Tous les articles par Caillou
LA SEMAINE
Vive la production populaire
Un vieux texte de 1982, du temps des utopies d’autogestion. Ma compagne le trouve un peu puéril mais pour moi il y a 2 phrases qui le sauvent de l’oubli de ma vielle malle. À vous de juger.Ceci dit j’annonçais la glaciation et non le réchauffement de la planète! Continuer la lecture de Vive la production populaire
Compagnons d’insomnies
Aux fantômes décharnés, les yeux fixes, dantesques
aux chevaliers hirsutes, armés de mille éclats
aux moutons enragés chantants, ivres de joie
« nous ne sauterons pas » Continuer la lecture de Compagnons d’insomnies
BLUES
D’abord, dans un profond silence, les 3 chuintements glissés sur la cymbale et le claquement dur sur le rebord de la caisse claire, une fois, deux fois, trois fois, c’est Jean qui tape, tout seul.
Vient le baoum-bam-baoum, la grosse corde de basse qui donne juste l’écart, l’espace évident entre les tac tac tac et le gros son épais et mat de la caisse, et la basse c’est Pierre.
Enfin, la vibration de la locomotive qui petit à petit mais sans changer de rythme se charge de notes glissées sur les manches des 2 guitares d’Hafid et de Jacques, qui entrent dans la danse.
Puis le premier cri de Marie, les yeux fermées, le corps tendu dans le fourreau noir et sobre, le premier cri de désespoir de celle qui s’est réveillée un matin de déprime, sans boulot, sans drogue, sans espoir, dans un lit de draps sales, dans un lit déserté.
Elle souffle et geint et pleure, elle n’est plus que cette voix portée sur les lignes de son qui montent et montent encore, de plus en plus aigues, qui ne sont pas des notes mais des plaintes accordées. Elle roule dans des éboulis de tristesse ou elle se casse tandis que derrière elle…
Les voix de Claudie et de Jacques, les voix qui l’accompagnent, reprennent les derniers mots, les répètent et les scandent, en font un martèlement, comme un trottoir de plaques noires sous la pluie maintenant évidente des notes qui s’affolent de plus en plus nombreuses. Mais il y a toujours, derrière, le claquement noir et froid de la caisse métallique et des coups de cymbale.
Elle regarde alors le moment clair et net ou la vie va partir, elle a froid dans le dos de l’angoisse éternelle que donne le blues, le vrai, celui de la peur de mourir et de tout voir finir un soir au coin du ghetto des junkies. Elle laisse sur ce temps le solo de guitare, qui donne à cet instant le peu de retenue, les quelques moments juste avant, ce qu’il faudrait pouvoir encore, juste un instant saisir.
Le chœur est là, tout près, il la caresse, la tient, l’accompagne et la laisse partir vers un long monologue de voix brisée, de secret, de soupirs. Elle donne pour ce moment de pure grâce, tout ce qui reste en elle des temps anciens, des temps de soleil et de rires, où elle faisait l’amour où elle avait à ses côtés la vie.
Mais derrière, dans le fond, il y aussi le bruit du métro aérien et les sirènes des voitures de polices. Il y a l’horreur du chômage généralisé et des vieux qui cherchent leur nourriture dans les cageots de légumes pourris à la fin du marché. Elle pleure sur les paumés, elle crie pour les ratés.
Et puis toujours le roulement de la basse, les claques de la batterie, les battements des pieds sur le plancher, les cris, les mains qui battent l’air, les cordes qui se tendent, le bruit noir des amplis. Le son tourne, autonome, sans plus de précision, qu’un vautour dans le ciel. Y’a pas d’oiseaux la nuit.
Tout cela qui la tient, ne la laisse plus partir, enfermée dans une histoire à douze mesures, répétées, relancées, mais qui montent douloureusement vers une fin qui se termine mal. Elle ne domine rien, elle se laisse aller. Les deux voix derrière elle la portent jusqu’au bout.
Marie, maintenant debout sur la pointe des pieds, le doigt qui montre enfin l’ultime, le destin, et pour la dernière fois elle chante, immensément, une dernière note qu’elle tient à bout de souffle tandis que un à un les instruments se taisent et que l’on entend plus que les 3 chuintements glissés sur la cymbale et le claquement dur sur le rebord de la caisse claire.
Caillou. 2007
(Texte écrit en pensant beaucoup à Camille chantant La vie la nuit dans le film Les morsures de l’aube. Film de Antoine de Caunes sortie en mars 2001.)
Les disparitions d’Anna Langfus
Est-ce encore une opinion ?
Est-ce une opinion de vouloir légaliser la prostitution? Est-ce un point de vue, quelque chose qui se discute dans les salons, de pouvoir continuer la domination masculine et la dépravation du corps des femmes? Et si ce « débat », entre gens de bonne compagnie, n’était pas tout simplement le débat qui opposait pendant plus de trois siècles les tenants de l’esclavage contre ceux de la liberté ?
