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le retour au Bourdigou…

28 ans plus tard, le camping du Bourdigou, commune de Sainte-Marie-La-Mer, est devenu un lieu pleins d’arbre, d’arbustes odorants, de palmiers et de lauriers roses…

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Les allées larges divisent des espaces ombragés et discrets.
C’est un lieu de calme, de repos, de bonheur.
L’inverse de tout ce que nous redoutions…

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Une seule question me dérange encore: à quel prix ?

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Le prix payé par les familles ouvrières de Perpignan,
ainsi privé de cet espace de liberté ?
Le prix payé par les campeurs, les touristes,
qui viennent ici passer leurs vacances ?
Le prix payé par la société,
en terme d’écrasement d’un rêve de fraternité et de liberté ?

Caillou, 19 juillet 2010

Le Bourdigou

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Vous connaissez l’histoire des trois petits cochons ?

Moi je l’ai beaucoup vu et revu ce film de Walt Disney.
À chaque fois que la petite nièce venait à la maison il fallait enfourner la cassette VHS et lui montrer et remontrer ce dessin animé. Au point qu’elle nous demanda un jour où étaient les petits cochons quand elle n’était pas chez nous. Il y avait cette chanson aussi: “Qui a peur du méchant loup, méchant loup, méchant loup…” Et je revoyais le grand méchant loup noir souffler sur la maison de paille et celle-ci s’envoler en découvrant les corps nus et roses des petits cochons…

Quelques années plus tôt j’étais un des leurs, nous n’étions pas trois mais beaucoup plus nombreux et le grand loup avait une méchante gueule de tracto-pelle.

C’était au début des années 80, sur une plage du Roussillon, à Sainte-Marie-la-Mer, une des dernières plages libres du littoral. Le terrain devenait un camping…

C’est une longue histoire, une histoire collective. Je vais essayer de la raconter ici, avec ce qui me reste, c’est-à-dire des images, mais j’attends que d’autres viennent la compléter.

À suivre. Caillou, 21 juin 2010

Nous sommes donc arrivés après la bataille. Le premier village avait été détruit. On peut lire cette histoire ici:

http://histoireduroussillon.free.fr/Villages/Histoire/Bourdigou.php

Pour autant que je m’en souvienne, nous devions partir en Espagne. Nous avions échoué là, sur cette plage immense, ou les derniers résistant(e)s reconstruisaient des paillotes, et nous y sommes restés.

De partout surgissaient des cabanes.

Nous avons passé l’été là, puis sommes revenus, à chaque fois, dès que nous le pouvions,
pour des vacances, des rendez-vous, des fêtes…

Chaque hiver détruisait toutes les constructions.
Le lieu abandonné était livré au vent.

À suivre. Caillou, 22 juin 2010

J’étais, à cette époque, à la fois militant, politique et syndical,
borné, réducteur, obsessionnel, bête.

et en pleine déroute conjugale, avec comme seul richesse,
ce bel enfant blond et bouclé…

… et quelques ami(e)s retrouvés sur cette plage.
(Mais que je ne peux montrer ici contre leur gré)

Un temps de déchirement, de solitude, de doutes. Je regarde ces images et je me rappelle comment le Bourdigou était, pour moi, à la fois fort et dur. (Je n’en garde pas que des bons souvenirs). Je me souviens de mes silences. Ne pas vouloir se plaindre et paraître fragile. Rester muet et droit.

D’autant qu’on y parlait beaucoup. Le Bourdigou, lieu de parole.
On refaisait le monde à longueur de journée.
On allait se baigner tout en étant en lutte.

Nous étions opposés au bétonnage du littoral, à la privatisation des espaces publics, aux constructions hideuses du capitalisme touristique… qui privaient l’ancien accès aux plages pour les ouvriers de Perpignan.

Ce “nous”, étant, (je crois), féministe, catalaniste, anarchiste, écologiste,

Venant d’un peu partout, du Larzac, de Golfech, de Lyon, de Jussieu, du pays. Ces gens venaient souvent des luttes menées ailleurs. Certains étaient de passage… repartaient le lendemain, et puis d’autres restaient…

Il me reste encore des images.

Demain… le camping!
Caillou, le 23 juin 2010

Et puis ce fut la fin.
Les poubelles abandonnées un peu partout,
les carcasses de voitures, la zone, le dépotoir…

Et le camping qui se construisait derrière le grillage.

D’un coté toute la végétation naturelle du littoral,
de l’autre plus un arbre, pas une ombre: la rentabilité.

Le libre Bourdigou, écrasé, était mort

Caillou, le 23 juin 2010

Le brouillon déchiré.

Je range des papiers, des vieux papiers de famille,
ceux qu’on devrait jeter et qu’on garde, bêtement.
Et je tombe sur un brouillon, un pense-bête,
déchiré, coincé entre 2 cartes d’identité.

 

Oui, j’ai bien lu:
Pas mariée à la synagogue. Mariage purement civil. De race purement aryenne.
Il s’agit de mon arrière grand-mère qui avait épousé, en seconde noces, un monsieur juif.

Il lui a fallu demander un certificat de baptême.

C’était en 1942 ? Et alors ?

Quand un État force les citoyens à une telle soumission,
une très vieille dame garde un brouillon déchiré dans ses papiers d’identité

Au cas où cela reviendrait?

