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La conférence de Compiègne.

Compiègne. 9 février 2011.

Le ballet des grandes voitures noires a commencé vers 18 heures.

À l’entrée du parc, les journalistes, les photographes, les caméramans des grandes chaînes de télévision mondiales, essayent de deviner, derrière les vitres teintées, les visages des officiels. Certains fanions le permettent, mais la plupart des voitures blindées sont discrètes. On murmure « Là c’est le président des Etats-Unis qui vient de passer». « Obama est déjà arrivé ? ». Une autre voix demande : «  Vous avez vu Medvedev ? »

De ce côté de l’avenue, la foule est compacte, silencieuse, recueillie, maintenue par une rangée noire de gardes mobiles. Il fait très froid. Sous la lumière dure d’un projecteur, tenu à bout de bras par un assistant, l’envoyé de CBS annonce, d’une voix dramatique, l’ouverture de la première conférence mondiale MetInvPol. Le message, transmis par satellite, est destiné au journal permanent de la grande chaîne américaine. Un enfant, au premier rang, demande à son père : C’est quoi metzinvpaul ? Le jeune chômeur qui le tient par la main lui répond « c’est un truc sur la météo, je crois… ».

À l’entrée du château, le petit président reçoit les différentes délégations. Débarrassés de leurs manteaux par les préposés des vestiaires, les invités sont ensuite dirigés par des laquais en costumes, vers la grande salle de réception, immense galerie qui occupe toute l’aile droite du château. Les rideaux de velours en cachent la double rangée de fenêtres. Les conférenciers sont placés à chaque table, les micros et les casques distribués, les boissons chaudes et froides servies et, petit à petit le silence se fait. Les huissiers passent de table en table, pour faire éteindre les téléphones portables et ils referment les lourdes portes. Les lumières baissent. Tout au bout de la salle le petit président, juché sur une estrade, tapote sur le micro. Tout fonctionne bien. Il salue tous les conférenciers, les remercie de leur présence, puis, très rapidement, d’une seule tirade, annonce le début de la conférence. «  Chers amis, comme vous le savez l’heure elle est grave, très très grave » (Le petit président ne parle pas très bien le français…) « Notre temps est compté ! Je passe donc immédiatement la parole au professeur Takaferduski qui va introduire le débat »

Une demi-heure plus tard, le spécialiste de la météorologie, repose la dernière feuille de son allocution. Le silence est total. Il vient d’annoncer au monde que le réchauffement climatique mondial, entamé depuis plusieurs années, constaté, étudié par tous les spécialistes, a entraîné l’arrêt rapide, évident, du Gulf Stream, ce courant marin irriguant tout l’Atlantique nord. Ces mouvements marins sont influencés par une force due à la rotation de la Terre, la force de Coriolis. Et il se trouve que de nombreux relevés et des calculs, vérifiés scientifiquement par des équipes pluridisciplinaires de plusieurs grandes nations ont détecté que le Pôle nord magnétique se déplace de plus en plus rapidement vers la Sibérie. « Messieurs, nous sommes devant l’évidence d’une inversion des pôles terrestres dans les mois à venir ».

Réfléchissant que, si cette inversion pouvait permettre à des pays de l’hémisphère sud, dont certains désertiques comme le sien, de reprendre un peu de vie, d’eau et d’espoir, le délégué du Botswana se lève et demande timidement au grand scientifique : « Une inversion des pôles ? Et alors ? Quelles conséquences ? »

« La probable disparition d’un grand nombre d’espèces, dont la nôtre ! » lui répond le professeur Takaferduski. « La terre évitera, lors de l’inversion du champ magnétique, une absence totale de champ. Ceci est impossible en vertu du premier principe de la thermodynamique. En effet, dans un tel cas, la quantité d’énergie jusqu’alors évacuée par le champ magnétique produirait une chaleur telle à la surface de la Terre que la majorité des espèces vivantes ne survivrait pas. Mais une modélisation de la NASA montre que pendant cette période, l’axe du champ magnétique tourne rapidement jusqu’à l’inversion totale. Et quand le pôle magnétique se situera au niveau de l’équateur, il ne permettra plus la protection des particules solaires à haute énergie, destructrices pour la vie. Ce bombardement créera inévitablement des mutations et destructions génétiques d’ampleurs variables ».

Au journal télévisé de 20 heures, cette nouvelle est abondamment commentée. Un journaliste, en pardessus, très bien coiffé, fait l’ouverture depuis la conférence de Compiègne, « Météo et Inversion des Pôles ».
Dans la petite pièce au canapé défoncé qui leur sert de salon, le jeune chômeur prend son enfant sur ses genoux et le serre contre lui. « Je crois que c’est bientôt la fin du monde ».
La télévision montre les nuées jaunes et grises des cheminées d’usines chinoises. Le brouillard sur Pékin empêche de voir la roue avant d’une bicyclette. Le gamin voit que son père est malheureux et, pour le consoler, il lui dit, tout doucement : «Heureusement qu’on va vers l’été».

Caillou, 9 février 2011.
(Avec les 6 mots de Francine, merci pour elle!)

Attention, ce texte n’est qu’un jeu littéraire.
Il ne faut pas lui accorder d’intérêt scientifique. En effet, depuis 2005,
nombre de sites web brodent sur ce phénomène. Mais beaucoup avancent des
hypothèses propres à un esprit sectaire, mystique, ou de l’ordre de la conspiration. On peut lire :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Courant_marin
http://fr.wikipedia.org/wiki/Inversion_du_champ_magnétique_terrestre

La multinationale.

Un pastiche de l’Internationale…
chant révolutionnaire d’Eugène Pottier et de Pierre Degeyter

La multinationale

Debout, nous sommes les actionnaires
Debout, c’est nous qui engraissons
La bourse qui tonne en sa soupière
Sainte église ! Notre religion
Du travail faisons table rase
Seul l’argent est signe du bonheur
Maintenir le sud en esclavage
Tenir le nord en consommateurs.

  • Refrain :
    C’est un monde idéal
    Sans frontières et sans loi
    La multinationale
    A remplacé les rois
    C’est un monde idéal
    Sans frontières et sans loi
    La multinationale
    A remplacé les rois

Nous pillons toutes les richesses
Nos brevets volent le vivant
Sous l’soleil la terre devient détresse
Mais nous aurons nos taux de rendement
Peu importe si les gens veulent croire
Qu’ils sont en démocratie
Quand nos banquiers ont le pouvoir
L’état leur sert d’alibi

  • Refrain

Et quand un pays a la rage
Nos agences de notation
Le ruinent, l’enferment dans une cage
Et cela fait peur aux couillons
Tant que nous grossirons encore
L’empire sera notre futur
Après nous ce sera la mort
De cette planète sépulture

Caillou, 5 février 2011
(Avec les 6 mots de Gaby, merci pour elle!)

