Vers 16 heures, tu es rentré dans la chambre. Avec le store baissé, celle-ci était un peu dans la pénombre. Marie était seule et semblait dormir. Heureusement qu’elle était disponible cette chambre pour personne seule, à cet étage de l’hôpital. Marie était allongée sur le dos, soulevant à peine les draps, avec les bras bien allongés, le long du corps. Et avec tous ces tuyaux qui la maintenaient en vie.
Entends le bruit sourd des machines
Qui pompent qui surveillent et qui trient
Le goutte-à-goutte d’une perfusion
Le temps qui passe et qui s’enfuit.
Elle ne parlait plus depuis déjà plusieurs heures. En augmentant les doses d’antalgique, le chef de service avait choisi : « plus de douleur mais peut-être plus de conscience non plus. ». Vous étiez d’accord. Marie avait sombré dans un sommeil tout d’abord agité puis de plus en plus calme. Elle n’en sortait plus que pour de courts instants où son regard suivait encore ceux qui étaient, peut-être, pour elle devenus des ombres. Mais elle ne parlait plus. L’infirmière t’a laissé seul en disant : mais, parlez lui. Elle comprend le son de la voix, la musique, la tendresse des intonations même si le sens des mots lui échappent certainement. Vous entendre lui fait du bien.
Alors je parle pour ne rien dire
Je donne des nouvelles des amis
Mais sans réponse, tout tombe à plat
Je ne sais plus quoi dire aujourd’hui
Ses yeux s’ouvraient, elle cherchait du regard et c’est ta voix qui la guidait. Tu t’es penché sur son visage, sentant de tout près son haleine et tu as plongé, une dernière fois peut-être, dans son regard. Tu étais juste là au-dessus d’elle. Et tes mots n’avaient plus aucune importance. Tu caressais sa main tout doucement. Marie ne réagissait plus que par son regard
Je me lève, ton regard me suit.
Je parle pour toi, questions-réponses.
Je te raconte des conneries.
Que veux-tu dire ? Je t’aime aussi ?
Et puis, elle a refermé les yeux. Elle semblait partie déjà très loin dans cette course dont tu connaissais l’issue. Il y eut un long silence, et tu t’es levé pour aller vers la fenêtre. Le store n’en était pas complètement baissé et tu t’es penché pour voir le paysage depuis ce dernier étage de l’hôpital Larrey. On y voit tout le sud de la ville, jusqu’aux collines de Fonsegrive, la vallée de l’Hers et Montaudran.
Quand il pleut derrière la fenêtre,
Comme un linceul de draps mouillés
Dont les plis vibrent d’eau vivante,
Tu poses ton front, le verre est froid.
Cette ville, où vous aviez vécu ensemble toutes ces années de découverte, et qu’elle allait laisser. La vie trépidante, les bagnoles repartant au feu, les avions qui striaient le ciel, les gens courant sur les trottoirs mouillés, tous ces petits bouts d’individualité dans une géante fourmilière grouillante de vie et Marie, derrière la fenêtre, centrée sur sa douleur, acceptant peut-être de partir. Et tu te souviendras longtemps de ce contraste entre la douleur, ton angoisse, le calme de cette chambre d’hôpital, cette fin imminente et la visible continuité du monde. Entre les deux, juste une fenêtre…
Toujours cette mélancolie, cette fragilité si juste quand les mots doivent être prononcés comme un exorcisme de l’instant difficilement soutenable. Les lendemains sont parfois moins durs à vivre.
Marie a eu de la chance d’avoir un si grand ami. Il faut beaucoup d’amour, de tendresse et de respect pour écrire ça. Ce texte n’est pas dur au contraire, il est très doux. Je t’en remercie.
Des mots justes, beaucoup de tristesse, mais surtout de tendresse.
Tu as très bien exprimé ce que j’ai déjà ressenti. C’est beau
Un récit brut & tendre -profondément humain-
Marie s’en est allée, sur la pointe des pieds
Accompagnée
très cher ami, ton texte est d’une beauté sans pareille. Il m’a profondément
émue. Bien sûr, je pensais aux derniers jours passés aux côtés de François
au service des soins intensifs. Je comprends ta douleur en des moments
pareils et l’impression d’être là dans “un no mansland”
entre un monde qui bouge, qui vit et cet être aimé sur le point de partir
ailleurs, mais doucement,sans faire de bruit, les yeux fermés après un
dernier regard à ceux qu’elle a aimés. Oui Caillou, je comprends ce que tu as
vécu et que tu dévoiles si forterment à travers ces textes merveilleux.
Merci. Je t’embrasse. Gaby