Caillou, le 5 juin 2010

Petit tour en utopie : Cravirola

Lorsque nous montons, avec Céline, vers Minerve, au fur et à mesure des lacets, la vallée de l’Aude immense, derrière nous, se découvre jusqu’aux Pyrénées. Il y a ce matin un ciel d’une grande pureté, une transparence de l’air, comme un premier jour tout neuf au sortir de cet interminable hiver. Minerve, sur un promontoire du causse, est un village du moyen âge, de toute beauté, isolé par les canyons de la Cesse et du Brian. Il est aujourd’hui, jour de semaine du mois de mars, presque désert. Un village comme les autres, mais que je me rappelle avoir traversé, il y a quelques années, envahi par les touristes, comme les criquets du Sahel.
Après avoir traversé la rivière nous grimpons sur un plateau rocailleux, en plein soleil. La route vire dans la garigue entre les petits chênes kermès et les rochers calcaires. Sur le côté gauche se déroule la magnificence des paysages grandioses. C’est une route qui ne mène nulle part, ou juste vers des hameaux, des fermes isolées.
Nous arrivons enfin au bout du plateau. Une légère descente puis nous pénétrons dans un domaine agricole. Je me gare à l’entrée, dans un parking de terre rouge. Tout autour de nous rocailles et bosquets. Plus loin un camping vide, en construction, au milieu des chênes espacés, puis le chemin, surplombant une sorte de piscine, nous mène aux bâtiments de la coopérative Cravirola. Nous prenons nos appareils photos respectifs.

Deux corps de bâtiment. À droite les chambres d’hôtes, le restaurant, la cuisine pour le gîte, et, en face, la maison des compagnons, avec leurs chambres, leur cuisine, la salle de réunion. Les compagnons ce sont les volontaires qui viennent aider l’équipe de Cravirola pour quelque mois. De l’autre côté de ce bâtiment, une grande terrasse ensoleillée. Nous sommes accueillis par V… .

Le but de notre visite ? Découvrir et faire des images d’une communauté de vie et de travail qui fonctionne et se développe. Quelques minutes plus tard il nous confie à I…, une jeune femme originaire de Normandie, qui, toute la matinée, nous guide dans les différents lieux de la coopérative.
Nous allons tout d’abord près de la falaise, une sorte de canyon spectaculaire avec, tout au fond le lit de la rivière Cesse. De l’autre côté, en contre jour, d’autres falaises, d’autres collines puis la plaine vaporeuse et la chaîne toute blanche au fond. Un lieu de bout du monde !
Puis nous nous dirigeons vers la bergerie. Je branche mon magnétophone. C’est I… qui parle.
… là il y a les petites brebis qui sortent, là nous allons faire des patates… Je vous présente Jérémie qui s’occupe des chèvres et de la bergerie…
– Comment vous décidez les choses ?
– Tous les jeudis il y a des réunions pour voir tout ce qu’il y a à faire, comment on s’organise, Et tous les lundis il y a une réunion des seuls permanents. Tout le monde donne son avis… C’est collectif.

– Et dans cette réunion du jeudi les permanents et les compagnons, les différents statuts, ont le même droit à la parole ?
– Oui, mais en tant que compagnon, comme on ne connaît pas encore tout, on ne peut pas donner son avis sur tout…
– La parole n’est pas prise en compte de la même façon ?

– Si, elle est écoutée et prise en compte mais on ne la prend que si on connaît bien le sujet. On ne peut pas juger sur tout, surtout si on est là depuis peu de temps.
Nous contournons le bâtiment par la gauche. Je vois 2 jeunes hommes qui s’affairent sur l’avant d’un bulldozer. Ils positionnent et soudent une fourche.
– Quelle est votre production ?
– C’est le fromage, avec le marché de C
annes, celui de Narbonne, d’Olonzac…. Sinon c’est l’accueil, l’été, les gîtes, le restaurant, le camping. Nous organisons un petit festival… Mais notre activité principale c’est le fromage. Tout est produit en agriculture biologique. Nous vendons aussi du bois car nous éclaircissons le maquis, et puis un peu de viande…
– Mais cela ne permet pas de faire vivre 15 personnes !
– Oh, pour le fromage, ce n’est pas un petit stand. Il y a une grande diversité de fromages. Le plus intéressant c’est le marché de Cannes.