Etre et avoir été

La maison de mes grands parents se voit déjà au loin sur la colline.
Mon père, dans son costume noir, est au volant de son automobile.
Arrêté, au feu rouge, au coin de la rue de la Martinière, il la désigne du menton  et me demande :
– Depuis combien de temps n’es-tu pas venu jusqu’ici ?
Je réfléchis. Nous sommes partis en Australie où mon père avait été nommé, lorsque j’avais 12 ans et depuis notre retour, il y a 4 ans, je ne suis pas retourné voir le Papy, donc cela doit faire 8 ans.
– Un bon bout de temps, quand j’étais gosse et que je venais passer les vacances.
Georges hausse les épaules et s’adressant à ma mère, il lance, d’un air désolé :
– Heureusement que mon père venait souvent nous voir. Dire, que nous revenons à Palaiseau, avec le gosse, juste pour son enterrement, t’avoueras que c’est triste.
Et maman, elle, ne dit rien.
Papy venait souvent chez nous, surtout ces derniers temps. Après la mort de ma grand-mère, deux ans auparavant, il venait passer quelques jours à notre appartement, souvent le samedi et le dimanche, ou pour des fêtes, anniversaire ou fin d’année. Il apparaissait, avec sa petite valise en cuir et sa canne, sortant tranquillement du RER. Soucieux de son indépendance, il repartait discrètement, laissant souvent un petit mot sur la table de la cuisine. Dans la chambre du fond du couloir, moitié chambre d’amis et moitié débarras, son lit était toujours disponible. Il se posait dans un fauteuil et regardait tranquillement la télévision tandis que toute notre famille s’agitait autour de lui. Enfin, famille, c’est vite dit puisque nous ne sommes que trois. Papy aimait le bon vin et mon père lui débouchait souvent une bonne bouteille de St. Joseph. Il souriait en tirant le bouchon et nous nous asseyions autour de la table. Maman plaçait la cocotte fumante sur le dessous-de-plat. Mon père était content d’avoir le Papy avec lui.
Et puis voilà qu’en quelques jours, mon grand père, entre la visite du médecin, l’ambulance, l’hospitalisation à Orsay, le temps de le revoir une dernière fois, tout gris, dans ce grand lit tout blanc, avait tout aussi discrètement, sans une plainte, pas un mot plus haut que l’autre, tiré sa révérence. Le papy était mort et ce matin, à l’arrière de la voiture familiale, avec mes parents devant, je regrettais tellement de ne pas avoir plus parlé avec lui, de ne pas avoir pu mieux le comprendre. Une occasion ratée qui ne reviendrait plus !
– Tu viens ?
Ah oui, nous sommes arrivés. Papa a ouvert le portail et nous sortons de l’automobile, maman et moi. Déjà quelques voisins se sont réunis à l’entrée du chemin. Il fait froid et le silence général est pesant juste entrecoupé par les murmures des condoléances que les femmes en noir viennent chuchoter à l’oreille de mes parents.
Le fourgon des pompes funèbres va arriver d’un moment à l’autre.
Je rentre dans la maison de mes grands parents. Que va t-elle devenir ? Avec son travail, mon père ne peut envisager de venir nous y installer ! Il ne se l’avoue pas, mais devra certainement la vendre. D’autant que le prix des terrains attire ici les promoteurs. L’époque n’est plus à ces petites bicoques vieillottes avec des grands jardins. D’autant que je vais bientôt quitter le domicile familial. À la rentrée universitaire, je vais déménager à Toulouse pour entrer à l’ENAC, l’école des ingénieurs de l’aviation avec le concours d’entrée en poche. La maison est déserte et glacée. Je rentre dans la cuisine et en regardant tout autour de moi je me rends compte que rien n’a changé ici depuis mon enfance. Ah, si, la cage posée sur le rebord intérieur de la fenêtre est vide et ouverte. J’y ai, dans mon souvenir, passé des heures à contempler le couple d’oiseaux, des becs de corail, qui y voletaient à mon approche, affolés puis qui se posaient sur la petite balançoire en me guettant de l’œil. J’étais ici, chaque été, pour les grandes vacances et je courais les bois avec les autres gamins du quartier, hurlant des cris d’indiens pourchassés par les cavaliers bleus et c’est au retour de ces grands aventures que ce couple d’oiseaux fascinait l’enfant que j’étais et que je ne suis plus. Ma grand’mère, revenant du jardin, le panier sous le bras, éclatait de rire lorsque elle me retrouvait silencieux et suant à genoux sur cette chaise paillée, devant la cage, et cet éclat de rire affolait les oiseaux qui battaient frénétiquement des ailes, perdant même quelques petites plumes.
Mamie faisaient des confitures de mures, parfois d’oranges amères. Papy me montrait les coins de pêche sur les bords de l’Yvette, c’était il y 8 ans et cela me semble loin.
Dehors le fourgon arrivé de l’hôpital s’est garé sur le chemin et j’entends les claquements de portes et le brouhaha de la foule qui s’approche. Il me faut revenir près de mon père et reprendre ma place dans le monde réel. Je fais un petit tour dans le salon du rez-de-chaussée puis je reprends le couloir de l’entrée, et là, je me retourne et me regarde, surpris dans le miroir toujours fixé à droite de la porte d’entrée.
Je ne suis plus ce que j’étais, la porte s’est refermée, cette gueule de jeune homme sérieux prêt à affronter la vie n’a plus rien à voir à l’enfant qui courait dans cette maison, qui bientôt va, elle aussi, disparaître.
J’étais et suis maintenant autre chose, et cette épreuve brutale est comme une chrysalide.

Caillou, 30 janvier 2010.
(Avec les mots de Christiane: cage / chrysalide / éclat / chemin / enfant /miroir
.
Merci pour elle !).

Juste un instant entre l’café et l’addition

Chartier 3

C’est juste le moment de la fin du repas
quand il fait froid dehors
que je ne connais pas le reste du programme.
Qu’allons nous faire après ?

Chartier1

Un moment de répit dans une course folle.
Qu’on savoure en silence
début de somnolence
avant de se lever.

