Université d’été d’ATTAC.- Toulouse
26 Août 2012 – Atelier Prostitution et Mondialisation.
Présenté par Sandra et Huayra pour la Commission genre d’Attac et Judith Trinquart, médecin
L’organisation de la prostitution à l’échelle mondiale
La commission genre d’ATTAC a travaillé sur la question de la prostitution depuis un certain temps et a publié un livre intitulé « Mondialisation de la prostitution, atteinte globale à la dignité humaine » en 2008.
Pourquoi revenir encore sur cette question en 2012 ?
D’abord parce que la situation ne s’est pas améliorée en 2012. Au contraire le phénomène ne cesse de s’aggraver et le nombre de personnes concernées explose. Par ailleurs, le débat revient aujourd’hui dans l’actualité car le parlement français a adopté une résolution en novembre 2011, réaffirmant la position abolitionniste de la France et un projet de loi devrait être débattu et voté dans la mandature.
Nous allons donc présenter d’abord un état des lieux chiffré sur la réalité de la prostitution aujourd’hui. Ensuite nous ferons un examen des positions idéologiques, puis un exposé sur les conséquences de la prostitution sur la santé des femmes, enfin nous avancerons quelques revendications que nous aimerions porter et partager plus largement au sein d’attac.
Le premier constat qui s’impose est que la prostitution est en très forte expansion, notamment depuis les années 90, qui ont constituées un véritable tournant avec l’émergence des réseaux de traite. Au niveau mondial, on compterait environ 20 millions de personnes prostituées en 2009 (source : ONU), dont 75% entre 13 et 25 ans. Entre 90 et 95% d’entre elles dépendraient de proxénètes.
Pour se faire une idée de l’ampleur du phénomène, dans la décennie 1990, il y a eu 3 fois plus de victimes de la traite en Asie que de victimes de l’esclavage en 400 ans de commerce d’esclaves. Le chiffre d’affaire du commerce de la prostitution ne cesse de croître. Il était estimé à 70 milliards par an en 2008. Aujourd’hui il est estimé à 100 milliards, dont 30 milliards en Europe, et 3 milliard en France (Fondation Scelles rapport 2011).
Cette évolution est allée de pair avec une modification de la provenance des personnes prostituées. En France, par exemple, au début des années 1990, 30% des personnes prostituées de rue étaient de nationalité étrangère, elles sont 91% en 2010 (chiffres de l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains, confirmés par les enquêtes de la Direction de la sécurité de proximité de la région parisienne).
On observe les mêmes évolutions dans les autres pays européens où l’on est dans les mêmes proportions. Cela correspond aussi à l’évolution de la nationalité des proxénètes arrêtés puisque ils étaient moins de 20% d’étrangers dans les années 1980 et sont 64% aujourd’hui.
Comment expliquer ce tournant dans les années 1990 ?
Bien évidemment il faut prendre en compte les bouleversements géopolitiques, la chute du bloc de l’Est, l’ouverture des frontières intra-européennes avec Schengen en 1995, mais on peut aussi penser que la mondialisation et la libéralisation des échanges ont eu également un impact très fort, avec l’aggravation des inégalités, la pauvreté, les programmes d’ajustement structurel qui ont fragilisé des populations déjà pauvres dans de nombreux pays avec en parallèle une criminalisation croissante des migrants dans les pays du nord.
Et quand on sait que 80 % des pauvres dans le monde sont des femmes, on comprend bien que ce sont aussi les plus vulnérables est aussi de fait les plus grandes victimes de la traite.
D’autre part avec la libéralisation des échanges et la libre circulation des capitaux, la déréglementation financière et la montée en charge des paradis fiscaux, c’est devenu facile pour les trafiquants de développer ce commerce, de blanchir l’argent, de le faire circuler…
Enfin, avec un taux d’arrestation très faible, c’est une activité criminelle qui comporte peu de risque, pour des gains énormes.
La quasi totalité des personnes étrangères que l’on retrouve dans la prostitution sont victimes de la traite et de l’exploitation sexuelle.
Les estimations du nombre de personnes victimes de la traite sont assez différentes en fonction des sources. Elles sont estimées par la fondation SCELLES à 4 millions de victimes par an, dont 500 000 vers l’Europe, et dont 48% seraient des mineur(e)s.
Les circuits vont du sud vers le nord (du Nigeria ou du Cameroun par exemple), de l’est européen (Roumanie, Bulgarie) ou de Chine vers l’Europe centrale et occidentale. Toujours de pays plus pauvres vers des pays riches.
Ces trafics sont contrôlés par le crime organisé profitant de risques faibles, de rendements élevés et de nombreuses facilités pour recycler l’argent dans l’industrie du sexe légal ou semi légal, pornographie, salons de massages, téléphone rose, etc. Ce dont nous parlons ici, n’est pas seulement l’acte de vente d’un service sexuel contre rémunération, mais un véritable système, qu’on appelle le système prostitutionnel, un système organisé avec des recruteurs, des proxénètes, des familles, des trafiquants, des exploitants, des agents spécialisés dans les différentes phase de l’exploitation et générant d’énormes profits.
En même temps que se déployait ce nouveau système d’exploitation de la prostitution au cours des années 1990 et 2000, le cadre légal international a également commencé à évoluer et à partir de la fin des années 90 des débats ont émergés sur la question de la prostitution.