On peut tuer le rêveur… mais on ne peut pas tuer le rêve.
Policiers arrêtant des participants lors d’une manifestation contre la ségrégation.
Jackson (Mississippi, Etats-Unis), 24 juin 1966
© 1976 Matt Herron / Take Stock / The Image Works / Roger-Viollet
Hier soir (28/8/13), à l’occasion du cinquantième anniversaire du discours de Martin Luther King “I have a dream” la chaine ARTE diffusait un film : “Bande originale d’une révolution” (79 mn).
Au même titre que la non-violence, le chant fut le pilier, souvent méconnu du mouvement des droits civiques. Face aux exactions de la population et à la répression des autorités dans les villes ségrégationnistes, les activistes du mouvement opposèrent en musique une résistance pacifique. Preuve de leur détermination et signe de ralliement, des morceaux comme “We shall overcome” ou “This little light of mine” devinrent des hymnes à la liberté. Interprétés par des artistes comme Wyclef Jean, Angie Stone ou Mary Mary, ces airs alternent avec des images d’archives des grandes marches retraçant l’histoire de la lutte pour les droits civiques. Les témoignages de militants de cette cause comme Lula Joe Williams et John Lewis complètent ce film passionnant.
Il sera rediffusé le mercredi 11 septembre à 3h10 (donc en pleine nuit)
On peut aussi le voir avec un ordinateur avec “ARTE REPLAY”:
http://www.arte.tv/guide/fr/048918-000/bande-originale-d-une-revolution?autoplay=1
C’est bête, je sais, mais j’en ai chialé tout seul devant mon écran et les larmes, c’est pas du tout bon pour le clavier.
Caillou, le 29 août 2013
Lettre à un garçon
Salut, garçon !
On ne se connaît pas, mais ce n’est pas un problème, c’est peut-être même un avantage : on peut se dire des choses qu’on n’oserait pas dire à un père, à un frère et même, parfois, à ses meilleurs amis. On ne se connaît pas, c’est Florence qui m’a demandé de t’écrire. Une amie qui habite à Paris et qui s’occupe de Zéromacho, un réseau d’hommes engagés pour l’égalité femme-homme.
Ainsi donc, tu t’es pris un râteau. Ou tu as peur de t’en prendre un. Tu la vois de loin, cette fille de ta classe, la jolie blonde aux longs cheveux, qu’elle ramène souvent vers l’arrière, d’un geste vif de la main, quand elle rigole avec ses copines. Depuis la rentrée tu la regardes du coin de l’œil et, tu peux bien l’avouer, elle hante tes nuits. Quand tu éteins la lumière, avant de t’endormir, elle est sur tes genoux, nue bien sûr, et elle ramène ses longs cheveux blonds d’un geste vif en souriant, tandis que tu découvres son corps et qu’elle aime ça… Bon, j’arrête là. La suite, tu la connais, pas la peine de te faire un dessin.
Sauf que rêve et réalité, c’est totalement différent. Dans la journée, cette fille ne te voit pas. Tu es transparent pour elle. Un parmi tous les autres, dans un groupe qu’elle fait semblant d’ignorer : les garçons de la classe. Eh bien, détrompe-toi !
Elle est comme toi ! Elle sait très bien qui tu es. Elle aussi elle rêve de garçons le soir en s’endormant. Peut-être pas de toi, peut-être d’un autre, mais elle en rêve aussi. Elle s’endort avec l’idée qu’un garçon découvre son corps et le trouve beau, qu’elle puisse elle aussi toucher le corps de l’autre. Les filles ne sont pas des statues. Elles ont aussi des désirs et des envies. Les idéaliser ne te sert à rien.
Il y aurait, paraît-il, une petite différence : elles y mettent de l’amour. Elles n’imaginent pas faire l’amour sans amour. Pour les filles, le corps, le sexe, ce doit être très bon mais seulement si c’est avec autre chose : une attirance, de l’amour. Et il paraîtrait que les garçons se sentent ridicules quand on parle de ça ? Les garçons ? C’est vrai, je peux en témoigner. Au pluriel, les garçons en rigolent. Mais au singulier ? Toi, garçon, avoue-le, si c’est cette fille-là que tu observes tout le temps, et pas une autre, si c’est celle-là que tu rêves de sentir nue sur tes genoux, si c’est de celle-là surtout que tu crains de te prendre un râteau, c’est bien parce que tu l’aimes. C’est aussi de l’amour que tu parles. Mais tu ne le diras pas à tes potes.
