Un texte écrit à deux…
Un soir d’hiver.
Le brouillard est tombé en fin d’après midi et sur le coup de cinq heures elle ne devinait même plus la facade de la maison d’en face, de l’autre côté de la route, celle qui mène à la foret puis, plus haut, au col de Peyresourde. Elle a fermé les volets, bloqué le portail, et fait le tour de la maison.
Cette maison est d’habitude pleine de cris d’enfants, de rires, de galopades, mais, pour une fois, elle est seule et cette solitude ne lui pèse pas.
Elle s’y est préparée, elle l’a même voulue. Elle se doute bien que partout, autour de la maison, les gens se préparent, s’habillent, dressent les tables, mitonnent des plats recherchés…Mais ce soir ce ne sera pas pour elle!
Elle a dans la cuisine préparé en silence et en prenant, pour une fois tout son temps, une soupe de potiron, toute simple. Il n’y a que le tic-tac de l’horloge murale qui lui tient compagnie. Elle a débouché du vin rouge. Pas un grand cru mis de côté depuis des années, non, juste une bouteille modeste, rien que pour elle, pour cette soirée un peu exceptionnelle. Elle n’avait pas envie de passer cette soirée dans une autre famille que la sienne – sachant qu’elle ne s’y sentirait pas à sa place – aux amis qui s’ étaient inquiétés, elle avait répondu avec un clin d’oeil complice: « Je ne serai pas seule… », laissant planer le doute sur un éventuel compagnon. Mais ce n’était pas un mensonge: son coeur au quotidien tiraillé et morcelé de ne pouvoir vivre ses élans, profite ce soir du silence pour être en lien équitable avec tous.
Tandis qu’elle installe son repas sur le canapé blanc, devant la cheminée, tandis qu’elle trempe ses lèvres dans le verre de vin, son esprit voyage, par cercles excentriques et rend visite à tous ceux qu’elle aime et qu’elle sait ce soir entourés, heureux. Jamais elle ne s’est sentie plus proche de chacun qu’en ce moment. Dépassant les frontières du proche, du connu, sa pensée s’ouvre à tous, aux esseulés, aux exclus, ce soir elle est 6 milliards. Et pour la première fois elle se sent en harmonie.
Alors, loin, très loin de ces fêtes où un festin indécent et une débauche de dépenses suivent un appel hypocrite à la simplicité évangélique, elle se remémore des souvenirs anciens. Celui de l’année des travaux qui s’étaient éternisés et avaient transformé le salon en chantier dévasté. Ce Noël dans un univers rétréci derrière des bâches de chantier, sur le plancher où les lattes manquantes rendaient la marche malaisée, ce Noël intime pour lequel on n’avait osé inviter personne est un beau souvenir: de chaleur, de simplicité, de refuge.
Elle se rappelle aussi d’un souvenir de honte : sentiment éprouvé lorsqu’elle s’était précipitée sur le cadeau qu’elle venait de recevoir pour le sauver du sapin qui prenait feu. Honte d’avoir pensé à sauver son bien: une flûte à bec ténor en bois dont elle rêvait depuis longtemps, et qu’elle possède encore. N’ était-on pas censé être détaché des biens de ce monde? Où sont les belles paroles dès que se pointe la réalité? Pourtant, elle pourrait ce soir, en un rituel cruel, jouer quelques notes sur la flûte sauvée, car ironie du destin, tout ce qu’elle a pu posséder depuis est parti en fumée. Ce soir elle n’a plus rien.
Née dans une famille où l’on ne laissait pas les enfants croire au Père Noël, de peur qu’en perdant leurs illusions ils ne perdent aussi la foi, Noël et les fêtes de fin d’année ont toujours été pour elle la première contradiction entre actes et pensées.
Ce soir elle dînera d’une soupe de potiron avant de lire un bon bouquin. Potiron qu ‘on lui a donné, livre qu ‘on lui a prêté. Ses enfants sont chez leur père, ses parents chez les leurs. Elle regarde au pied du sapin dressé par habitude: si elle a envie d’ un cadeau, il lui faudra elle même l’y déposer. Elle pense alors: « Personne ne fera plus les choses à ma place, si je veux le bonheur, à moi d’y travailler. Cette année, j’ai compris: le Père Noël n’existe plus. »
Claire et Caillou, 24 décembre 2007.