Chartier 2

Autour de nous les gens vont partir au travail
ne parlent que de ça, ne goûtent pas les plats
Ils ont mangé très vite, attendent l’addition
nous irons rêvasser dans les expositions.

Chartier 5

C’est un instant si beau
un peu court mais très fort, où je me perds un peu
puis je me me ressaisis
avant de repartir.

Chartier 4

Il n’est pas de sauveur suprême
même si, des fois, je voudrais bien!
Mais il ne reste que la haine
pour tous ces chiens qui nous gouvernent…

Caillou, 1er décembre 2010

Bouillon ChartierCe restaurant, le Bouillon Chartier, au début de la rue du Faubourg Monmartre, à Paris, est incontournable. Par son menu, peut-être, mais surtout par son cadre.
C’est une plongée dans l’Histoire.
À midi il faut y être de bonne heure et avoir de la patience…

la passerelle… suite.

Vient de sortir un livre. De Robert Bober: On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux. Un article (élogieux) dans le Monde du 2 septembre. Et une photo qui me saute aux yeux:

tournage-jules-et-jim

Je cours acheter ce bouquin…

J’y trouve des lieux. Des lieux de tournage du film de Truffaut, Jules et Jim. Un texte magnifique pour ceux qui connaissent un peu le Paris des années 60 et qui en ont de la nostalgie… Mais toujours pas d’indication sur cette passerelle qui me hante…

J’ai écrit une nouvelle (https://www.cailloutendre.fr/2008/01/la-passerelle/) sur ce lieu. J’ai cherché depuis trois ans cette passerelle dans tous les livres que j’ai pu lire sur Jules et Jim ou sur François Truffaut. J’y ai trouvé le moulin, la maison, le quai, le chalet en Alsace, bref tous les lieux de ce film mythique… Mais pas la passerelle où Jeanne Moreau, déguisée en garçon, court devant les garçons et éclate de rire.julesetjim

Et pourtant je suis sûr que je la connais cette passerelle ! Cela remonte au temps où j’habitais Vitry avec Maria, Claudie et Jean-Mi. En 1973. Je travaillais alors rue de Toul, dans le douzième et je passais par cet endroit, en vélo, pour traverser les voies de la gare de Lyon.

charenton-1

J’étais tellement certain que c’était sur ce chemin que j’y suis retourné, en janvier 2008. J’ai cherché, du côté de Charenton. La passerelle de Valmy. Toujours aussi longue, mais rénovée à un tel point que je ne la reconnaissais pas. Les passants rencontrés, à qui je demandais s’ils se souvenaient d’une ancienne passerelle, fermée, avec des grilles plus hautes, m’avouaient ne pas avoir connu d’autre passerelle que celle-ci mais depuis combien de temps habitaient-ils ce quartier ?

Alors je suis reparti en chasse et j’ai fini par trouver! Une vieille photo… Sur internet…

la passerelle de Valmy

… tout en haut d’une page d’un bulletin de la ville de Charenton-le-Pont.

bulletin-charenton

Quelques coups de téléphone plus tard et je suis renseigné par une dame charmante qui s’occupe du Service des Archives de la ville. Elle me confirme que c’est bien la passerelle de Jules et Jim. Elle me raconte d’ailleurs que c’est aussi à cet endroit que Melville a tourné une scène du Samouraï avec Alain Delon.

Voilà, pendant qu’une grande partie de la France est dans la rue pour réclamer l’abandon de ce projet inique sur les retraites, pendant que le comité de quartier de St.Michel, à Toulouse, continue à réclamer le classement de sa prison en “Monument Historique”, moi je trouve enfin la solution d’une quête un peu absurde…

J’ai renoué les liens entre Vitry, Jules et Jim, mon parcours en bicyclette, Catherine, (cette femme libre qui ne choisit pas entre ces deux hommes) et mes trous de mémoire: “j’ai la mémoire qui flanche, j’me souviens plus très bien”.

D’ailleurs, par dessus les voies ferrées, le soleil perçait les nuages. Il me faisait signe. M’indiquant que c’était bien là et moi, comme un imbécile, je ne le voyais pas!

charenton3

Caillou, 24 septembre 2010

Il faut raser la prison St.Michel à Toulouse !

Je ne signerai pas cette pétition.

Ce monument est hideux. Le castellet, faux château médiéval en briques, fait penser à du Disneyland de carton-pâte, au rocher du zoo de Vincennes, au Sacré-Cœur parisien, l’immense étron qui domine Montmartre… Quant à l’intérieur, la rotonde et les 5 branches à quoi cela pourra-il servir ? Pour tourner des films ? Pour ouvrir un musée ? Mais alors très sombre…
Toute cette architecture de la terreur ne mérite que la poubelle et certainement pas un classement “Monuments Historiques”.
Reste alors “le lieu de mémoire”. Mais pour tous ceux qui ont souffert dans cette prison, pour les résistants, pour Marcel Langer et ses camarades, il vaudrait mieux une jolie plaque sous un grand arbre que cette énorme chose sinistre et hideuse. Non, décidément non, ll faut raser la prison St. Michel et construire à la place des locaux collectifs aérés et lumineux donnant sur des parcs pour y voir s’ébattre des enfants. Ne pas céder le terrain aux promoteurs immobiliers mais ne pas obliger les habitants du quartier à vivre auprès de cette horreur.

Ceci-dit, je transfère quand même votre pétition.
Caillou le 16 septembre 2010

A renvoyer au : Comité de quartier Saint-Michel – 95 Grande rue Saint-Michel – 31400 Toulouse (cqsm@hotmail.fr)

 

Je ne suis pas français, je suis ouvrier!

– Écoute, Georges Fontenis est mort.
– Ah flûte ! Quand çà ?
– Hier. L’enterrement c’est vendredi. Je vais y aller. Il y aura les copains.
– Je ne vais pas pouvoir y aller mais cela me rappelle tellement de choses, des tas de souvenirs. L’Alternative Libertaire va faire quelque chose?
– Certainement.
Je raccroche. Georges était malade depuis très longtemps et je m’en veux de ne pas avoir osé lui téléphoner depuis, depuis… depuis au moins deux ans. Depuis la mort de T. Je l’avais surtout connu lorsque nous avions, il y a une dizaine d’années édité son bouquin: Changer le monde.