D’autant que ce n’est pas d’amour que parlent les films que tu regardes sur l’ordinateur. C’est de pornographie et cela n’a rien à voir, ni avec l’amour, ni avec la sexualité. C’est du théâtre où rien n’est vrai. Des bites d’une longueur pareille ? Tu regardes ton sexe et tu te dis que ce n’est pas le même ! Tu as raison. C’est le tien qui est vrai. D’abord parce que c’est ton pénis et que tu vis avec, et pas celui d’un autre que tu n’as jamais vu ailleurs que dans ces films. Ensuite parce les producteurs ont mis des années avant de les trouver, ces très rares types aux sexes surdimensionnés. Enfin, parce que si tu vois plusieurs de ces films tu remarqueras que ce sont très souvent les mêmes acteurs qui jouent avec leurs bites. Non, mon garçon, ton pénis est comme ceux de l’immense majorité des hommes, il est normal, et ces films mentent. Et puis ces filles, si jolies, qui rient alors qu’elles se font enfiler par tous les trous, tu les crois vraies aussi ? Eh bien non, ce ne sont, dans la réalité, que des femmes poussées par la misère, maquillées, coiffées, qui font ce qu’on les paie pour faire, pour te faire croire, à toi, garçon, que ce qu’elles subissent est vrai et qu’elles aiment cela. Alors que c’est un simulacre qui n’a rien à voir avec la sexualité. Les femmes n’aiment pas les « gang bang » ni les éjaculations faciales, ni les fellations, pénétrations, sodomisations à la chaîne, ni les humiliations, ni la souffrance. Et tout cela est très loin de cette jeune fille blonde qui est dans ta classe, et que tu aimes (sans te l’avouer).
Alors, pris entre les rires gras des copains, la pornographie, la ségrégation de fait qui, dans la classe et dans la vie, sépare les garçons et les filles, pris entre ce désir de jouir, le fait qu’il ne se réalise pas tout de suite, et cet amour que tu n’oses pas avouer et t’avouer, tu as peur d’elle et tu peux devenir haineux. Tu peux te réfugier dans le mépris des femmes.
J’ai autre chose à te proposer. Changes ton regard sur ton propre désir !
Vas-y sincèrement et courageusement ! Sachant qu’elle aussi te regarde et qu’elle en a peut-être envie, propose-lui d’aller avec elle discuter sur un banc, montre-lui le monde, écoutez ensemble les oiseaux dans les arbres, regardez le soleil qui se couche ! Elle craint peut-être ton appétit sexuel de garçon ; alors, oublie ce rôle qu’on veut t’imposer et prends ton temps ! Laisse-toi aller à ces confidences et ces sourires où rien d’autre ne se dit que le plaisir d’être ensemble. Tu n’es pas un garçon parmi les autres puisque tu es toi, un être unique avec tes craintes et tes richesses. Mais elle aussi n’est pas une fille parmi d’autres. Elle aussi est unique. Rejetez ces groupes où on se compare et où on se contrôle ! Et vous deviendrez peut-être autre chose : un couple ! Mais vous avez tout le temps. Prends la vie comme elle vient ! Et avec elle vous arriverez ensemble à faire l’amour.
Allez, vas-y, elle t’attend peut-être avec autant d’impatience que toi !
Si ce n’est pas ce qui se passe, si elle te rejette dès que tu l’abordes, tu seras triste. Tu voudras pleurer. Mais parce que c’est elle que tu aimais, parce qu’elle t’attirait, parce qu’elle était (à tes yeux) si belle, ce sont de bonnes raisons d’être triste.
La mauvaise serait que ton orgueil en prenne un coup.
La mauvaise ce serait de te rejeter dans un camp contre l’autre.
Courage ! Tu as toute la vie devant toi.
Je t’embrasse.
Caillou
Un vieux type qui est passé par là. Ce qui est le cas de tous les hommes autour de toi.
Caillou, le 3 mai 2013
Samarcande
J’irai à Samarcande quand j’aurai 18 ans
Quand la vie s’ouvrira devant moi comme un fleuve
dont les flots impétueux emportent ceux qui peuvent
Se libérer vraiment de la loi des parents.
J’irai à Samarcande. La route de la soie
Sous le soleil d’argent m’emmènera vers la ville.
Ses coupoles vert émeraude ont des rêves immobiles
Qui attendront un peu que je trouve un emploi.
J’irai à Samarcande, quand j’en aurai le temps
Quand les enfants auront le pied à l’étrier
Et qu’ils seront partis pour aller travailler
Je verrai dans le ciel l’étendard rouge sang
J’irai à Samarcande pour la retraite. Enfin
Plus d’horaires, ni contraintes, ni de chef ni de lois
Avant que d’être vieux j’irai suivre ma voie
Errer dans ses ruelles pour sentir le jasmin
Dans le bleu indigo pour un dernier voyage
Tu déposeras mes cendres dans le sable endormi
Puis tu repartiras pour vivre à fond ta vie
J’irai à Samarcande quand je n’aurai plus d’âge.
Caillou, 5 avril 2013
Avec les 6 mots de Christiane:
bleu indigo / vert émeraude / rouge sang / soleil d’argent / jasmin / Samarcande.
Merci pour elle