Salut, garçon !
On ne se connaît pas, mais ce n’est pas un problème, c’est peut-être même un avantage : on peut se dire des choses qu’on n’oserait pas dire à un père, à un frère et même, parfois, à ses meilleurs amis. On ne se connaît pas, c’est Florence qui m’a demandé de t’écrire. Une amie qui habite à Paris et qui s’occupe de Zéromacho, un réseau d’hommes engagés pour l’égalité femme-homme.
Ainsi donc, tu t’es pris un râteau. Ou tu as peur de t’en prendre un. Tu la vois de loin, cette fille de ta classe, la jolie blonde aux longs cheveux, qu’elle ramène souvent vers l’arrière, d’un geste vif de la main, quand elle rigole avec ses copines. Depuis la rentrée tu la regardes du coin de l’œil et, tu peux bien l’avouer, elle hante tes nuits. Quand tu éteins la lumière, avant de t’endormir, elle est sur tes genoux, nue bien sûr, et elle ramène ses longs cheveux blonds d’un geste vif en souriant, tandis que tu découvres son corps et qu’elle aime ça… Bon, j’arrête là. La suite, tu la connais, pas la peine de te faire un dessin.
Sauf que rêve et réalité, c’est totalement différent. Dans la journée, cette fille ne te voit pas. Tu es transparent pour elle. Un parmi tous les autres, dans un groupe qu’elle fait semblant d’ignorer : les garçons de la classe. Eh bien, détrompe-toi !
Elle est comme toi ! Elle sait très bien qui tu es. Elle aussi elle rêve de garçons le soir en s’endormant. Peut-être pas de toi, peut-être d’un autre, mais elle en rêve aussi. Elle s’endort avec l’idée qu’un garçon découvre son corps et le trouve beau, qu’elle puisse elle aussi toucher le corps de l’autre. Les filles ne sont pas des statues. Elles ont aussi des désirs et des envies. Les idéaliser ne te sert à rien.
Il y aurait, paraît-il, une petite différence : elles y mettent de l’amour. Elles n’imaginent pas faire l’amour sans amour. Pour les filles, le corps, le sexe, ce doit être très bon mais seulement si c’est avec autre chose : une attirance, de l’amour. Et il paraîtrait que les garçons se sentent ridicules quand on parle de ça ? Les garçons ? C’est vrai, je peux en témoigner. Au pluriel, les garçons en rigolent. Mais au singulier ? Toi, garçon, avoue-le, si c’est cette fille-là que tu observes tout le temps, et pas une autre, si c’est celle-là que tu rêves de sentir nue sur tes genoux, si c’est de celle-là surtout que tu crains de te prendre un râteau, c’est bien parce que tu l’aimes. C’est aussi de l’amour que tu parles. Mais tu ne le diras pas à tes potes.
D’autant que ce n’est pas d’amour que parlent les films que tu regardes sur l’ordinateur. C’est de pornographie et cela n’a rien à voir, ni avec l’amour, ni avec la sexualité. C’est du théâtre où rien n’est vrai. Des bites d’une longueur pareille ? Tu regardes ton sexe et tu te dis que ce n’est pas le même ! Tu as raison. C’est le tien qui est vrai. D’abord parce que c’est ton pénis et que tu vis avec, et pas celui d’un autre que tu n’as jamais vu ailleurs que dans ces films. Ensuite parce les producteurs ont mis des années avant de les trouver, ces très rares types aux sexes surdimensionnés. Enfin, parce que si tu vois plusieurs de ces films tu remarqueras que ce sont très souvent les mêmes acteurs qui jouent avec leurs bites. Non, mon garçon, ton pénis est comme ceux de l’immense majorité des hommes, il est normal, et ces films mentent. Et puis ces filles, si jolies, qui rient alors qu’elles se font enfiler par tous les trous, tu les crois vraies aussi ? Eh bien non, ce ne sont, dans la réalité, que des femmes poussées par la misère, maquillées, coiffées, qui font ce qu’on les paie pour faire, pour te faire croire, à toi, garçon, que ce qu’elles subissent est vrai et qu’elles aiment cela. Alors que c’est un simulacre qui n’a rien à voir avec la sexualité. Les femmes n’aiment pas les « gang bang » ni les éjaculations faciales, ni les fellations, pénétrations, sodomisations à la chaîne, ni les humiliations, ni la souffrance. Et tout cela est très loin de cette jeune fille blonde qui est dans ta classe, et que tu aimes (sans te l’avouer).
Alors, pris entre les rires gras des copains, la pornographie, la ségrégation de fait qui, dans la classe et dans la vie, sépare les garçons et les filles, pris entre ce désir de jouir, le fait qu’il ne se réalise pas tout de suite, et cet amour que tu n’oses pas avouer et t’avouer, tu as peur d’elle et tu peux devenir haineux. Tu peux te réfugier dans le mépris des femmes.
J’ai autre chose à te proposer. Changes ton regard sur ton propre désir !
Vas-y sincèrement et courageusement ! Sachant qu’elle aussi te regarde et qu’elle en a peut-être envie, propose-lui d’aller avec elle discuter sur un banc, montre-lui le monde, écoutez ensemble les oiseaux dans les arbres, regardez le soleil qui se couche ! Elle craint peut-être ton appétit sexuel de garçon ; alors, oublie ce rôle qu’on veut t’imposer et prends ton temps ! Laisse-toi aller à ces confidences et ces sourires où rien d’autre ne se dit que le plaisir d’être ensemble. Tu n’es pas un garçon parmi les autres puisque tu es toi, un être unique avec tes craintes et tes richesses. Mais elle aussi n’est pas une fille parmi d’autres. Elle aussi est unique. Rejetez ces groupes où on se compare et où on se contrôle ! Et vous deviendrez peut-être autre chose : un couple ! Mais vous avez tout le temps. Prends la vie comme elle vient ! Et avec elle vous arriverez ensemble à faire l’amour.
Allez, vas-y, elle t’attend peut-être avec autant d’impatience que toi !
Si ce n’est pas ce qui se passe, si elle te rejette dès que tu l’abordes, tu seras triste. Tu voudras pleurer. Mais parce que c’est elle que tu aimais, parce qu’elle t’attirait, parce qu’elle était (à tes yeux) si belle, ce sont de bonnes raisons d’être triste.
La mauvaise serait que ton orgueil en prenne un coup.
La mauvaise ce serait de te rejeter dans un camp contre l’autre.
Courage ! Tu as toute la vie devant toi.
Je t’embrasse.
Caillou
Un vieux type qui est passé par là. Ce qui est le cas de tous les hommes autour de toi.
Caillou, le 3 mai 2013
Merci, dix-sept fois merci.