L’ancien dirigeant de la Fédération Communiste Libertaire avait été diabolisé! Georges était le diable. C’était comme cela qu’il s’était présenté, un soir, dans un relais autoroutier, du côté d’Orléans, de retour d’une manifestation nationale des collectifs chômeurs, en 97 ou 98, alors que je lui faisais connaître un copain anarchiste de Limoges. Et c’est toujours ainsi que certains anarchistes le désignent. Il suffit, même après sa disparition, d’aller voir les forum de discussions libertaires.

http://forum.anarchiste.free.fr
http://forum.anarchiste-revolutionnaire.org
http://endehors.net

Moi je m’en souviens comme un type chaleureux, pas dogmatique pour un sou, plutôt drôle, et qui avait le sens de l’amitié par dessus tout. Et puis je me souviens surtout de cette réunion à Toulouse, ce devait être il y a dix ans, dans la salle de la FOL, rue des Amidonniers. Oh, nous n’étions pas très nombreux, une trentaine peut-être et nous nous connaissions presque tous. Georges Fontenis était venu présenter son livre. Il répondait aux questions, racontait l’histoire de la FCL, la Fédération Communiste Libertaire, et comment cette organisation avait disparu sous les coups de la répression policière et judiciaire pour avoir, dès 1954, soutenu activement l’indépendance algérienne.

Georges demanda alors le témoignage d’un de ses vieux copains, venu tout exprès du Larzac: Pierre Morain. Et celui-ci raconta l’histoire de la manifestation du 1er Mai 1955 à Lille. Comment, jeune militant de la FCL, il avait, avec d’autres, rejoint le cortège des ouvriers algériens, dès le départ de la manifestation syndicale et comment les flics avaient chargé, puis tiré, dès l’apparition du drapeau vert et blanc. Lors de son procès, au Tribunal de Lille il répond au Procureur ou au Président du Tribunal qui lui demandait ce qu’il faisait, lui, Français, dans cette manifestation: “moi je ne suis pas français, je suis ouvrier”. Cette phrase je m’en souviens encore, je l’ai citée depuis le plus souvent possible. Mais ce dont je me souviens aussi c’est de Georges Fontenis, la main sur l’épaule de “son vieux camarade” se mettant à pleurer en rappelant ensuite les mois de prison, les amendes énormes, le journal “Le Libertaire” constamment saisi, puis la clandestinité et la disparition du courant communiste libertaire.

Oh, je sais… Cette histoire est incroyable parce que cette résistance là au colonialisme français a été depuis totalement gommée. D’abord parce que dès 1954 ces libertaires français avaient soutenu le MNA, bien implanté en métropole et dont ils connaissaient certains militants et non le FLN, surtout  présent en Algérie. Comme c’est le FLN qui a arraché l’indépendance, l’Histoire algérienne a oublié et nié le MNA de Messali Hadj et ses soutiens français. Comme me l’écrit Pierre Morain : En ce qui concerne le soutien préférentiel au MNA, effectivement, nous ne connaissions pas encore le FLN. C’est en prison, à Douai, que les copains algériens et moi avons appris le création de la Fédération FLN en France.9782020060967FS
L’autre raison de cet oubli de l’histoire c’est que l’anticolonialisme de la FCL était fondé sur une solidarité de classe entre travailleurs algériens et français. Le PCF qui aurait pu et du avoir ce type de réaction considérait quand même les Algériens comme des travailleurs différents, étrangers. Il n’y eut, à cette époque, que les trotskistes (de tendance Franck ou de tendance Lambert) a avoir cette réaction viscérale. Plus tard, en 57, 58, c’est par conviction philosophique, rejet de la torture, antimilitarisme, refus de la conscription, voir conviction religieuse,  que d’autres se lancèrent, courageusement, dans le soutien au FLN, entre temps bien implanté dans l’immigration, sous le nom de “porteurs de valises”. Lire sur ce sujet le livre de Sylvain Pattieu: Les camarades des frères: (http://bataillesocialiste.wordpress.com/2007/05/26/411/) et, plus connu, Les porteurs de valises de Hamon et Rotman paru au Seuil, en poche)

Alors que d’autres “anarchistes”, ceux de la FA, (Fédération Anarchiste) se retranchèrent prudemment en renvoyant dos à dos les deux nationalismes français et algériens, gardant ainsi les mains propres, c’est l’honneur de la FCL et de Georges Fontenis d’avoir été, dès le début, du côté de l’Algérie libre.

Moi qui me contrefous (maintenant) des batailles idéologiques lorsqu’elles sont détachées des situations concrètes (comme il est dit dans la chanson: c’est reculer que d’être stationnaire, on le devient à trop philosopher) j’ai pour Georges Fontenis, qui disparaît aujourd’hui, et ses copains comme Pierre Morain, une amitié profonde. Ils ont fait, par solidarité ouvrière, ce qu’ils ont pu, comme ils l’ont pu, et c’était bien mieux que de se cantonner à être spectateur. Et en tout cas bravo pour cette réplique: Je ne suis pas français, je suis ouvrier.

Caillou, 6 septembre 2010

Lire aussi http://www.alternativelibertaire.org/spip.php?article3685

Sur cette histoire de la manifestation du 1er Mai 1955 à Lille j’ai retrouvé une dizaine de pages dans l’excellent livre de Jean-René Genty Le mouvement nationaliste algérien dans le nord (1947-1957) paru aux éditions l’Harmattan. Je les copie ci-dessous en le remerciant de m’y avoir autorisé.

