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Le groupe UNIR 5° Auguste Havez, suite…

Prison de Blois web

 

Cette photographie a été prise à la prison de Blois pendant l’hiver 1943-1944,
avec un appareil entré clandestinement par un gardien.
Auguste Havez est au troisième rang, le troisième à partir de la gauche.

Je l’ai trouvée dans le livre de Lise London,
la mégère de la rue Daguerre“.

C’est un excellent bouquin, qui fait suite à
Le printemps des camarades

Ils sont parus en 1995 et 96 au Seuil – Mémoire

De gauche à droite: Premier rang: Louis Frébault, Marcel Paul, Henry Duvernois,
Deuxième rang: Émile Valley, Jean Lolive, Marcel Zelner. Troisième rang: Marius Defruit, Émile Pasquier, Auguste Havez, Gaston Garnier, Gérard (Arthur) London et Frédéric Ricol.
Émile Valley fut, après la guerre, le fondateur et secrétaire de l’amicale des anciens déportés de Mauthausen. Arthur London, (que mon père et tous ses camarades appelait Gérard) est l’auteur de l’Aveu et le mari de Lise. Fréderic Ricol est le frère de Lise London…

Caillou, le 30 décembre 2011

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Le groupe UNIR 4° Jean CHAINTRON

Un des témoignages les plus puissants sur le groupe UNIR se trouve dans le livre autobiographique de Jean Chaintron.

C’est long mais passionnant, n’imprimez pas…

Wikipédia: Jean Chaintron, né le 28 août 1906 à Lyon, mort le 7 janvier 1989 à Paris, est un homme politique français. Militant anti-colonialiste, résistant français, préfet après la Libération, il a été sénateur du département de la Seine sous la IVe République. Entré en dissidence avec son Parti, il a animé le groupe oppositionnel Unir pour le socialisme, adhéré un moment au Parti socialiste unifié et présidé après 1968 un éphémère nouveau Secours rouge.

Jean Chaintron. Extrait de son livre: Le vent soufflait devant ma porte

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Le groupe UNIR 2° Auguste Havez

Avant de continuer sur le groupe UNIR il faut aborder la vague d’exclusion des années 50. Marty, Tillon, Guigouin, Havez…

Mon père, qui avait été déporté au camp de concentration de Mauthausen, en Autriche, avait un copain. Il s’appelait Auguste Havez. Un breton, résistant, déporté, devenu épicier à Vitry. Après son éviction en 1950, au congrès de Gennevilliers, plus personne ne lui disait bonjour ou le saluait dans la rue. Les communistes qu’il avait côtoyés fraternellement pendant des années changeaient de trottoir. Il était condamné à cette opprobre générale, le coupant de ses amis, de tous ses camarades. Exclu en 57, Havez est mort, totalement oublié, dans les Pyrénées-Orientales.

Photo d'Auguste Havez
photo : http://images.google.com/hosted/life

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Le groupe UNIR 1°

“Camarades! Il y a parmi les camarades
des camarades qui ne sont pas des camarades”.

Je marche seul dans les ruines d’une forteresse abandonnée. Dans ses couloirs déserts j’ouvre un à un les portes des bureaux, j’allume des interrupteurs éclairants des pièces totalement vides. Aux murs d’anciens portraits d’hommes dont plus personne, maintenant, ne se souvient, même si leurs noms sont encore celui de beaucoup de nos rues, de nos avenues, dans nos banlieues. Le bruit de mes pas résonne. Ce doit être ce que l’on appelait le 44. Je crois bien qu’il doit y avoir encore, quelque part dans le fond du bâtiment, une poignée de militants qui rêvent de voir se repeupler l’immense immeuble vide. Mais je ne les cherche pas. Ils ne m’intéressent pas. La plupart sont trop jeunes et je suppose qu’ils ne voient que devant eux, l’année prochaine, les futures échéances… comme tous les militants. Ils ne sont pas du tout intéressés à ce qui s’est passé ici, il y a des années.
Moi je viens y retrouver des vérités effleurées au début des années 70, au moment même oû le PCF,  le Parti, commençait sa très longue agonie. Sans nostalgie aucune, mais avec le respect que je conserve pour ces années passionnées où la confiance en l’avenir permettait de supporter l’ignoble exploitation capitaliste.
Bon, c’est très mauvais ! Je recommence.