En fait les coopérateurs de Cravirola vendaient sur ce marché quand ils vivaient  dans les Alpes, c’était leur marché. Et, maintenant qu’ils se sont installés dans le Minervois cela continue.
– Nous livrons les fromages une fois par semaine et il y a un ami qui habite là-bas qui vend sur le marché de Cannes. On y va par roulement. C’est vrai que cela tourne ! Et puis nous tenons des stands sur des festivals, par exemple celui de GaroRock. Pour la viande, même si nous en vendons parfois à des particuliers, elle est surtout transformée et servie au restaurant, pendant les périodes d’été. Ici il y a du travail pour tout le monde, tout le monde a sa tâche. Il faut juste trouver son chemin, et ce n’est pas évident.
Au-dessus des bâtiments, on voit des caravanes, les habitations des uns et des autres.
– En ce moment il n’y a que deux personnes, des permanents, (ceux qui se désignent ainsi sont les membres de la coopérative) qui vivent dans la maison. Tous les autres logent dans des caravanes ou des cabanes. C’est chacun chez soi. Mais comme le froid a été un peu violent, exceptionnellement, il y a V…  M… et les 2 petites qui sont dans la maison. Dès qu’il fera vraiment beau, ils vont réintégrer leur caravane…
Nous prenons un chemin qui monte dans les bois, longeant une sorte de cimetière de ferrailles rouillées.
– Mais c’est très grand en fait !
– Oui, et cela monte jusqu’à « Bois-Haut »
.
Nous passons devant des cochons. Ce sont des cochons noirs du Périgord. Plus loin des vaches nous regardent, dans une sorte d’enclos. Puis nous pénétrons dans la bergerie.
– Là, il y a les chèvres et les brebis, l’espace pour les vaches, avec l’endroit où l’on fait la traite… Pour les chèvres, celles qui ont des colliers rouges, c’est qu’elles ont déjà mis bas. Il n’en reste plus beaucoup à attendre.
Et cette odeur ! Odeur de foin et d’animaux… Nous ne l’aurons pas sur nos photos l’odeur !
Plus tard nous visitons la fromagerie.
B… , une des « fromagères », une des fondatrices aussi, nous explique qu’il y a 2 réunions par semaine. L’une pour les permanents, car les gens qui ne sont que de passage ne peuvent pas donner leur avis sur les investissements, les grands choix stratégiques, et l’autre, le jeudi, qui est ouverte à tout le monde, où tout le monde peut donner son grain de sel, où tout le monde est écouté, mais qui s’occupe surtout du programme de travail de la semaine, des priorités.
Concernant les questions que nous lui posons sur la rentabilité de l’entreprise, B…  dit qu’il y a beaucoup de production et qu’en étant plus nombreux la charge de travail est allégée car elle est répartie. Même si travailler avec des non-professionnels, tourner beaucoup sur les tâches n’est pas un facteur de rentabilité, au contraire.
K… , une autre permanente, précise que Cravirola n’est pas une entreprise très rentable. La rentabilité correcte est  liée à une gamme de produits très variés et des lieux de distribution où peuvent se pratiquer des prix relativement élevés. C’est du commerce équitable. Ici, un fromage bio fermier, ne peut pas être vendu le même prix qu’un camembert de discount.
Pour leur production, il y a des fromages lactiques, à pâtes molles et à pâtes dures. Le premier, le lactique, c’est par exemple celui de chèvre, le second le camembert, le troisième les pâtes pressées, celles appelées tomes. Mais comme dans chaque variété il y a plusieurs sortes de lait possibles, chèvres, vaches et brebis, on peut faire des cumuls, des mélanges, un grand nombre de fromages différents. Et c’est ce qu’ils font. De fait nous pouvons voir sur les rayonnages un grand nombre de variétés.
– Vous avez beaucoup de visiteurs ? Une structure comme la vôtre est-ce que cela suscite la curiosité?
K… : Les gens qui viennent nous voir ? Il y a quelques années c’était plutôt des marginaux et maintenant ce sont plutôt des gens qui se préoccupent d’orienter différemment leur vie, des personnes sensibles à l’écologie et aux modes de vie alternatifs dont l’idée n’est plus aussi confidentielle qu’avant
I… nous fait ensuite visiter le chantier du camping. L’équipe y installe, à la demande des pompiers une réserve d’eau, des bornes avec des robinets, des tranchées pour lutter contre l’incendie, le mettre aux normes. En contrebas, le potager, très grand, est pour l’instant encore un peu vide, avec trois rangées de poireaux et quelques betteraves…
Puis nous faisons un petit tour vers les caravanes. Nous remontons un chemin dans le bois. Elles sont posées assez loin les une des autres avec des espaces aménagés. Il y a en une dizaine. Certaines sont plus grandes, d’autre toutes petites. En haut une cabane construite derrière une ancienne camionnette Citroën G7. Cette inventivité dans la construction d’une cabane me fait penser au village alternatif du Bourdigou. (*)
Dans la maison, nous visitons les chambres d’hôtes et la partie habitation des compagnons. De quoi loger 8 à 10 personnes, avec une cuisine aménagée, salle de bains et WC.
En fin de matinée nous prenons un thé sur la grande table au soleil. Nous discutons avec B… J’en retiens une grande phrase. Elle dit qu’ils s’engueulent très souvent sur les applications du principe mais pas sur le principe lui-même et que c’est très sain de s’engueuler.
Je demande : Comment sont intégrés les gens qui arrivent ? Ils sont reçus? Refusés? Est-ce que vous croulez sous les arrivants? J’évoque ce qui se passait dans les communautés des années 70 qui croulaient l’été sous les arrivées massives des gens de passage…
I… : Pour le compagnonnage, il y a déjà moins de demandes que pour les chantiers. Les chantiers c’est une première approche et les gens qui passent voient s’ils ont ensuite envie d’aller plus loin. Et puis il y a aussi le choix des permanents… Il faut trouver sa place.
– Il y a des sas d’entrée ?
– Oui, on peut faire une demande de compagnonnage et être refusé. D’autant qu’il y a toujours un temps entre un chantier et un compagnonnage. Pour se retrouver un peu… Parce que vivre tout le temps dans le passage, cela peut être pesant. On peut s’y perdre.
– C’est énorme un chantier tous les mois !
– Oui c’est lourd. Mais Cravirola a beaucoup d’expériences dans ce type d’accueil bénévole…
K… précise:  Depuis un moment déjà et devant le nombre croissant de visiteurs candidats à nous rejoindre, nous avons dû poser des cadres, des cases obligatoires par lesquels il faut passer pour s’intégrer au groupe. Ce sont les chantiers solidaires (15 jours passés sur la ferme à nous aider) puis le compagnonnage, de trois mois, si volonté réciproque, puis renouvellement du compagnonnage, jusqu’à intégration dans la coopérative. Cela c’est la théorie, en pratique, les étapes sont parfois sautées, ou au contraire des gens intégrés finissent par partir au bout d’un an ou deux parce que finalement cela ne leur convient pas. C’est très difficile de vivre en collectif et le niveau d’investissement personnel pour un projet aussi ambitieux que le nôtre correspond réellement à très peu de personnes.
Cravirola, la coopérative Cravirola, c’est un groupe de gens, le groupe des permanents, une structure informelle, pour laquelle il n’existe pas dans la législation française de chose correspondante. Le kibboutz en Israël serait ce qui s’en rapprocherait le plus peut-être. Elle s’appuie sur des structures juridiques existantes : une SARL SVOP pour toutes les activités agricoles et commerciales, une association loi 1901 pour les activités culturelles, d’environnement et bénévoles. Pour la propriété, la SAS « Terre Commune », c’est autre chose, c’est la structure propriétaire du lieu, et de deux autres fermes, notre ancienne ferme dans les Alpes, et celle, en Ardèche, également gérée par un collectif autogéré. Les trois groupes qui gèrent les trois fermes sont locataires de Terres Communes. Mais comme tout propriétaire, Terres Communes n’a pas droit de regard sur ce que font ses locataires, sinon qu’ils respectent une charte, être organisé en collectif autogéré, faire de l’agriculture paysanne une de leur activité principale, ne pas être sectaire.
Et puis K… conclut :
Les éléments très importants dans Cravirola sont
– La mise en commun totale de l’argent. Personne n’a d’argent privé. Toutes les recettes sont partagées sans forme de répartition ni de contrôle parmi les permanents.
– L’autogestion. Nous n’avons pas de chef désigné. Même si certains ont bien sûr des niveaux de responsabilités différents, des personnalités plus ou moins autoritaires et que cela est un combat quotidien.
– La libre association, le fait de vivre et de travailler avec des gens que l’on a choisis.
– Et bien sûr « Terres Communes », une forme d’a-propriété, la terre n’appartient à personne, sinon à une belle idée.

