Cuilili cui cui cui cui cui….
C’est le son que fait la sonnette chez Yasmina et Ourida, dans leur appartement à Hussein Dey. C’est le son qu’on entend 20 fois par jour, au rythme des entrées et sorties des deux soeurs, des gens de la famille, des amis du quartier qui sont comme une grande famille. On s’y retrouve pour discuter, laisser ou récupérer un message ou un objet, profiter de quelques nuits d’hospitalité… respirer un air de liberté assumée… et saturé de fumée. Il y a même une chambre sacrifiée dédiée à la cigarette, surnommée Tchernobyl à cause des murs jaunis par la nicotine. Irrécupérable!
En 2007, quand j’ai franchi cette porte là pour la première fois, j’ai écrit dans mon journal de voyage “Que de gens formidables! Je touche du doigt une Algérie dont j’ai toujours rêvé, dont je soupçonnais seulement l’existence avant de rencontrer Georges et Hassina”.
J’avais connaissance d’une Algérie populaire, miséreuse et pleine de chaleur humaine. Il me manquait l’Algérie engagée, militante, rebelle à toute forme d’oppression et d’injustice.
Je l’ai trouvée parfaitement incarnée dans ces deux soeurs, Yasmina et Ourida, Yasmina toujours prête à lever la voix et le poing serré, Ourida plus calme et posée, mais pas moins déterminée dans sa lutte pour les droits des femmes. A chacune de nos rencontres, il était question de la marche mondiale des femmes, des évolutions du Code de la famille (ou de ses non-évolutions) , des situations que vivait telle ou telle femme qui avait fait appel à Tharwa Fadma N’soumeur, leur association. Toujours, l’ambiance était vibrillonnante autour d’elles deux, perpétuellement en action, en déplacement, et… en révolte. Rien n’a pu arrêter ce mouvement, ni l’assassinat de leur frère en 94, ni les menaces des intégristes qui s’en étaient suivies. Il fallait porter le voile ou se préparer à mourir. “Après tout, avait dit Yasmina, qu’est-ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue? Est-ce que c’est la qualité de vie ou le nombre de jours? ” et elles ont continué de sortir tête nue. Leur père, communiste, avait rendu service à tant de monde dans le quartier, il aurait fait beau voir qu’elles se fassent agresser!
Je me rappelle des soirées enfumées, à discuter autour d’un verre d’alcool, dans ce pays où la liberté se vit mieux entre quatre murs; de la douceur et de la gentillesse d’Ourida, trimballant tout le monde dans sa voiture. Je me rappelle d’un trajet de nuit dans Alger au son de l’Internationale chantée en kabyle. Je me rappelle Ourida feignant un coup au coeur quand on venait de se faire arrêter par un flic pour défaut de ceinture de sécurité. J’avais été stupéfaite de sa réactivité immédiate. On en avait beaucoup ri après coup. Elle parlait peu d’elle, mais j’avais deviné, avec cette anecdote, ses talents d’adaptation, forcés par le danger quotidien dans les années 90. Nos discussions tournaient souvent autour de cette période, et de la cause des femmes d’Algérie et d’ailleurs. Ourida, au delà de ses engagements, avait ce don pour l’accueil simple et l’amitié. J’ai du mal à réaliser que nous ne nous verrons plus. Il nous reste, pour continuer de penser à elle, à faire nôtres les combats qui étaient les siens.
Annelise
Magnifique texte, Annelise. Dès les premières lignes, j’ai compris que c’était toi. Je t’embrasse (Et Caillou aussi)
C’était bien Ourida et sa disponibilité.
Ton texte est émouvant, Annelise
Merci à Caillou de l’avoir publié
En ces temps de barbarie salafiste , je repense à Ourida , elle qui s’est battue au risque de sa vie et qui se battait encore contre l’obscurantisme et pour les libertés .