les couvs d'UNIR et de DEBAT

1971. Dans le tiroir d’une armoire j’avais une collection d’UNIR-DÉBAT. Nous déménagions pour aller vivre ensemble, à Asnières. Ma compagne, est tombée dessus. Elle était atterrée, comme si elle avait trouvé des exemplaires de journaux de fesses. Elle pleurait au milieu des cartons. Le peu qu’elle en avait lu lui avait appris que je lisais une revue anti-Parti. Et comme nous étions, elle et moi, totalement attaché au Parti Communiste, elle  ressentait devant ces quelques exemplaires un sentiment de trahison. J’ai jeté mes brochures…

Bon, ce n’est pas meilleur ! Je recommence.
Un groupe interne au Parti Communiste Français, totalement clandestin de 1952 à 1967, (un peu plus visible de 67 à 75), a tenu une revue où les secrets les mieux gardés de la direction stalinienne du PCF ont été révélés, mois après mois, sans que l’on ne sache vraiment, même aujourd’hui, qui en était le noyau fondateur.

Bon, c’est sec. Et en quoi est-ce intéressant ?
Maintenant que plus personne, ou presque, n’a idée de ce que représentait comme force le PCF dans les années cinquante et soixante, je me dis que tout le monde a oublié aussi les oppositionnels communistes, celles et ceux qui essayèrent vainement de s’opposer, en interne, à son ossification. Or il se trouve que j’ai connu, (par quel biais, je ne m’en souviens plus), une petite brochure qui à l’époque était distribuée, de façon clandestine, parmi ses militants. Cette brochure s’appelait Unir-Débat. Près de 40 ans plus tard je me demande qui étaient ces gens ?

Bon, vas-y ! Cela va être long ?
En 1952, à la fin d’une réunion de la fédération de Paris du PCF, une poignée de cadres communistes qui n’admettent pas ce qui est en train de se passer avec l’exclusion de Marty et de Tillon, décident de dénoncer les pratiques abjectes de la direction de Thorez. Mais pour eux, et cela semble difficile à comprendre aujourd’hui, il ne peuvent  et ne veulent dévoiler ces magouilles dans la presse «bourgeoise». Pour ce que l‘on en sait, ce sont des vieux militants, certains sont des vétérans du Parti, depuis 1921, d’autres se sont connus dans les luttes de 1936, dans les brigades internationales en Espagne, beaucoup viennent de la résistance et de la déportation.
Dès la fin des années 40 la direction du PCF, Thorez ayant passé toute la guerre à l’abri en URSS, cherche à se débarrasser de cette génération communiste issue de la Résistance, car elle lui fait de l’ombre. Elle élimine, en quelques années, toutes les grandes figures de la Résistance communiste, contradictoirement avec un discours où le PCF se présente comme Le Parti des fusillés. Et ces exclusions se font de façon ignominieuse en les traitant de flics, de fascistes, d’hitlero-trotskyste, d’espions. Un exclu est un pestiféré qui perd en quelques jours tous ces amis, est rejeté de partout. Qui peut le comprendre aujourd’hui ?
Les procès de Moscou, les purges staliniennes, qui tuaient ou envoyaient au Goulag les soi-disant opposants et en premier lieu les communistes, qui n’y comprenaient rien, n’avaient, en France, que cette conclusion : le bannissement.

J’ai longtemps cherché une thèse qui parle du groupe UNIR.
François CHOUVEL. Des oppositionnels dans le PCF
Unir pour le socialisme (1952-1974).

Année universitaire 1984.

La plupart de mes informations viennent de cette thèse.

À suivre… Caillou, 18 décembre 2011

 

 

La calentita

La calentita au coin des yeux !
(pour les petites croûtes au coin des yeux)

À la mi-juillet. Dans un sous-bois. Dans les environs de Montpellier. Tout autour, dans les collines, où le maquis de broussailles grésille sous la chaleur de midi, les cigales stridulent. Un peu en contrebas le mouton du méchoui tourne lentement sur ses braises, géré par les hommes, aux fronts de sueur et qui rient en buvant l’anisette.

Nous sommes dans un pique-nique organisé par une association d’amitié franco maghrébine, surtout culturelle. Elle a la particularité de rassembler des amoureux de l’Afrique du Nord, qu’ils soient Arabes, Pieds-noirs, Berbères, Juifs ou anciens coopérants. C’est une longue histoire, marquée par la colonisation, le racisme, l’antisémitisme, la guerre, l’exode, l’exil et le mépris. C’est une histoire douloureuse aussi. Mais là, dans ce sous-bois de petits chênes, il ne s’agit plus de déchirures ou de repli sur sa propre communauté. Les participants viennent y chercher autre chose.