À midi nous mangeons avec toute une partie de l’équipe. Il y a de la tarte aux poireaux, une très belle omelette. D’autres arrivent plus tard, ce sont plutôt des hommes qui travaillaient, je crois, à la préparation du terrain pour les patates et pour décharger un camion de matériaux pour le chantier. Il fait très beau et la terrasse, orientée vers le Sud, est toute chaude. Je sens, entre eux, beaucoup de complicité, de silences tranquilles. Est-ce notre présence qui les retient ? Mais j’ai plutôt l’impression que c’est le mode naturel entre eux, sans éclats de voix, calmement, tranquillement, manger ensemble au soleil…
Quand nous repartons, quand on roule vers la plaine, j’ai la sensation d’avoir vécu un moment rare. Une utopie en marche… Vivre et travailler ensemble, sans être propriétaire du sol, en se partageant les bénéfices, en construisant quelque chose de durable et de sain, tout en étant rentable… Est-ce réalisable partout et dans la durée ? Est-ce transposable ? Je ne connais pas toutes leurs difficultés, mais il me semble qu’en tout cas c’est une expérience formidable qui se construit là, dans le causse de Minerve.

Pour en savoir plus sur ce projet on peut aller visiter le site web : http://www.cravirola.com/
Sur l’histoire du Bourdigou, on peut lire :
http://www.languedoc-roussillon.culture.gouv.fr

Mais sur la lutte des dernières années du village du Bourdigou je ne trouve rien sur le net.
Il faut se procurer le livre « Bourdigou : Massacre d’un village populaire -Vinça : Chiendent, 1979. – 196 p. ISBN 2-85-999-004-6. » qui, je pense, est épuisé depuis longtemps.

Caillou, le 8 avril 2010

Sarcelles 1962

Avant, c’était la rue Saint-Ambroise. Un studio très sombre dans un vieil immeuble du onzième arrondissement de Paris. Avant, c’était les chiottes à la turque sur le palier, avec la porte de l’appartement dont je ne devais pas oublier de prendre la clef pour ne pas me retrouver enfermé, en pyjama, dans l’escalier. Avant, c’était se laver dans un tub dans l’espace minuscule de la cuisine, se frotter avec un gant puis se rincer avec une casserole d’eau sur la tête. Avant, c’était cette cour intérieure lépreuse que je regardais en rêvassant au lieu de faire mes devoirs. Avant, c’était triste, c’était sombre, c’était pauvre.

Après, c’était gai, lumineux et propre. La première salle de bain dans l’appartement ! Une baignoire sabot, les WC, la lumière qui entrait partout. Sarcelles, c’était tout neuf. Nous passions d’un deux-pièces cuisine minuscules à un vrai appartement avec trois chambres et salle de séjour. Une chambre pour ma mère, une pour moi tout seul et une pour la Mamichka, mon arrière grand-mère. Un balcon sur de grands espaces lumineux, une cuisine où l’on pouvait manger, des placards partout… Il y avait même dans cet appartement un séchoir, pour faire sécher le linge, une sorte de balcon fermé, où l’on entreposait les légumes et tout ce qui ne rentrait pas ailleurs.

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Avant, c’était encore une sorte d’après guerre, avec des vélos et des hommes en canadiennes marron à gros boutons. Avant, c’était la peur de la guerre en Algérie pour toute la famille restée là-bas, la peur des attentats aveugles. La guerre, l’OAS et le putsch des généraux. Avant, c’est Michel Debré appelant les Parisiens à se rendre sur les aéroports à pied ou en voiture, dès que les sirènes retentiront, pour convaincre les soldats engagés trompés de leur lourde erreur et repousser les putschistes.
Après, c’est la Mamichka à la maison, mon arrière grand mère, qui avait vécu toute sa vie à Alger, tout juste débarquée de l’avion à l’aéroport d’Orly. C’est la paix. C’est l’amour entre ces deux femmes, ma mère et sa grand-mère, qui depuis des années s’écrivaient dans l’angoisse et la peur. En 1962 c’est tout un quartier de Sarcelles envahi par les  rapatriés. Il y avait un café en plein milieu qui s’appelait l’OASis et tout le monde savait pourquoi !

