Dans l’Humanité du 3 mars 2014.
Patric Jean est cinéaste, porte-parole de Zéromacho.
Il est l’invité de la semaine dans l’Humanité.
Je préparais un film dans un ancien bassin minier où l’horreur sociale a embrassé plusieurs générations. Dans une maison où l’on accueille des femmes et leurs enfants, le plus souvent dans des déroutes indescriptibles, Sonia, une femme qui n’avait pas trente ans, refusait de m’adresser la parole. Pourtant, un jour, elle se mit à parler. «J’en avais marre de… De travailler pour un homme. Que je n’avais rien du tout. Qui rentrait comme un courant d’air et quand il rentrait c’était pour me taper dessus. De payer ses dettes.»
Puis elle se mit à pleurer et crier en tapant du poing sur sa cuisse. «Il m’a dit: ça t’apprendra, je vais te casser tes dents. Donc il m’a tapée avec un poing américain. Toute ma vie ça a été comme ça. J’ai été battue toute ma vie. J’ai été rejetée toute ma vie. Ma mère m’a tapé dessus. À coup de laisse de chien. Du tisonnier, j’en ai eu aussi. J’ai tout eu. Ma mère a joué au jeu avec trois types. Elle a payé. Un jeu de poker. S’ils gagnaient, ils pouvaient passer sur moi. Ils ont gagné. Ils sont passés sur moi. Ma mère est restée là en train de boire. J’avais quatorze ans. Elle était là assise dans le fauteuil. Et tous les trois sont passés sur moi devant les yeux de ma mère. Et je pleurais. Et après, ça a été mes deux frères qui m’ont violée.
J’ai fait un sale métier. Pourquoi? Parce que je n’avais pas le choix. Je n’avais plus rien. J’étais toute seule et il fallait que je me débrouille. Je n’avais plus de famille. C’est pour ça que j’ai fait ce métier-là. Pour sortir des problèmes. Pas parce que, moi, j’ai voulu faire ce métier.» Sonia, pendant une vingtaine de minutes, vomit sa souffrance autant qu’elle pouvait le faire. Elle n’était ni la première ni la dernière survivante de la prostitution que je rencontrais. Mais elle grava en moi l’idée que la prostitution n’est jamais un métier, même quand il est assumé. C’est le dernier esclavage à abolir. Et c’est ce qu’il faut faire.