Si l’association prend en charge le mouton du méchoui, il est de tradition que chacun, et surtout chacune, prépare un plat pour la kémia, cet assortiment de petites choses que l’on mange avec l’apéritif, ou pour les hors d’oeuvre, pour ses grandes assiettes de salades aux mille parfums, pour les desserts aussi…

Les raconter un à un serait trop long et fastidieux. Mais c’est sur de longues tables à tréteaux que s’alignent, au fil des arrivées, les petits plats en grès remplis de moules, de sardines à l’escabèche, de petits poulpes dans leur encre, les coupelles d’olives, les tramousses (que les Français appellent lupins), les bols remplis de pistaches, les purées de pois chiches…

On en est aux discours. Il en faut bien. Et tous les invités, assis sur des pliants ou debout, les bras croisés, sont en cercle, tandis que la présidente de l’association remercie les gens qui nous ont offert l’accès à leur terrain, au-dessus de la maison blanche à terrasse que l’on devine entre les arbres. On a faim. La fumée du méchoui dont la graisse bouillotte en tombant sur les charbons ardents nous fait frissonner des papilles.

Et puis, les remerciements terminés, tout le monde se retourne et on se dirige vers les tables dressées. Au milieu des hors d’oeuvres, dans un grand plat en verre, il y a un flan, blanc et croustillant, qu’une dame âgée découpe en petites parts avec une pelle à tarte. Elle sert chaque assiette que les convives lui tendent. Un attroupement tourne autour d’elle, essentiellement féminin. Toutes les dames présentes se pressent autour de ce plat. Et elles se mettent à le commenter. C’est la calentita. À base de farine de pois chiches avec des oeufs, mis au four et parfumé au cumin, cette tranche odorante, arrosée d’un filet d’huile d’olive, semble très simple. Les gens la mangent avec du pain et de la harissa. Jusque-là, rien d’extraordinaire. Mais c’est dans les conversations que cette dégustation enchaîne que je découvre bien plus ce plat que dans mon assiette en carton. D’ailleurs il n’y en a déjà plus.

Tous les convives, autour de la table, racontent leurs rapports à la calentita. Ce plat, d’origine andalouse, était vendu dans les rues d’Oran, puis de toute l’Algérie, par de petits marchands arabes et les passants le dégustaient dans une tranche de pain. Une vielle dame, certainement d’origine pied-noir, se met à imiter le cri de ces marchands : « calentiiiiiiiiita » et tout le monde rit. Une autre, aux traits typiquement mauresques, n’est pas du tout d’accord sur la façon dont cette autre jeune femme, manifestement plus européenne prépare la calentita.

Les hommes eux ne disent rien sur la calentita mais… ils la mangent, arrosée d’un verre de blanc.

Qu’on l’appelle socca, farinata, calentita, qu’elle vienne de Nice ou de Gibraltar, qu’on la mange à Tanger ou à Bône… C’est toujours plus ou moins la même chose.

Aujourd’hui, dans ce sous-bois, autour de ce petit plat sans importance, c’est toute la culture méditerranéenne qui se raconte et se transmet. Tout à l’heure, nous aurons d’autres sujets de discussion et de divorces. On fera des choses importantes en faisant la promotion des poètes algériens dont personne ou presque en France ne se soucie. On construira un monde plus fraternel, plus ouvert aux cultures des autres, mais, finalement, ce brassage culturel ce sera vraiment réalisé dans la dégustation commune d’un plat qui rappelle le pays de l’enfance, l’insouciance (certainement mythifiée), et l’unité perdue et pourtant culturellement toujours vivante des petits peuples du Maghreb.

Caillou, 16 décembre 2011

L’association c’est Coup de Soleil
La recette de la calentita

Les voies sur berges à Paris

Dans la nuit d’encre des quais de Seine
Les voitures traversent Paris
Roulant ensemble dans un même cri
Sur les bords de la rive ancienne

T’en souviens-tu mon camarade
De la colère de nos 20 ans
Quand Pompidou creusait dedans
Et de nos folles cavalcades

Nous courions contre les pelleteuses
Qui détruisaient les halles Baltard
Pour les quais ce serait trop tard ?
L’État avait des idées creuses

Puis, toi tu partis en Toscane
Dans une Jaguar sombre et bleue
Moi je fis ma vie en banlieue
Perdu de vue, la vie qui flâne

Puis Mitterand, sa pyramide
Sa bibliothèque en béton
Me firent oublier les bastons
Des voies sur berge si sordides

Mais ce soir, devant ces bagnoles
Qui foncent comme des énergumènes
Je souris doux comme une fontaine
Le futur sera sans pétrole

Les berges redeviendront tranquilles
Et nous irons nous promener
Je t’aurais enfin retrouvé
Paris est une superbe ville.

