Le Lac des Cygnes
Une nouvelle version du Lac des cygnes, proposée à Paris par l’Opéra Bastille est actuellement visible sur les écrans de cinéma.
Ce ballet est inspiré d’une légende allemande. Pour en résumer grossièrement l’intrigue, il s’agit d’un prince Siegfried qui doit se marier et qui tombe amoureux d’une femme-cygne : Odette, le Cygne blanc. Celle-ci l’aime aussi, mais elle est sous la coupe du sorcier Rothbart. Celui-ci tend alors un piège à Siegfried en lui présentant sa fille Odile, le cygne noir, sous les mêmes traits qu’Odette. Siegfried tombe dans le piège, épouse Odile et quand il se comprend, aux rires d’Odette et de Rothbart, qu’il y a eu méprise, il s’effondre. Il va voir Odile. Mais après une danse terrifiante entre Rothbart et les deux amants, le cygne blanc se précipite dans le lac et disparait.
Cf : Le lac des cygnes.
Galatée
On peut voir à Paris, dans le jardin du Luxembourg, niché dans « La Fontaine Medicis » un ensemble statuaire : « Polyphème surprenant Acis et Galatée » a été sculptée par Auguste Ottin en 1852.
Le cyclope Polyphème est en bronze et il surplombe le couple enlacé de Galatée et d’Acis. Il va écraser Acis sous un énorme rocher. C’est donc une image qui parle de la jalousie.
Cette statue raconte un mythe grec puis romain raconté par plusieurs auteurs classique dont Théocrite, Ovide ou Luis de Góngora. (J’avoue humblement n’en avoir lu aucun et ne fait que répéter ce qui est écrit concernant ce mythe).
Donc Galatée, nymphe de la mer, est désirée par le cyclope Polyphème, mais elle aime un berger sicilien nommé Acis. Polyphème les surprend ensemble. Il tue son rival en l’écrasant sous un rocher. Galatée, voyant des filets de sang sourdre sous le rocher, les change en rivière, afin de pouvoir s’y baigner tous les jours, donc en faisant l’amour avec le berger.
Cf Galatée
Il s’agit donc de deux œuvres datant de la même période, le XIXe siècle. Le Lac des Cygnes et sa partition magnifique de Tchaikovski sont totalement romantiques. La sculpture d’Auguste Ottin étant d’un style néo-classique. Elles portent à mon avis des messages totalement contradictoires.
Le lac des cygnes est plein de grâce, de légèreté, de charme froufroutant. Les danseuses en tutu dégagent une féminité un peu enfantine qui ne demande qu’à être protégée. Les femmes y sont objets. Objets de désir bien sûr. Mais aussi objets des décisions des hommes. Le cygne blanc, Odette, parce qu’elle est sous l’emprise du sorcier Rothbart ne peut pas vivre l’amour qui lui tend les bras. Mais le cygne noir, la cruelle Odile, ne fait qu’obéir aux ordres de son père. Elle mime l’amour par la danse, mais c’est son père Rothbart qui la manipule. Quand au Prince Siegfried, obligé de se marier pour plaire à sa mère la Reine, il doit choisir une épouse. Aucune d’entre elles n’a son mot à dire. Nous sommes donc bien là devant l’idée des femmes que se fait la bourgeoisie du XIXe. Les femmes sont belles, légères, charmantes, mais pour ce qui concerne le mariage ce sont les hommes qui doivent choisir, prendre ou… se les payer dans les bordels, qu’on appelait aussi des claques. Car c’est l’époque du triomphe de la prostitution. Le machisme supporte tout a fait la contradiction entre la morale et les putes !
Dans la sculpture de la Fontaine Médicis, Galatée en revanche est une femme libre. Certes c’est une des Néréides (nymphe marine). Donc pas n’importe qui ! Mais c’est Galatée qui veut Acis, simple berger. C’est elle qui se refuse à l’affreux Polyphème. C’est même elle qui transforme son sang en fleuve pour pouvoir continuer à l’aimer.
Galatée, « à la peau blanche comme du lait », a été souvent représenté.
C’est elle aussi dans le mythe de Pygmalion
Galatée est aussi le quatrième satellite naturel de Neptune.
On peut penser que la représentation de ce mythe par Ottin est surtout l’occasion de montrer cette nudité triomphante. Cette nudité qui a d’ailleurs fait scandale à l’époque.
Ce qui se cache derrière cette représentation d’Auguste Ottin, dans ce couple enlacé sous le regard du voyeur dominateur et jaloux, c’est peut-être un discours de liberté.
Ce qui ne serait pas étonnant de la part d’un sculpteur qui fut du côté de la Commune de Paris et qui sauva le journaliste Benoit Malon en lui prêtant le passeport de son fils, Léon, Auguste, et en le faisant accompagner par sa femme jusqu’en Suisse.
Il me reste pour le Lac des cygnes, la musique extraordinaire de Tchaïkovski, la beauté de la danse, (l’exploit sportif aussi des danseuses !), et le plaisir d’un merveilleux spectacle.
Mais entre le Lac des Cygnes, les plumes, le frou-frou, le prince myope, sa petite arbalète et la soumission des femmes…
Et la libre Galatée, contre la jalousie, pour l’amour librement consenti, contre la domination masculine…
Le choix me semble vite fait ! Mais il est vrai que c’est une pensée binaire !
Caillou. 16 novembre 2024
Merci Caillou pour ces deux fortes histoires, qui donnent à amplifier !
Pour le lac des cygnes, j’y vois le beau Siegfried, héros solaire imbu de son pouvoir de séduction, qui se laisse piéger dans l’ignorance de la nature double du féminin, et de la réalité du Mal qui a la main sur un des deux côtés. Il ne saura donc pas éventer la perversité de Rothbart et ne protégera pas la part féminine saine en lui, qui replongera dans l’inconscient.
Pour la fontaine de Médicis, c’est la naïveté de ce brave Acis, qui ne sait pas qu’on ne peut filer le parfait amour avec une demi-déesse, figure archétypique qui échappe aux lois du monde des hommes, qui en paye le prix.