Le tournant de mai 1955

Les incidents du 1er Mai

La participation des nationalistes algériens aux défilés syndicaux du premier mai faisait partie de l’exercice militant. Pour le 1er Mai 1955, le Mouvement National Algérien s’efforça de continuer la tradition et appela ses militants et adhérents à participer aux manifestations sous leurs propres couleurs. Cependant la situation avait considérablement évolué depuis l’année précédente. D’une part, les nationalistes étaient d`une manière ou d’une autre en guerre contre la métropole et d’autre part, la tension avec le mouvement communiste n’avait jamais été aussi vive. Les événements du 1er mai allaient illustrer cette réalité.
Comme chaque année, l’union locale C.G.T organisait un cortège pour le jour de la fête du travail. Le 1er Mai 1955, dès 8h30, 1200 Algériens venus de Roubaix, de Tourcoing et des principales villes du bassin minier se rassemblèrent rue Gambetta devant la Bourse du Travail. Les journalistes notèrent la présence d`un important service d’ordre qui encadrait les manifestants. À 10h 15 les Algériens laissèrent passer le cortège de la C.G.T emmené par plusieurs fanfares. À 10h30, le responsable du M.N.A lançait un mot d’ordre en arabe et les 1200 manifestants algériens se placèrent sur la chaussée, arborant le drapeau vert et blanc ainsi que des pancartes et des banderoles
Le commissaire de police chargé de suivre la manifestation demandait alors aux Algériens de retirer les symboles du nationalisme. La direction de la CGT tentait une médiation, mais le responsable du M.N.A répondit : « que leur présence et leur manifestation n’avaient rien de commun avec celle de la C.G.T. Que leur projet était de réclamer la libération de Messali Hadj »
Les forces de police reçurent l’ordre d’intervenir. Elles laissèrent passer le cortège métropolitain et bloquèrent les Algériens à l’intersection de la rue Gambetta et du Boulevard Solférino en tentant de s’emparer des banderoles et des pancartes. Les affrontements très violents durèrent plusieurs heures dans tout le quartier situé entre la préfecture et le théâtre Sébastopol. Dans un article de novembre 1955, « Nord-Éclair » dressait un bilan des dégâts occasionnés qui témoignait de la violence des affrontements. Pour 160 dossiers de dommage sur 200 la somme à payer était de 5084817 F. 80% revenant à la charge de l’État. Cinquante véhicules furent endommagés et leur répartition permet de délimiter la zone des affrontements.

RUES
Rue de Puebla                   1
Rue Solférino                    7
Rue Nationale                   6
Rue Jacquemars Giélée      2
Place de Strasbourg          1
Rue Boucher de Perthes    2
Boulevard de la Liberté     6
Boulevard Vauban            1
Rue Gambetta                  1
Rue Sébastopol                1
Total                               26

Un responsable du M.N.A décrit des années plus tard la violence des affrontements:
“. . .Nous, on s’est dispersé en plusieurs groupes dans les autres rues. Il y avait des voitures des deux côtés de la rue. On a commencé à frapper avec n’importe quoi, surtout des briques. Il y avait des monts de briques juste au bord de la rue, à côté d’une église. C’est là que ça a commencé. Il y avait même un camion plein de bouteilles de lait, des bouteilles de verre. On l’a arrêté, le chauffeur est parti. Toutes les bouteilles de lait sont parties sur les forces de l’ordre. Des fois, ils viennent, on charge. Des fois, on les fait reculer jusqu ‘à la place. J’ai vu des C.R.S blessés, tombés à côté des trottoirs… C’était le mois de carême à ce moment-là, et on est même resté jusqu’à une heure de l’après-midi. La place de la préfecture était encerclée par les policiers et nous on les encerclait de chaque côté avec des bâtons, des cailloux et des briques. Eux ils tiraient. Ils ont tiré sur nous. On a eu sept blessés, un qui est resté sur le tas, blessé à la cuisse, il n’a pas pu s’enfuir. Les autres on les a mis dans les voitures”.
L’évocation de ces scènes par la presse régionale valide le témoignage du militant en soulignant la violence des affrontements et particulièrement  l’utilisation par les Algériens de briques et de boîtes de conserve remplies d’essence enflammée. Les charges de police furent nombreuses et violentes. Le quotidien communiste «Liberté» donna une description circonstanciée:
” Alors que la tête du cortège se trouve à l’extrémité  de la place de la République, au moment où un important groupe de Nord-Africains, qui attendait rue Gambetta, veut se joindre à la manifestation comme cela se fait chaque année, la police intervient. C’est le déclenchement de la brutalité policière. Les Nord-Africains sont personnellement visés… Des  Algériens qui s’étaient réfugiés dans des cafés de la rue Gambetta sont jetés dehors par la police et acculés contre les vitrines et sont matraqués violemment. Les C.R.S. viennent en renfort. Quelques bombes lacrymogènes sont lancées, des vitrines volent en éclats, les Nord-Africains ne savent pas où s’échapper,poursuivis par les CRS. bientôt ils ripostent à coups de cailloux…”