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Dehors sur le parking qui séparait l’allée Watteau de l’allée Fragonard, les arbres qui venaient juste d’êtres plantés, étaient tout petits et ne faisaient pas d’ombre. On y voyait parfois de drôles de gens montrant des ours et des singes.

La ville était déjà très grande. Elle avait bien dépassé les possibilités de la gare SNCF qui n’était qu’une halte sans bâtiment, surmontée d’un pont, celui de Garges-les-Gonesses. Pourtant tous les matins et tous les soirs des milliers de Sarcellois montaient et descendaient le sinistre escalier de bois. Les journalistes parisiens, bien logés dans les grands appartements du septième arrondissement de la capitale décrivaient avec mépris la Sarcellitte comme une maladie honteuse.

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sarcelleslagarewebPourtant cette ville brassait des gens de toutes origines et de tous les milieux sociaux, des provinciaux venus travailler à la capitale, des Parisiens chassés par les opérations immobilières et la hausse des loyers, des pieds noirs, des Juifs sépharades et les premiers immigrés maghrébins et africains.

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La Maison de la Jeunesse et de la Culture et la bibliothèque de Sarcelles ouvraient pour une grande partie des jeunes un accès à la culture que Paris leur aurait refusé. Le monde changeait en 1962 et Sarcelles en était la vitrine. Et puis l’année 1962 s’est terminée dans un grand hiver très froid. La chaufferie est tombée en panne. La Mamichka, déjà très âgée, ne sortait plus de l’appartement. Elle est tombée malade et elle est morte en janvier 1963.

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Depuis, cette ville est devenue autre chose et comme beaucoup d’autres grands ensembles elle est synonyme de banlieue dangereuse. Elle n’en restera pas moins pour ceux qui ont vécu cette année 1962 comme une première marche vers le confort, la luminosité et… la modernité.

Caillou, 23 mars 2010

Les photos ont été prises par ma mère:
Madeleine SAFRA
.

Dehors, il pleut.

Sur le parking vide à cette heure de la nuit, les flaques d’eau luisent dans la lumière jaune des projecteurs. La voiture est garée, le moteur arrêté. Il est peut-être onze heures. L’endroit est totalement désert. Le son régulier et doux de la pluie sur la carrosserie de l’automobile fait un bruit blanc, un ronronnement, une sorte de murmure qui se mêle à la discussion des deux hommes assis à l’avant. Le plus grand au volant, à la place du conducteur, a le regard perdu dans la nuit noire massée à l’avant du capot. Il a plus de cinquante ans. Appelons le Jean. L’autre, sur le côté, doit avoir le même âge. Le torse à moitié tourné vers son interlocuteur, il le regarde en parlant doucement. C’est peut-être Pierre. Ce qu’il dit exactement ? Cela ne nous regarde pas. Enfin, pas dans les détails. Mais il parle de l’amour, des femmes, de la fidélité à des idées, celles qu’il se faisait plus jeune, il y a des années, sur le mariage, la vie de couple… Sur le refus de vivre la vie de ses parents. Leurs adultères, leurs mépris communs l’un pour l’autre, leur cohabitation réduite aux acquêts… Il raconte la mort de son père et le  sentiment amer que celui-ci s’était jusqu’au bout menti à lui-même. Il parle de tout ce qui le bouscule et l’empêche de dormir…

L’autre, Jean, le silencieux, l’écoute gravement. Il n’est pas de ceux qui ne font qu’attendre une pause dans le discours des autres pour poser leurs propres réflexions, reprenant ainsi leur fil interrompu. Mais il sait que bientôt viendra dans le discours de Pierre l’inévitable bilan de comparaison entre la vie rêvée et la vie réelle, entre les espérances et les constats, le cours des jours tel qu’il est devenu après les grandes décisions. Il compare ce que lui dit Pierre avec ses propres désillusions. Il se coule dans le fleuve des soucis évoqués par son ami, non pas par compassion mais parce qu’il a traversé et traverse encore les mêmes écueils, les mêmes tempêtes. Tout à l’heure il lui racontera aussi ce qui est advenu du temps des espérances, comment il a reconstruit sa vie après l’échec, comment il a bien peur maintenant, avec le départ de son épouse, de retomber dans la solitude et le désespoir.

Jean est le compagnon de lutte des années militantes. Le seul qui reste après le tri impitoyable que la politique et les trahisons de la vie quotidienne a fait dans toutes ces amitiés qui paraissaient inébranlables. Il est l’ami, le seul, le dernier, celui qui sait écouter mais aussi parler sans se lasser. Ils se connaissent depuis longtemps, depuis l’adolescence. Ils ont pu se perdre de vue au gré des déménagements et des changements de cap, mais ils ne se sont jamais trahis, et n’ont jamais oublié les grandes discussions qui les avaient, il y a des années, fait grandir. Et ces grandes discussions, ils continuent tous les deux à les tenir, isolés du monde, pour quelques heures, dans cet habitacle, cette bulle, sous la pluie, en compagnie du jazz cool des années 50 qui en sourdine provient de l’auto-radio.