Caillou, 7 décembre 2011

 

 

L’association de défense du Site de Notre-Dame de Paris :
http://www.site-notre-dame.fr/voie-express-rive-gauche.htm

Sur les voies sur berges :
L’automobile à la conquête de Paris: chroniques illustrées. Par Mathieu Flonneau

Sur la destruction des Halles de Paris :
http://www.archyves.net/html/Blog/?p=1976

Des photos de la destruction des Halles de Paris:
http://robertgiraud.blog.lemonde.fr/2010/07/24/lhomme-qui-a-photographie-la-destruction-des-halles/

Merci à Christiane pour ses six mots…

Halte aux subventions !

À la suite d’une discussion, je récapitule mes arguments contre la demande de subvention de la part des associations vraiment militantes.

1° La loi fixe un cadre pour beaucoup d’interventions de l’État sur nos vies. Que de soit le permis de conduire ou les impôts on est dans la loi ou hors la loi, en dessous ou au-dessus d’un taux d’imposition, admissible ou non à une allocation familiale ou de logement…. Et personne n’est sensée ignorer cette frontière entre ce qui est autorisé et ce qui est interdit, refusé ou accepté. C’est un principe du vivre ensemble. Or une subvention à une institution est allouée ou refusée en fonction des choix de cette seule institution. Il y a bien sûr des critères d’acceptation de la demande mais on ne peut confondre les critères de la demande et les critères du choix. L’institution, la mairie, les conseils généraux, régionaux, l’Europe donnent ou refusent une subvention selon leur bon vouloir, leurs moyens, leurs réseaux, en dehors de toute loi. La subvention est hors-la-loi.

2° L’octroi d’une subvention dépend de la personnalité de qui la demande, de sa visibilité, de son orientation politique, en rapport avec l’institution à qui elle est demandée. Si on demande une subvention à Israël pour entraîner au maniement du lance-pierre les jeunes Palestiniens des territoires occupés cette demande sera bien évidemment rejetée. L’exemple est énorme, mais toute demande de subvention porte en creux, en non-dit, cette évidence que l’on ne demande que ce qui sera acceptable par celui à qui on la demande. On finit donc, pour obtenir cette subvention à mentir sur les buts réels de l’association qui la demande. La subvention est un mensonge, une auto censure, une acceptation du pouvoir.

3° De l’autre côté l’institution sait lire entre les lignes, prend en compte ce mensonge et n’accorde cette subvention qu’aux associations qu’elle connaît vraiment. Visibilité et soumission sont donc les conditions essentielles pour l’acceptation d’une subvention. La visibilité d’une association n’a souvent rien à voir avec la réalité de son travail. La visibilité peut être celle d’un copinage, d’un voisinage politique. Alors qu’il y a, un peu plus loin, une obscure association de jeunes qui font un travail formidable dans le socio culturel sur un quartier défavorisé qui, invisible, ne recevra aucune subvention. La subvention c’est le clientélisme, la subvention est une corruption.

4° Par ailleurs le très grand nombre d’associations loi 1901, en France, cache de très nombreuses organisations qui n’ont rien à voir avec un militantisme bénévole. Face au don de soi et de son temps, qui était normalement le but des mouvements associatifs, il y a beaucoup trop de détournements de la loi de 1901. Ce sont les associations municipales qui permettent de sous-traiter le travail à des salariés non fonctionnaires. Ce sont les associations privées d’adhérents, mais qui fonctionnent comme des entreprises pour obtenir des emplois à leurs fondateurs. Les subventions deviennent alors une aide directe à des entreprises, avec l’argent des contribuables, ce que normalement l’État impartial ne devrait pas tolérer. La subvention devient alors un dévoiement de l’association, une incitation à la paresse militante.

5° Face à ces arguments j’entends bien la réflexion de bon sens qui voudrait que l’on demande des subventions puisque les autres les demandent, les fascistes par exemple… Avec cette idée simple alors le pacifisme s’écroule : pourquoi appeler au désarmement puisque les autres ne le demandent pas ? La peine de mort revient : pourquoi abolir la guillotine si les assassins n’arrêtent pas d’assassiner. Pourquoi faire grève si tous les salariés ne la font pas ?

Voilà, c’est brutal et provocateur, mais c’est que je pense et je l’assume.

Caillou, le 3 novembre 2011

Sur l’île.

Aujourd’hui maman est morte.