Seuls contre tous ?
Comment interpréter ces événements lillois ? Rappelons d’abord qu’ils ne furent pas circonscrits à l’agglomération lilloise. Des incidents survinrent dans la plupart des villes industrielles de la région. Ces affrontements doivent être replacés dans le climat très tendu qui régnait alors entre forces de l’ordre et militants algériens.Depuis 1949, les défilés du premier mai étaient emmaillés d’affrontements très violents. De manière plus générale, la violence imprégnait fortement les rapports sociaux dans la région du Nord depuis les années trente. Les grèves de 1947 qualifiées d’insurrectionnelles étaient encore très proches dans le temps. Tant les techniques de maintien de l’ordre que les comportements individuels ne contribuaient guère à diminuer la tension. Le rapport journalier du commissaire  central de Douai montre bien l’état d’esprit et la manière d’agir des forces de l’ordre et des manifestants.
“Vers dix heures, une centaine de Nord-Africains ont réussi par petits groupes à s’infiltrer à l’intérieur du dispositif de police contrôlant les voies et les ponts donnant accès au centre-ville. Ces Nord-Africains se sont groupés en quelques minutes, Place d’Armes à Douai où ils ont tenté de former un cortège en vue d’une manifestation dans le centre-ville. Ces manifestants ont été immédiatement dispersés par des éléments du corps urbain présents sur les lieux où est également arrivée une demi C.R.S. qui a continué à refouler des Nord-Africains en désordre vers les quartiers arabes, puis vers l’extérieur de la ville. Au cours de cette brève échauffourée, un sous-brigadier et deux gardiens de la paix ont été légèrement blessés. De leur côté, plusieurs Nord-Africains ont été plus ou moins contusionnés au contact des forces urbaines. Au total 24 Nord-Africains ont été appréhendés au cours de la journée et, sur 9 d’entre eux déférés au Parquet pour port d’armes prohibées, détention de banderoles séditieuses et rébellion, 8 ont été écroués. Un autre Nord-Africain en état de désertion, venu de Paris, a été remis au service de la Gendarmerie de Douai.”
Les affrontements lillois au cours desquels les Algériens se retrouvèrent isolés s’inscrivaient dans le divorce définitif entre la gauche ouvrière métropolitaine et le nationalisme algérien.
À Paris, le 1er Mai 1955 avait été particulièrement difficile. Des milliers d’Algériens avaient défilé sous leurs propres couleurs. À l’issue de cette manifestation, plusieurs centaines se rendirent par petits groupes au meeting de Vincennes, organisé par la C.G.T et le P.C.F. Là, ils déployèrent des banderoles portant les mots d’ordre du M.N.A., des drapeaux algériens et des portraits géants de Messali et de Moulay Merbah. Lorsque les dirigeants de la C.G.T refusèrent la prise de parole d’un responsable du M.N.A., les Algériens quittèrent en masse le meeting. On retrouvait là une pratique habituelle des nationalistes algériens qui n’hésitaient pas depuis de nombreuses années à « pirater » les meetings de la C.G.T. Mais à de nombreuses reprises au cours de la période 1947-1953, le mouvement communiste, et notamment la C.G.T., ne refusait pas l’appoint des migrants. Les comptages effectués par la police et par la presse montraient à l’évidence que les Algériens fournissaient la grande majorité des participants aux défilés du premier mai dans la région. Cela était peut-être moins vrai dans la région parisienne, encore que les Algériens constituaient un apport précieux, si on en croit la réflexion cynique de Jacques Duclos citée par Philippe Robrieux. S’appuyant sur le cahier sur lequel l’intéressé prenait des notes lors de réunions, l’historien rapporte que lors des réunions  préparatoires des 19 et 26 mai 1952   aux manifestations de protestation contre la venue du général Ridgway, le secrétaire général par intérim du parti communiste aurait tenu le raisonnement suivant: il faut donc «  faire plus pour que les ouvriers français soutiennent les Algériens dans leur lutte, ce qui nous permettrait de les avoir avec nous contre Ridgway … même si c’est seulement sur le mort d’ordre « Libérez Messali » qu’ils manifestent ». À la fin de cette journée de manifestation Jacques Duclos fût arrêté. Ces attitudes laissaient entrevoir des arrière-pensées peu propices à des alliances porteuses politiquement. Il est vrai que le combat anticolonial demeurait circonscrit à des milieux très restreints.
Les relations entre organisations continuèrent de se dégrader. Mais il est intéressant pour éclairer le débat de s’attarder sur les réactions du mouvement communiste à la suite des affrontements du premier mai 1955 à Lille. Au moment des faits, l’absence de réactivité apparaît patente, encore que les responsables essayèrent de s`entremettre entre la direction du M.T.L.D. et les forces de police. On peut d’ailleurs s’interroger sur la possibilité d’organiser une riposte politique à chaud dans des scènes d’émeute.
Le quotidien communiste «Liberté » donna une version édulcorée qui gommait toute césure entre manifestants algériens et métropolitains. À l’issue de la manifestation, Louis Manguine, figure historique du parti communiste dénonça « la politique des pleins pouvoirs, les lois scélérates et la loi d’urgence ». Une délégation comprenant des responsables du parti communiste, de la C.G.T. et du Secours Populaire se rendit à la Préfecture « pour protester contre les violences policières ». Les discours tenus par les responsables du mouvement communiste et les actions organisées montraient la difficulté pour le parti communiste de se positionner dans ces affaires. Les Algériens fournissaient un apport appréciable des effectifs cartés à la C.G.T. et la direction devait évidemment en tenir compte. Mais, épouser trop étroitement ou tout au moins regarder avec bienveillance les mots d’ordre du mouvement nationaliste ne devait pas entraîner une coupure trop forte avec les ouvriers métropolitains. Les communistes avaient connu la difficulté depuis le début des années cinquante dans les grandes unités employant une main-d’œuvre algérienne relativement nombreuse. Cette difficulté était peut-être encore plus marquée dans la région du Nord où le mouvement ouvrier s’était ressourcé au patriotisme le plus ombrageux. Le parti mit donc 1’accent sur la lutte contre la guerre. Le 19 mai 1955, le conseil des ministres décidait le rappel de 500 000 hommes. À partir d’octobre, le parti communiste se mobilisa dans la lutte contre les rappels.

La répression du mouvement

Les premiers procès des manifestants arrêtés se déroulèrent devant le tribunal correctionnel à partir de la deuxième quinzaine de mai. Mais les suites furent à la fois amplifiées et occultées par l’affaire Pierre Morain.
Au début de juillet, la presse locale annonça l’arrestation à Roubaix d’un communiste libertaire, Pierre Morain, et le démantèlement d’une cellule anarchiste recrutant en milieu algérien. Depuis juin 1952, la fédération anarchiste avait été prise en main par un groupe clandestin, l’Organisation-Pensée-Bataille, dirigé par l’instituteur Georges Fontenis. Le groupe se réclamait ouvertement du communisme-libertaire et donna une orientation activiste à la vieille fédération. Il s’engagea vigoureusement aux côtés des nationalistes algériens. Ce fut dans ce contexte que Pierre Morain, jeune ouvrier terrassier originaire de la région parisienne, vint s’établir à Roubaix à la mi-avril 1955, en accord avec la direction du M.N.A. Militant C.G.T., il avait pour mission de favoriser les contacts entre nationalistes algériens et syndicalistes français. Il se rendit vite compte de la difficulté de la tâche.
« Dans l’entreprise Carrette-Duburcq, de Roubaix, où je travaillais à partir du 21 avril, je n’ai pas entendu parler de section syndicale. J’étais sur un petit chantier avec surtout des travailleurs algériens. Du côté français pour créer le comité de soutien, je suis parti de zéro et les événements se précipitant, je suis resté au même plan. J’avais bien deux adresses d’abonnés au « Libertaire » sur la région, mais ce n’était pas des militants. Le premier contact le faisait rencontrer un lecteur plutôt style Fédération Anarchiste, qui, sous prétexte d’internationalisme, renvoyait dos à dos nationalisme algérien et nationalisme français sans prendre parti. »
En fait Pierre Morain se consacra essentiellement à la vente au numéro dans les cafés algériens du « Libertaire ». Le journal était bien accueilli car il consacrait beaucoup de place au combat national et publiait régulièrement des communications de Messali Hadj.
Pierre Morain participa au défilé du premier mai à Lille où il fut un des rares métropolitains à faire le coup de poing aux côtés des Algériens. Militant du Mouvement de Libération Anticolonialiste (M.L.A.) qui, à Paris, rassemblait des anarchistes, des trotskistes et des militants appartenant à la mouvance qui deviendra ensuite la « Nouvelle Gauche », il rédigea un tract dont il disposa des exemplaires aux arrêts de bus de Roubaix, Tourcoing et Croix. Une patrouille des douanes – on se trouve en zone frontalière – l’interpella et releva son identité. Le lendemain, la B.S.T. perquisitionnait l’hôtel café restaurant où il logeait et procédait à un long interrogatoire au cours duquel les policiers tentaient de savoir s’il était l’auteur de l’article sur le premier mai à Lille publié par « Le Libertaire ». Le 29 juin, Pierre Morain était arrêté, inculpé de « reconstitution de Ligue dissoute » pour sa participation à la manifestation du premier mai. Le Libertaire titrait de la manière suivante son édition du 7 juillet 1955: “Notre camarade est le premier militant anticolonialiste français incarcéré depuis le débuts des événements de novembre“.
Le premier juillet, la Cour d’Appel de Douai prononçait des condamnations qui alourdissaient les peines de première instance par le Tribunal Correctionnel de Lille à l’encontre d’un groupe de manifestants lillois :