Cette amitié entre eux, on peut la retrouver un peu partout, entre 2 femmes écossant des haricots sous la treille au fond d’un jardin, entre des ouvriers à la sortie de l’usine sur le zinc d’un bistrot, entre des gamins préparant des bêtises, entre un homme et une femme dans une cuisine au milieu de la nuit, dans une salle où des gens inconnus lisent des textes à d’autres, autour d’une table dans un restaurant ou sur un établi, un banc de fac, dans un couloir de métro… Dans les lettres qu’on écrit encore et qui ne seront lues et comprises que par de vrais amis. L’important dans l’amitié, c’est d’y croire encore. Elle se nourrit, elle s’entretient, et elle permet, dès fois, de supporter le monde. Car, dehors… il pleut.

Caillou, 12 mars 2010

Un petit métier qui se meurt… Plus de 170 000 salarié(e)s

Elles sont à l’entrée du magasin, à l’affût des clients qui entrent, poussant devant eux leurs caddies vides. Petit gilet bleu ciel avec le slogan et le logo du magasin. L’une d’elle s’approche.

scanette

– Bonjour monsieur
– Bonjour
– Vous connaissez le principe du scan’lib ?
– Non
– C’est un système qui est offert aux gens qui ont la carte de fidélité ou la carte de crédit du magasin. Donc vous prenez la scanette avec votre carte, vous faites vos courses, vous bipez, et l’avantage c’est que vous pouvez passer à n’importe quelle caisse Carrefour, régler avec le mode de paiement de votre choix, et ne plus déballer le chariot. Vous réglez directement le montant de la scanette. Voilà, ça c’est le gros avantage. . .

Elle m’invite à m’approcher du stand:
– On vous active le système en trois secondes et deux minutes. . .

– Et que vont devenir les caissières ?
– Ce n’est pas une question à laquelle je vous réponds. De toute façon c’est un service où on a besoin des caissières, étant donné qu’on règle à la caissière, qu’on lui présente les articles avec les antivols, les tickets de caisse, les articles non lus, donc on a encore besoin d’elles avec la scanette.
– Je ne crois pas non !
– Voilà. Vous êtes libre de croire ce que vous voulez, monsieur.
– Bon, merci, au revoir.

Je fais mes achats puis je passe à la caisse. C’est une ancienne collègue. Tandis qu’elle passe mes articles et que je remplis mes sacs on discute:

– Comment vas-tu ?
– Oh ici, tu sais…
– Oh bientôt tu n’auras plus de travail
– Oui. Ce matin je suis passée par là mais il y avait la queue au scan’lib ! Et les filles à côté n’avaient personne. Tu hallucines ! Moi, ça me tue ! Et tu verrais ce qu’ils nous volent !
– Ah bien, ça ! Qu’ils y aillent ! (Rires) Mais, ça c’est génial ! Si tous les voleurs pouvaient s’y mettre…
– Et tout le monde est d’accord ! Aussi, quand ils passent à la caisse j’en ai rien à faire de ce qu’ils ont dans le caddy ! Il n’y a pas une catégorie de clients favorisée par rapport aux autres. Moi, tout le monde passe. Tu as bonne mine de demander à un client d’ouvrir son sac alors que celui d’avant est passé sans même déballer ses achats.
– Bientôt ceux qui passeront en caisse seront ceux en qui ils n’ont pas confiance ! Il ne restera plus que 2 caisses ! (Rires)

La caissière salue les clients âgés qui passent à la caisse suivante…

– Et puis même, la machine, en dehors de l’aspect destructeur d’emploi, mais les gens sont contents de parler avec une machine ? Au lieu d’avoir quelqu’un en face à qui sourire ? Cela devient dément !
– Il y a un client qui m’a dit que cela lui permettait de contrôler ses dépenses. Moi je lui ai répondu: comment vous faites pour le reste, quand vous allez ailleurs, quand il n’y a pas de machines, vous faites comment ? Vous avez besoin d’un garde-fou en permanence dans votre vie d’adulte ? Le mec il me regardait il se disait avec celle la j’aurais mieux fait de me taire.
– Parce que quand ils font leurs courses ils sont contents parce qu’ils voient le montant s’afficher sur la scanette au fur et à mesure. . .
– Exactement ! Il leur en faut peu ! Vous avez besoin d’une machine pour gérer votre budget? En plus il me dit que cela ne va pas toucher l’emploi ! Parce que vous croyez tout ce qu’on vous dit vous ? Déjà les 20 caisses qui ont disparu aux meubles ! Toutes les caisses qui ont été replacées par les îlots (de passage automatique) Là ils ont viré des caisses ! Les jeunes qui étaient à l’école interne (en contrat de qualification) ils n’en gardent pas un seul! Ils auraient pu les embaucher s’il y avait eu toujours ces caisses !

– Et puis c’est les mêmes clients qui vont ensuite regarder ce qui se passe à Dunkerque en gémissant sur les pauvres licenciés!
– Ce type il me dit: Mais vous êtes contre ! Je lui dis: vous êtes en train de scier la branche sur laquelle je suis assise !Vous n’y pensez pas à, ça ?
– Bon, allez, bon courage, pour le peu qui te reste à faire. . . (Rires)
– Allez tchao !

Caillou, 11 mars 2010

On peut lire sur ce sujet le texte de la CGT de Carrefour Meylan:
http://cgtcarrefourmeylan.over-blog.com/article-31466331.html

 

Les retraites… Et la productivité du travail?

En 20 ans la productivité du travail a été multiplié par quatre!

À les entendre, de gauche ou de droite, nos élites nous disent qu’avec le vieillissement démographique, il n’y a que trois paramètres pour financer les retraites:
– baisser les allocations
– augmenter les cotisations
– augmenter la durée du travail.