Je l’ai tout de suite enterrée dans un grand trou, derrière la cabane. Il me fallait faire vite. Le soleil montait et il est tellement dur. Je pleurais tout le temps, mais je me dépêchais. J’ai posé son petit corps tout sec entouré dans un drap tout au fond de la fosse puis j’ai poussé le sable. Entre la sueur et les larmes, il en devenait marron. J’ai placé sur la tombe une poêle rouillée dont j’ai enfoncé profondément le manche dans le sol. Je voulais bien marquer l’endroit pour qu’un jour, peut-être, quelqu’un retrouve sa sépulture. Il n’y a pas de pierre sur notre île et le bois pourrit très vite. Avec un os pointu, j’ai longuement gravé « ZOÉ » dans la rouille de la poêle. Zoé, c’est son nom à ma maman.

Je suis arrivé tout petit sur cette île, avec ma mère. J’ai des souvenirs flous, qui ne sont peut-être pas les miens mais qui se sont ancrés dans mon esprit car inlassablement répétés par ma maman, d’une tempête, d’un naufrage, d’un radeau poussé par le courant puis d’un échouage sur la plage du nord-ouest. C’était il y a des années. Maman a construit cette cabane auprès d’une petite source, dans le vallon, au-dessus de la plage. Tout autour les cocotiers bruissent dans le vent. Maman m’a appris à lire, à écrire, à pécher, à chasser parfois, avec des arcs, les oiseaux marins qui viennent se poser sur le rivage.

Aujourd’hui, ou demain, ou plus tard, mais bientôt, je partirais de l’île. J’ai construit, avec des troncs de palmiers et des lianes une sorte de radeau sommaire. Et je sais qu’à cette époque de l’année, le courant marin est très régulier. Il file tout droit vers l’Est, vers le soleil levant. Il me faudra pousser l’esquif dans la mangrove, franchir les récifs, et traverser les premières grandes vagues mais plutôt tout risquer que rester seul sur l’île. Tant que nous étions deux, la vie pouvait être difficile mais supportable. Nous pouvions nous parler, chanter, dormir peau contre peau, se rassurer l’un l’autre. Mais rester maintenant sur cette île déserte,  je ne veux même pas l’envisager. Depuis qu’elle est tombée malade, j’ai construit le radeau et fait des provisions, des fruits, quelques bananes, des grenades et des patates douces. La mer est calme et bleue. Si je ne pars pas dans les jours qui viennent , je sais que viendra après le temps des pluies, le temps du vent, quitter l’île deviendra alors, pour plusieurs mois, totalement impossible.

Le soir s’annonce déjà. Ma journée a été dure. J’ai beaucoup travaillé pour enterrer maman et terminer mes préparatifs. Ce soir, pour la dernière fois, j’allume mon feu avec le vieux briquet en amadou. Le coucher de soleil est très beau, très romantique. Je fais comme elle, le soir, je regarde la mer, en silence, tranquille. Elle a toujours cru qu’un jour un bateau remarquerait la fumée de nos feux et se détournerait pour venir nous sauver, mais elle aura passé toutes ces années à attendre pour rien. Nous avons survécu et elle m’a tout appris. Mais maintenant je dois vraiment partir et prendre tous les risques. C’est d’ailleurs maman qui me l’a dit, un peu avant de mourir. Elle était très malade et ne mangeait plus rien. « Robinson, n’attends plus, prends la mer et sauve-toi, toi tu t’en sortiras ». Cette phrase soufflée tout doucement dans mon oreille est mon seul héritage. J’y crois profondément. J’ai toujours cru Zoé.

Caillou, 15 août 2011.
Ce texte est écrit pour mon fils.
Et merci à Christiane G. pour ses 6 mots

Le jour où le bateau s’en va / La fin des vacances.

photo Robert VENEZIA

Le grand bateau qui part comme une tache d’or
sur cette mer d’huile dans le soleil couchant
a la lenteur des rêves dans  le regard des gens
qui restent sur le port.

C’est un arrachement et les séparations
sont comme illuminées dans ce beau soir d’été.
Déjà toutes les peurs reviennent et l’anxiété
d’un emploi sans passion.

Il va falloir revivre dans les lieux du travail
revoir les gens qui bossent et sont indifférents
les ménages, les transports, et les cris des enfants
en prendre pour un bail

Dans un an le bateau reviendra nous chercher
et l’on aura vieilli, un peu plus chaque fois
et ce jusqu’à la fin. La vie du salariat
c’est d’attendre l’été !

Caillou 13 août 2011