Tableau des peines prononcées
NOM                     Age    Profession    Résidence    1ère peine    Appel
Rabah Chalal        24       Manœuvre    Tourcoing    1 an             2 ans
Moktar Goun                   Manœuvre    Roubaix       10 mois       18 mois
Amar Bouzeria      29       Teinturier     Lille             1 an             18 mois
M. Bentayeb          32       Manœuvre    Roubaix       6 mois         6 mois

Le 29 juillet, le procès d’un second groupe de manifestants se déroulait devant le Tribunal Correctionnel de Lille pour reconstitution de ligue dissoute et participation à la manifestation du premier mai. Pierre Morain figurait parmis les prévenus au titre du premier chef d’inculpation. Celui-ci s’appuyait sur les articles publiés par « le Libertaire » au sujet desquels l’accusation affirmait qu’il en était l’auteur. La défense était assurée par Maître Dechezelles du barreau de Paris, avocat des nationalistes algériens et Maîtres Rohart, Portallet, Noiret et Foucart du barreau de Lille.

Effet du temps qui s’était écoulé ou efficacité de la défense ? Les peines prononcées cette fois-ci semblèrent moins sévères.
Nom des prévenus      Peines prononcées par le tribunal correctionnel
Aït Ahia                       5 mois
Amarouche Amar         relaxé
Benaïssa Mohamed      1 mois
Bouzar Azonaou          1 mois
Ghamma Ali                2 mois
Ghétouane Ahmed      1 mois
Dellas Ali                    relaxé
Ghalmi Abdelkader     2 mois
Ghoul Saïd                  2 mois
Guelial Maklouf          acquitté
Haman Mohamed       40 jours
Khelifi Amar               1 mois
Kirouche Maklouf       3 mois
Mekki Amar               5 mois
Medjane                    3 mois
Ouali Saïd                  1 mois
Gulni Lakdar              40 jours
Ourachi Omar            1 mois
Saoune Ahmed          relaxé
Tiloua Boufjena         5 mois
Zechlache Brahim      40 jours
Nechak                      4 mois
Morain Pierre             5 mois
Guellal Said                acquitté

La thèse de la police apparaissait curieuse dans la mesure où elle affirmait avoir démantelé une cellule communiste libertaire implantée chez les migrants algériens. En fait la réalité était tout autre. Les manifestants arrêtés proclamaient leur appartenance au Mouvement National Algérien et se réclamaient de la filiation du M.T.L.D. Les avocats soulignèrent que la manifestation du premier mai 1955 était légalement autorisée et que les incidents avaient été provoqués par les charges de la police.
Jusque là, la présence d’un ouvrier métropolitain sur les bancs des prévenus n’avait pas vraiment attiré l’attention. Tout devait changer à partir de septembre. L’affaire Pierre Morain commençait.

La mobilisation des anticolonialistes radicaux : l’affaire Pierre Morain.

Le parquet de Lille fit appel de certaines condamnations de juillet. Parallèlement, on apprenait que Pierre Morain devait être transféré à Paris pour être présenté à un juge d’instruction de la Seine.
À la fin du mois de septembre, la cour d’Appel de Douai aggravait les condamnations

Nom               Métier          Résidence     Âge       1ère peine    Appel
Aït Ahia          Maçon          Roubaix                     5 mois          10 mois
Benaïssa         Roubaix                           28 ans    1 mois          2 mois
Bouzar            Plisseur       Tourcoing     22 ans    1 mois          2 mois
Dellias Ali       Emballeur    Tourcoing                    acquitté       2 mois
Morain Pierre  Terrassier    Roubaix        25 ans    5 mois          1 an
Nechac           Journalier     Lille              21 ans    4 mois          10 mois

Le cas de Pierre Morain commençait à attirer l’attention. Le procureur lui avait réservé un sort particulier dans son réquisitoire : “pour Morain, le cas est plus grave, car, Messieurs, Morain est français…”

Devant la lourdeur de la peine et les autres procédures qui s’annonçaient, un comité se constitua à Paris, regroupant les différents milieux anticolonialistes emmenés par Jean Cassou, l’historien d’art résistant, Claude Bourdet, ancien responsable du mouvement Combat, Daniel Guérin, qui était alors très proche de la Fédération Anarchiste et l’avocat Yves Déchezelles. En fait, le comité était surtout animé par deux militants anarchistes, Jacques Danos et Armand Robin.

Le comité pour la libération de Pierre Morain devint un des premiers lieux de regroupement  des anticolonialistes radicaux. Il permit de mener une campagne de popularisation de la cause des nationalistes algériens et notamment de ceux du M.N.A. Le 27 octobre 1955, « le Libertaire » annonçait l’adhésion au comité de Messali hadj. Le 17 novembre « L’Express » publiait une note en soutien à Pierre Morain signée d’un nom prestigieux Albert Camus. Au sujet de ce dernier, il convient de rappeler que le triomphe du F.L.N. et la mise en exergue des soutiens dont il bénéficia dans les milieux intellectuels français, ainsi que les échos d’une querelle mise en scène autour de citations placées hors de leur contexte (la mère ou la justice) ont complètement occulté le fait que Camus avait suivi avec beaucoup d’attention le combat nationaliste, et qu’il conservait des contacts avec des militants dont il avait été parfois proche.

Le 8 décembre Pierre Morain était transféré à la prison de la Santé en application d’un mandat d’amener délivré par un juge d’instruction de la Seine pour atteinte à la sûreté de l’État. En février 1956, le comité publia une brochure intitulée « un homme, une cause : Pierre Morain, un prisonnier d’État ». L’instruction traînait en longueur et finalement, Pierre Morain retrouvait la liberté en mars 1956.

Sur le plan local, la manifestation organisée le premier mai 1955 par le MNA avait montré deux choses, la force militante de l’organisation dans la région du nord, ainsi que son isolement politique qu’attestait l’affaire Morain. L’émeute de Lille avait desservi l’image du mouvement et permis à la police d’actualiser ses fichiers et de démanteler une partie de l’appareil.