Moi je suis bouché en économie, je le reconnais. (Si je m’écoutais je dirai qu’il suffit de pendre les banquiers avec les tripes des patrons pour que l’économie soit enfin libre, mais je me dis que c’est un peu brutal, que cela doit être plus compliqué!)

LEUR économie, celle qu’ILS nous imposent depuis des siècles de domination, je n’y comprends rien. Mais de là à croire leurs balivernes quand ils veulent convaincre les dominés de la justesse de leurs analyses, de ces trois paramètres incontournables, il y a un pas…

Car il y a un quatrième paramètre: la productivité du travail!

Pourquoi les extraordinaires progrès techniques, l’informatique, les machines, ne sont pas pris en compte dans le calcul global des retraites? Les bénéfices de ces progrès techniques ne vont que dans les poches des capitalistes! travailler plus pour qu’ils gagnent plus! Et ils viennent ensuite nous expliquer qu’il n’y a pas d’autres solutions que d’augmenter la durée du travail? Tout en sachant qu’en moyenne les travailleurs se font jeter 5, 6 10 ans avant l’âge légal de départ à la retraite ce qui entraîne une baisse générale des allocations de retraites!

J’attends vos réponses?

Caillou, le 17 février 2010

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Petit historique de la productivité
27/09/2009

La productivité a considérablement augmenté au cours de l’histoire. Ainsi, il faut aujourd’hui 52 fois moins de temps pour produire une tonne de blé qu’en 1800, notamment du fait de l’utilisation d’outillages de plus en plus performants. Plus récemment, entre 2000 à 2007, Chrysler a réduit de près de 14 heures le temps moyen d’assemblage d’un véhicule, pour atteindre 30 heures. Le constructeur automobile américain était avant la crise le plus productif aux Etats-Unis, à égalité avec Toyota.
Ces gains de productivité, constituent une source de croissance économique considérable. Pourtant, le progrès technique n’a pas toujours été bien perçu au cours de l’histoire. On a longtemps pensé qu’il nuisait à l’emploi. En effet, une augmentation de la productivité du travail offre deux options. La première consiste à produire davantage avec la même quantité de main d’œuvre ce qui est clairement positif. La seconde en revanche, conserve le même niveau de production mais en réduisant le nombre de travailleurs, synonyme de destructions d’emplois. Au XIXe siècle ce constat a donné lieu à de violents mouvements de protestation (le luddisme, par exemple), les travailleurs allant jusqu’à détruire les machines.
A l’échelle d’un pays, le progrès technique, facteur indiscutable de croissance économique bénéficie largement à l’emploi. Cependant, certains ajustements sectoriels génèrent souvent des difficultés sociales importantes. Ainsi, au cours de la révolution industrielle, l’exode rural des paysans chassés des campagnes par les gains de productivité dans l’agriculture ne s’est pas fait sans heurts, les nouveaux arrivants dans les villes s’entassant pour la majorité dans des habitats insalubres en périphérie des grandes villes.
La productivité évolue plus ou moins vite d’un pays à l’autre, en fonction du contexte économique. En France, les gains de productivité ont été relativement faibles entre les deux Guerres mondiales. Après 1945 et jusqu’au début des années 70, ils ont connu une croissance fulgurante de 5,5% par an. Depuis, le rythme de progression est inférieur à 2%.
La productivité du travail en France est ainsi supérieure à celles du Royaume-Uni, de l’Espagne, des États-Unis, du Japon et même de l’Allemagne. Elle se situe au-dessus de celles de l’ensemble des pays de l’OCDE(1) , à l’exception de la Norvège.
Productivité horaire dans les pays de l’OCDE     Productivité horaire    Rang mondial
Norvège                                                            117,3           1
France                                                               107,8           6
Allemagne                                                         101,5           6
États-Unis                                                          100              7
Royaume-Uni                                                     81,7             15
Japon                                                                 73,1             17
Espagne                                                             61,1             20
(Indice base 100)
Source : Banque de France, 2003.
Lecture : Si en moyenne, en une heure, un travailleur américain crée une richesse de 100$, un français en produit 107,8.
(1) Organisation de Coopération et de Développement Économique.

Jeanne de guerre lasse

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J’ai vécu un très beau moment hier soir, quelque chose comme un meeting des années 70 avec les rides et les cheveux blancs en plus, la salle du Sénéchal pleine à craquer, les gens debout, assis sur les marches, et ce silence contenu, ému…

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Nous étions réunis pour un hommage à Daniel Bensaïd qui vient de disparaître. Et tous ces ami-e-s  étaient venus parler de ces années de jeunesse toulousaine, du lycée, des prises de conscience militante, de la guerre du Vietnam, de mai 68, de l’Amérique latine… de ses convictions internationalistes…DANIEL BENSAID, INTELLECTUEL FRANCAIS, UN DES PRINCIPAUX PENSEURS DE LA LCR (LUTTE COMMUNISTE REVOLUTIONNAIRE) AUX COTES D'OLIVIER BESANCENOT.
Moi, j’en suis bien loin de ces trotskistes à drapeaux, aux conviction d’avant garde, aux fortes pratiques de manipulation… mais Daniel, oui, je l’aimais bien!
Et pas pour ces livres politiques qui me tombaient des mains (décidément je suis nul!) mais pour un livre délirant que je considère comme un chef d’œuvre: Jeanne de guerre lasse.

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Pas envie de le résumer, d’en placer un extrait… mais ce livre, monument d’érudition historique, est aussi plein de tendresse pour une Jeanne d’Arc totalement inconnue, à qui Daniel donne une voix et un visage bien différent de ce que toute la réaction catholique et nationaliste a construit depuis des siècles.
Alors pour ce livre qui m’a marqué et pour ton grand sourire quand je t’en avais parlé, merci à toi et salut Daniel, avec tes idées, nous vaincrons!

