu du silence oppressé de nos respirations haletantes. Je crois bien que nous courions ainsi depuis 2000 ans.
À l’aurore il y eut un arrêt auprès d’une grange abandonnée, en ruine. Affalés un peu partout mes compagnons de fuite tentaient de reprendre un peu de souffle. Certains s’assoupissaient déjà.
Sur la crête de la colline, au-dessus de nous, l’armée de nos poursuivants se profilait dans le ciel d’encre sale. Lorsque le soleil apparut, leurs armures brillèrent alors que nous étions toujours dans l’ombre.
«Ils ne nous attaquent pas ?» demandais-je au jeune homme en toge blanche allongé auprès de moi dans l’herbe. «Jamais à l’aube, ils prient». Il était très beau, une couronne de fleurs dans les cheveux. Il me demanda mon nom. «Caillou, reporter du Coquelicot, de Toulouse» lui dis-je «et toi, qui es-tu ?». «Je suis Épiphane, fils de Carpocrate. Je vivais à Alexandrie au début du deuxième siècle». «Et pourquoi cours-tu comme ça ?» Il me désigna un des cavaliers, au centre de l’immense armée immobile. «Tu vois celui-là, c’est Irénée ! Il veut me faire la peau.»

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Y’a pas de mots pour ça !

Y’a l’État
l’état des lieux
les gens et leur misère.
Il y a les rois
il y a les gueux
qui consomment et se terrent.
mais qu’est-ce qu’on peut y faire ?
Y’aaaaa pas de mots pour ça.

Qu’est-ce que je crois ?
Qu’est-ce que je veux ?
Et dans quel état j’erre…
Qu’est-ce que je vois ?
qu’est-ce que j’y peux ?
Si tout ça m’désespère
Et puis à quoi ça sert ?
Y’aaaaa pas de mots pour ça.

Les mots sont froids
Les mots sont creux
On les tord, on les serre…
Ils sont sans voix
qu’est-ce que j’y peux ?
S’ils ne me servent guère
Je ne peux que me taire.
Y’aaaaa pas de mots pour ça.

Et du coup la suite est chantée en « yaourt »

Caillou, 1998 ou 99…

C’est une chanson de la Teigne avant qu’elle n’existe sous ce nom! Les paroles sont de ma pomme, par contre la mélodie vient d’une méthode d’apprentissage du saxo, qui n’en indiquait pas l’auteur. Je suis preneur de toute information sur cette musique: « Kenny il make it ». D’avance merci

FUGITIFS

Le long de la nationale, on marche en rang, deux par deux.
J’ai semé mes copains, ils me gonflent parfois : « Mouloud par-ci, Mouloud par-là ». Je me suis approché et je lui ai souri.
Laura me tient par la main. Je souris béatement, les pieds dans les hautes herbes, et je dois faire gaffe aux tentacules des ronces qui essayent de me griffer mon bob aux couleurs de Sarcelles.
Laura me tient par la main.

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L’ECHELLE

Non ! Alexandre tu ne vas pas dans l’eau juste après avoir mangé !
J’ai les yeux fermés, je me concentre, mais cette petite plage est là, tout autour de moi, et même un peu trop près de moi. Plus un seul espace de sable sous les serviettes multicolores. Des seins flasques et des fesses avachies, du rose, du blanc, du couvert de pommade luisante et du bruit, beaucoup de bruit. Comment me suis-je retrouvé là?

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Commémorations… Charonne, 8 février 1962

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Metro Charonne 8 fevrier 1962

Regarde ce vieillard qu’on nous montre, bien habillé et goguenard, devant quelques juifs indignés et des juges débonnaires, regarde le et rappelle toi, qu’il a été puissant et craint.

C’était il y a cinquante ans bien sûr, puisque ce faux procès sans sanction ne peut lui être imposé que pour des crimes commis entre 1942 et 1944, et qu’il aura fallu quinze ans d’efforts pour arriver à l’y traîner.

Mais je me souviendrai toujours de ce camarade des Jeunesses Communistes, ouvrier métallurgiste, grand gaillard toujours enthousiaste, gros-bras de toutes les manifs, prêt à toutes les bagarres, s’effondrant en pleurant comme un gosse un soir où il nous racontait Charonne et ses neufs morts. C’était en 1965, trois ans après.

Mais je me souviendrai toujours de mon seul flic cogné, tombé, trainé, en sang, devant les grilles de St Germain des Prés, en mars 68, aux cris de Charonne! tandis que les maos scandaient leur imprononçable: La lutte du peuple est invincible. C’était cinq ans après.

Mais je me souviendrai toujours de ce film interdit Octobre à Paris enfin vu, des années plus tard, de cette re-découverte dans les années 70 des ratonnades massives par la police parisienne, des Algériens jetés à la Seine, de cette honte absolue parce qu’oubliée et qui, depuis a recouvert Charonne.

Alors, si le ministre de l’intérieur de de Gaulle, Roger Frey, est mort dans son lit, si le grand général est devenu intouchable dans la mémoire collective j’avoue mon plaisir à voir le préfet Papon traîné devant des juges.

Regarde ce vieillard. Il a incité, ordonné et couvert ces massacres, mais personne, plus personne, ne peut lui demander judiciairement des comptes au nom des neufs victimes de Charonne et des deux cents algériens tués par balles ou noyés.

Le mérite de ce procès c’est au moins de faire remonter à la surface cette période des années de plomb de la guerre d’Algérie et du gaullisme triomphant.
Même si c’est, depuis longtemps, de l’histoire ancienne !

Caillou de mémoire

Éditorial du Coquelicot N°13 d’octobre 1997, à l’occasion du procès Papon. Celui ci est mort dans son lit et a été inhumé, (avec sa légion d’honneur),
le 21 février 2007.