Pages 130 à 137. Jean-René Genty. Le mouvement nationaliste algérien dans le nord (1947-1957)

Il est le premier homme photographié de l’Histoire.

eaunes petit

Le boulevard du Temple à Paris. 1838. Daguerréotype sur pleine plaque de cuivre.
Munich, Bayerisches National Museum.

Au mois d’avril 1838, le directeur du Diorama, Jacques-Louis-Mandé DAGUERRE, inventeur de la photographie avec Nicéphore NIEPCE, fait une prise de vue depuis la fenêtre de son appartement, au 5 de la rue des Marais, à Paris. Cette maison est attenante à son Diorama. La place de la République n’existe pas encore. Il fait cette photo selon le principe du Daguerréotype, une plaque de cuivre sensibilisée, exposée, puis développée et fixée. L’avantage de son invention est que le temps d’exposition passe de plusieurs heures à quelques minutes,  l’inconvénient que cela ne donne qu’une épreuve unique.
Sur cette photo le boulevard du Temple (vu depuis l’actuelle caserne de la place de la République) semble désert alors qu’il est en pleine activité.
Mais toute cette agitation a disparu car son temps de passage a été plus rapide que le temps de la prise de vue. Il y a toutefois, et Daguerre ne s’en est pas aperçu immédiatement, un homme en bas, à droite, la jambe pliée sur une borne d’eau, qui est visible. Il a dû rester immobile pendant au moins une dizaine de minutes et a laissé une trace sur la surface sensible. Cet homme est le premier homme photographié de l’Histoire. Mais il ne le sait pas. L’année suivante, le 7 janvier 1839, la naissance officielle de la photographie est reconnue par l’Académie des Sciences et Louis Arago. Elle va bouleverser totalement le regard des hommes sur le monde.

On peut lire sur ce sujet:
http://www.niepce-daguerre.com/boulevard_du_Temple_de_dag.html
où l’auteur a analysé, trouvé le point de vue et reproduit l’exacte épreuve de 1838.

ainsi que
http://www.midley.co.uk/Harmant/pghIncendieDio.htm
qui parle de l’incendie du Diorama, en 1839, de la vie de Daguerre.

Je les en remercie tous les deux!

Caillou le 3 septembre 2010

Je suis le premier homme et je ne le sais pas.

Dans le petit matin du 5 avril 1838, quand je quitte Lison, cette femme adorable,  je flâne quelques instants sur le trottoir mouillé du boulevard du Temple, le boulevard “du crime”. J’ai tout mon temps. Il fait beau. Et je regarde tout autour de moi, encore mal réveillé, l’agitation frénétique du peuple de Paris. On me bouscule un peu. Je gêne le passage, au milieu des passants pressés, moi qui ne le suis pas.

Lison est amoureuse et je suis son amant. Ses longs cheveux si blonds tournent autour de ma tête et j’en suis étourdi. Toutes les nuits sont pour elle comme première nuit du monde. Elle se love contre moi, je me noue, elle me mord, mon désir est toujours insatiable et jamais rassasié. Son envie est brutale et j’en suis la victime bien plus que le vainqueur. Nous nous aimons d’abord par la peau, par le ventre… Mais Lison n’est pas seule. Elle se traîne un mari et ce matin je pars pour la laisser dormir.

8 heures, et je suis là, le pied sur cette borne et je ne bouge pas. Je rêve. La vie est belle et je l’ai devant moi. Que vais-je faire aujourd’hui ? Où vont aller mes pas ? Je dois voir un client de passage à Paris, un provincial qui n’est jamais encore monté traîner ses guêtres dans la grande capitale. Nous irons déjeuner tous les deux à midi. Je lui montrerai des échantillons et nous ferons affaire, autour d’un café parfumé à la terrasse d’un bistro vers le Palais Royal. Puis, s’il le veut bien, je lui ferai faire le tour des boulevards, s’encanailler près des chanteuses grivoises, des diseuses de bonnes aventures, peut-être même entrer dans une de ces baraques de foires où des gitans mielleux aux grandes rouflaquettes montrent des monstres noirs, des sosies de ministres, des clowns faisant les pitres.

Mais j’ai du temps à tuer avant ce rendez-vous. Je compte en profiter, me promener, passer rue des marais devant le Diorama, le palais fantaisiste de Daguerre et Bouton. J’y suis allé la semaine dernière, avec deux amis, et nous en sommes sortis vraiment émerveillés. Ces grandes scènes peintes qui bougent dans une lumière irréelle nous ont fait découvrir d’autres mondes possibles. On parle de ce Monsieur Daguerre comme d’un très grand savant.

Avec ma redingote noire posée là, sur mon bras, mon chapeau sur la tête, je suis le roi du monde après cette nuit d’amour. Tout autour cela court, s’interpelle, va et vient. Les Parisiens pressés s’en vont à leurs travaux et je suis bien le seul à humer l’air du temps. Les carrioles roulent sur les pavés tirées par des chevaux aux sabots d’étincelles. Elles viennent des Halles, le ventre de Paris, et s’en vont alimenter tous les marchés couverts où déjà crient les marchands de légumes. Les derniers fiacres noctambules remontent vers le Château d’eau, descendent vers les bords du canal Saint-Martin. Moi je suis et demeure et je ne bouge pas.

Lison doit être en train de faire son lit à l’homme, ce gros bourgeois ventru qui lui sert de mari. Il croit la réveiller lui qui sort du bordel. Elle fait semblant c’est tout et moi je suis fou d’elle. Pourtant, demain, après demain, dans quelques jours je pars. Je vais en Algérie, nouvel Eldorado, faire fortune en 6 mois ou crever dans un lit. Depuis 1830 et le débarquement de Sidi-Feruch, cette nouvelle colonie attire tout ceux qui rêvent de réussir. Moi aussi. J’y jouerais mon avenir: la malaria qui tue des milliers de colons ou bien l’argent facile et puis je me marie! Dans un éclair de lucidité pure, dans ce matin d’avril, je sens ma vie ouverte à des choix infinis.

Huit heures et quart, je me secoue, je réagis enfin, je me retourne, traverse le boulevard et disparais dans la rue de Bondy.

Je suis le premier homme et je ne le sais pas.

Et vous, le savez-vous?
Dans quelques heures ou jours j’expliquerais tout ça, mais laissons-le partir…
Caillou, le 2 septembre 2010.

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