Caillou, le 28 janvier 2010

Ici ce que ces camarades disent de Daniel Bensaid:
http://www.npa2009.org/node/15530

Plutôt l’émeute que les meutes !

Je rencontre une amie dans l’avenue, vers le centre. Elle sortait du métro, moi je marche très vite. Il fait froid et elle s’est emmitouflé la tête dans un foulard épais, comme un chèche coloré. Elle a le nez tout rouge et veut rentrer chez elle pour se mettre au chaud. Au plus vite. Mais, tout de même, avec cette irrépressible envie de discuter qui nous fait, dès fois, narguer les éléments, risquer notre confort, elle me raconte qu’elle revient d’une conférence et brusquement m’annonce qu’il n’y a plus de valeurs universelles !

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La connaissant chrétienne, je m’interroge. Comment peut-on si rapidement être inquiétée dans ses convictions les plus profondes par un conférencier, aussi talentueux soit-il ? Peut-être est-ce le froid qui lui a ramolli la cervelle, ou l’âge ? Ayant moi-même beaucoup d’heures de vol au compteur, et me découvrant de plus en plus frileux sur ce large trottoir, je m’inquiète, et pour elle et pour moi. Mais qui t’a annoncé cette mauvaise nouvelle ? Oh ! C’est Edouard Glissant !

Derrière elle, sur l’avenue, au milieu des voitures apparaissent des hommes enturbannés, barbus. Plusieurs dizaines arrivent et de toutes les rues. Sans banderoles mais avec le doigt (c’est bien l’index !) montrant le ciel couvert. Ils exigent que les filles n’aillent plus à l’école ! Ils se frappent la poitrine, ils ont l’air en colère. La femme est un danger pour notre religion ! Elles doivent être enfermées dans le sein des maisons !

Je demande à l’amie si elle en est d’accord ?
Bien sûr que non dit-elle mais cette éducation des filles, cette libération des femmes, ce respect d’une totale égalité des droits entre les êtres humains est une invention occidentale. Et l’Occident n’a pas de leçons à donner.

Un gouffre s’est ouvert. Toutes les automobiles au milieu de l’avenue tout à coup arrêtées. Les gaz d’échappement s’élèvent doucement. Le silence est total. Puis j’entends arriver le grondement qui monte du fond des entrailles de la terre sous nos pieds. (C’est peut-être un métro ?) Et nous voyons sortir du trou noir de l’abîme des centaines de soldats qui marchent en cadence. Ils sont de noir vêtus. Dans un ordre impeccable, ils se rangent en quartiers puis, à un commandement venus de quelque part, ils se mettent à crier. Tous ensemble, un seul cri, que je comprends très bien : « Mort aux juifs, mort aux nègres, peuple réveilles-toi ! »

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Je demande à l’amie si elle en est d’accord. Ce cri c’est l’Occident qui le criait pourtant ? Oui, c’est vrai me dit-elle, mais c’était dans le temps. Aujourd’hui on nous impose à tous d’être frères ! Et c’est bien une valeur de l’Occident qu’il exporte dans le monde entier ? Et si cette valeur était toute relative ? Les peuples dominés ont aussi des valeurs. Pourquoi ne seraient-elles pas aussi valables que celles qu’impose notre télévision ?

Où as-tu vu que l’on nous imposait la fraternité ? Dans les délocalisations qui mettent chaque jour des centaines d’ouvriers au chômage ? Dans les hurlements des Américains qui refusent une (petite) sécurité sociale pour permettre aux indigents de se soigner ? Dans la bouche de Mme Parisot qui s’étonne que la précarité de la vie ne s’entende pas comme la précarité du contrat de travail? Dans l’expulsion inhumaine des migrants, l’éclatement des familles ? Non, le capitalisme ne change pas. Ce qu’il impose au reste du monde c’est l’extorsion la plus rapide du profit, le marché. Il ne se sert des valeurs universelles que pour avancer son  modèle de société inégal, injuste, gaspilleur, destructeur et parfois absurde. Mais ce n’est pas une raison pour jeter le bébé avec l’eau du bain, jeter les valeurs universelles avec le capitalisme !

Dans l’avenue, ils sont maintenant des milliers à se taper sur la gueule. Antisémites contre « peuple élu », révisionnistes, afrocentristes, nationalistes russes aux crânes rasés, curés en soutanes, commandos anti-avortement, intégristes de toutes obédiences, pédotouristes en Thaïlande, chinois occupants du Tibet, bandes armées de la loi du plus fort, racailles tribales de nos banlieues, tortionnaires, terroristes, à chacun sa vérité, à chacun ses valeurs privées, à chacun sa vision du monde…

Je demande à l’amie si elle en est d’accord.
Mais elle ne me répond pas et me raconte, les larmes aux yeux, les corps nus, suppliciés, dans les décombres d’Haïti. Je les ai vus moi aussi dans nos interminables journaux télévisés. Alors je pleure avec elle.  Et oui, décidément, et nos larmes en témoignent, il y a des valeurs universelles !

Contre le pouvoir de l’argent, contre l’injustice, contre l’exploitation, plutôt l’émeute que les meutes !

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Caillou, le 18 janvier 2010

PS: Valeurs universelles… c’est mon point de vue, mais il est plein de doutes, d’incertitudes, de méconnaissances et de respect pour le point de vue contraire. Si vous avez envie de le contester vous commentez…