Lus (ou plutôt parcourus) un livre et un article, très importants pour comprendre ce que modifie la légalisation de la prostitution dans la tête des gens.
Le livre est de Sophie AVARGUEZ, Aude HARLE, Lise JACQUEZ, Yoshée de FISSER et s’intitule “Du visible à l’invisible: prostitution et effets frontières.”
http://www.balzac-editeur.fr/detail.php?article=194
L’article, très instructif, est dans le N°1 de la revue catalane « RUIXAT ». Il est signé Dominique Sistach : “Au fin fond des « bordels » de Catalogne : les clients roussillonnais de la prostitution”.
http://edition-trabucaire.com/index.php?page=shop.product_details&category_id=3&flypage=bookshop-flypage.tpl&product_id=261&option=com_virtuemart&Itemid=5
Perpignan et la Catalogne française jouxte la frontière espagnole. La Jonquera est ainsi la première ville, juste de l’autre côté de la frontière, où l’industrie de la prostitution a ouvert des bordels tout à fait légaux. Depuis plusieurs années le mouvement des “clients” a pris une ampleur considérable. On va en Espagne pour acheter de l’alcool, des cigarettes et on en profite pour s’éclater avec des putes. Puisque c’est légal !
Or ce qui est tout a fait éclairant c’est que cette légalisation, toute proche, permet de comprendre ce qui se passerait si la prostitution était légalisée en France.
D’abord en explosion statistique sur la prostitution elle-même puisque : « Les estimations médianes présentaient à la fin des années 2000 plus de 350 000 prostituées présentes dans la péninsule espagnole, les plus hautes estimations allant jusqu’à 500 000 prostituées : entre 20 000 et 40 000 prostituées seraient présentes en Catalogne » (1)
Mais aussi et surtout dans les changements de représentation de la prostitution dans l’opinion publique du Roussillon et en particulier des jeunes hommes.
Il s’agit donc de deux textes de sociologie, parfois un peu durs à comprendre pour un non-initié (ce que je suis) mais qui me paraissent vraiment éclairants :
Deux extraits :
La prostitution de la Jonquéra est ainsi inscrite, tant pour les garçons que pour les filles comme un élément intégré au contexte social, favorisant une résurgence des revendications et des pratiques de domination masculine. Elle forge, chez les garçons, parfois dès leur première expérience, la conviction que la femme est un objet à la disposition de leur plaisir. Elle leur donne un pouvoir nouveau de choix, d’accès à des femmes aux qualités esthétiques exceptionnelles et un moyen de pression pour obtenir plus de leurs compagne, parfois dans un contexte de chantage ou de comparaison qui constitue une forme de harcèlement. La prostitution participe ainsi a replacer les femmes dans un contexte de remise en cause des avancées obtenues dans l’égalité de l’accès à la sexualité choisie. (2°)
et
La massification du phénomène prostitutionnel comme élément constitutif de la vie sexuelle des jeunes catalans résulte aussi des droits et des souffrances de l’individu hypermoderne qui revendique le plaisir pour lui même et doit toujours se montrer performant, s’afficher comme un héros, dans tous les domaines de la vie, y compris dans la sexualité. Elle concerne tout à la fois les gagnants épuisés par la compétition et les perdants écrasés par celle-ci. Mais les jeunes garçons ne sont pas, dans leurs discours, les « perdants » désignés dans cette compétition, puisque les « perdantes », ce sont les prostituées.(3°)
1° “Ruixat” page 90.
2° “Du visible à ‘invisible…” page 184.
3° “Du visible à l’invisible…” page 203
Caillou, le 17 avril 2015