Le gendarme était au rond point, assis dans la camionnette bleue.
Sur l’ordinateur, il vérifiait mes papiers d’identité que lui avait transmis sa collègue.
Je m’approchais doucement avec mon sac à dos et ma dégaine de vieux routard.
Je me marrais un peu, mais prudemment. On ne sait jamais avec ces gens là. Ils peuvent mal interpréter nos mimiques.
La jeune femme, en uniforme elle aussi, avait envie de rire et essayait de le cacher. Elle pouffait :
– Et vous marchez comme ça depuis longtemps ?
– Depuis ce matin.
– Mais c’est limité à une heure. Vous ne le saviez pas ?
– Non, mais comme je n’ai pas de montre…
– Et vous venez d’où ?
La route était totalement vide, pas une seule voiture en dehors de cette camionnette.
– Je vais de ferme en château
Et vous vouliez faire de l’auto-stop ?
– Oui, mais il n’y a personne. Alors je chante sur mon chemin.
– Mais vous dormez où ?
– Je couche la nuit sur l’herbe des bois. Les elfes divinités de la nuit. Les elfes couchent dans mon lit.
J’ai sorti de mon sac des fraises trouvées dans les bois.
– Vous en voulez ?
– Non merci. Et vous n’avez ni gants ni masques ?
Alors là, elle m’interloquait.
– Non, pourquoi…
Mais nous avons été interrompu par son chef qui revenait.
– Monsieur, j’ai vérifié vos papiers. C’est de la folie ! Vous n’existez pas. Vous êtes un personnage imaginaire.
Et là il s’est mis à me mimer. Il faisait semblant de chanter tout en marchant de part et d’autre. Comme il était gros et maladroit nous avons éclaté de rire avec la gendarmette.
– Et bien oui, je chante, je chante soir et matin. Ce n’est pas interdit.
– Non, mais vous n’avez pas l’attestation dérogatoire de déplacement ! Vos papiers sont étranges, on ne sait pas d’où vous venez et où vous allez. C’est vous le chanteur, le vagabond. On va vous enfermer. Oui votre compte est bon
Et nous voilà partis, dans la camionnette, pour la ville et le poste de police.
Dans la cellule le compagnon, un laquais chinois, qui y moisissait depuis plusieurs jours, était bègue. Je lui ai demandé s’il avait quelque chose à manger car la faim qui me poursuit tourmente mon appétit. Peut-être un plat de riz ?
Mais il a haussé les épaules et m’a juste répondu
– Tu tu tu e es es là pourrr quoi ? Toi ?
Et j’ai compris qu’il n’y aurait qu’une ficelle qui pourrait me redonner la liberté.
Et j’ai chanté :
– Ficelle soit donc bénie
Car grâce à toi j’ai rendu l’esprit
Je m’suis pendu cette nuit.
(Hommage à Charles Trenet et à sa chanson : Je chante)
Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnés par Bernard:
Imaginaire, folie, rire, tutu, mime (le personnage), gendarme
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Caillou le 27 avril 2020
Et le texte de Maryse
Transgression,
Lulu, le mime se préparait. Il savait que c’était une folie. Depuis quelques temps dans le pays le régime s’était durci et la liberté n’était plus qu’un mot encore gravé sur les frontispices des édifices publics. Toute la nuit il avait lutté contre son imaginaire, en vain.
Il devait le faire.
Il était là, derrière un grand drap blanc, les éclairages prêts à renvoyer les ombres de ses évolutions.
Il enfila son tutu rose. Personne encore dans la salle. Il savait pourtant que le dernier décret mentionnait “un homme est un homme, une femme est une femme, à chacun et chacune donc d’en porter le costume”. Il ajusta ses collants scintillants, noua les lanières de ses chaussons sur ses mollets. Plus que 10 minutes. Les bruits de la salle commençaient à lui parvenir. Il se concentra. Les lumières de la salle s’éteignirent et le grand drap blanc s’éclaira. La petite sonate qu’il avait choisie se fit entendre et il entama un pas de deux. Plus il s’élançait dans son espace, plus la joie l’envahissait. Il enchaînait les arabesques, les pirouettes comme jamais. Il exultait ! Des rires fusaient dans la salle et les larmes inondaient son visage. Ils n’avaient rien compris !
Un coup de sifflet, triiit,triiit….. Le gendarme fit taire la salle, déchira le drap blanc. Lulu n’opposa aucune résistance et se laissa menotter. Il l’avait fait !
Magnifique texte, Maryse, qui laisse, presque, sans voix. Merci.
En vieux routard des voyages en Langue, tu nous embarques et on y va. Et, Trenet qui n’a pas son mot à dire, est obligé de suivre et de mettre son sac à mots à ta disposition. Gonflé, quand même! Jusqu’au “tututu” qu’on attend, sans vraiment le voir venir. Belle balade. Merci.
Bravo à lulu et son tutu
Merci pour ces figures imposées très réussies. C’est toujours payant (??) de se compliquer un peu les choses, de s’obliger à respecter des rimes, un thème, un rythme, des mots. C’est encore plus beau lorsque c’est… difficile, aurait pu dire Cyrano ? Mais ne soyons pas maso : c’est tellement agréable de redécouvrir la chanson “Je chante” !