Avant cette période les traités internationaux étaient construits sur la base de la convention des Nations-Unis pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui de 1949. Signée par plus de 70 pays et ratifiée par la France en 1960, elle considère les personnes prostituées comme des victimes et affirme la nécessité de poursuivre les personnes qui exploitent la prostitution d’autrui, proxénètes et trafiquants, même si la personne prostituée est consentante. Il n’y a donc pas de différence entre la traite et la prostitution. Dans la même ligne clairement abolitionniste ont suivis, en 1979, la convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, comprenant un article sur le trafic des femmes et l’exploitation de la prostitution, et en 1989 la convention sur les droits de l’enfant. Enfin le protocole de Palerme, réaffirme, en 2000, le caractère indissociable de la traite et de la prostitution et soulève pour la première fois la question de la demande. Il engage les États signataires à décourager la demande, sans toutefois leur interdire de réglementer la prostitution.
Mais à partir de la fin des années 90 on assiste à la montée en charge d’un lobby pro-prostitution qui met en avant un nouveau concept, la « prostitution forcée », visant à distinguer la traite d’une forme de prostitution « libre ». On reviendra plus tard sur les implications plus larges de ce changement de vocabulaire et sur la notion de consentement, mais notons dès maintenant que ces termes aboutissent très concrètement à une inversion de la charge de la preuve, car c’est maintenant aux victimes de prouver qu’elles ont été forcées. Ce lobby a marqué un certain nombre de points dans les instances internationales puisqu’aujourd’hui, eu Europe par exemple, les conventions et les directives se focalisent uniquement sur la traite. Considérant que sur la prostitution, il n’y pas d’accord entre les Etats, on ne parle plus que de la traite.
Ensuite on a même commencé à parler de « traite forcée », ce qui peut paraître caricatural (oserait on promouvoir la « traite libre » ??), mais ce concept a néanmoins été utilisé efficacement en 2001 par la cour Européenne de justice qui a autorisé des femmes de l’Est européen à « migrer pour travailler dans l’industrie du sexe » aux Pays Bas.
Actuellement le débat continue avec une confrontation entre les abolitionnistes et les réglementaristes sur le vocabulaire dans les instances internationales et dans les débats internes aux Etats sur les législations nationales.
En Europe, on peut distinguer 3 catégories d’États.
– Les pays prohibitionnistes, où tous les acteurs sont réprimés : prostituées, proxénètes et clients, avec souvent dans les faits une certaine tolérance.
– Les pays réglementaristes qui estiment nécessaire de donner un cadre à la prostitution et de la réglementer pour améliorer les conditions d’exercice des personnes qui se prostituent. Dans certains pays cela va jusqu’à considérer la prostitution comme un véritable travail, donc à légaliser le proxénétisme, et à faire de l’entreprise du sexe une entreprise comme les autres. C’est le cas des Pays Bas, de l’Allemagne, de la Catalogne ou de l’Autriche.
– Enfin les pays abolitionnistes se basent sur la convention de 1949 et le protocole de Palerme. Les personnes prostituées y sont considérées comme des victimes et les proxénètes comme des criminels. La prostitution n’est pas interdite et donc pas réprimée, mais elle n’est pas reconnue et on considère que le cadre légal ne doit pas l’encourager.
Dans certain pays, c’est le cas de la Suède depuis 1999, et maintenant aussi de la Norvège (2008) et de l’Islande (2009), on est allé plus loin en interdisant l’achat d’actes sexuels (ce que les médias appellent la pénalisation des clients) C’est ce qu’on appelle le néo-abolitionnisme.
En France, pays traditionnellement abolitionniste, on observe un net recul depuis quelques années, notamment avec la loi de sécurité intérieure (LSI), de 2003, qui a pénalisé le racolage passif. La qualification de victimes des personnes prostituées est remise en cause par leur criminalisation, basée sur des considérations de maintien de l’ordre.
On a maintenant un peu de recul sur les expériences de ces différents pays car les Pays-Bas ont réglementé la prostitution depuis maintenant 12 ans et la Suède a interdit l’achat d’actes sexuels depuis 1999, dans le cadre beaucoup plus large d’une loi cadre sur la prostitution, prenant en compte un ensemble de questions liées à l’accompagnement des victimes, à la régularisation des personnes prostituées sans papiers, à l’hébergement etc. dans le cadre d’une politique sociale globale.
Quel est donc le bilan de ces lois ?
On ne dispose pas pour les Pays Bas d’estimations chiffrées du nombre de personnes prostituées aujourd’hui. Elles étaient 25 000 en 1999, mais on ne sait pas combien elles sont aujourd’hui. On sait en revanche que la traite a été multipliée par 3 ce qui correspond à une augmentation très importante du crime organisé, au point que même les autorités néerlandaises se disent dépassées et souhaitent aujourd’hui, sans revenir sur le principe de la règlementation, en restreindre les conditions pour mieux en contrôler les dérives, notamment augmenter l’âge autorisé pour exercer, de 18 à 21 ans, pénaliser les clients qui fréquentent des prostituées non enregistrées (mais les prostituées aussi), et créer un registre national obligatoire des personnes prostituées autorisées.
À Amsterdam par exemple, (car la loi attribuait aux municipalités la compétence de régulation de cette activité, licences, autorisation d’ouvertures des bordels, tenue de registres locaux etc.), depuis 2005 le maire a préempté la moitié des maisons abritant des bordels du quartier rouge, estimant que c’était devenu totalement incontrôlable avec un développement très important du crime organisé, de la traite, du trafic de drogue, etc.
Par ailleurs l’exploitation n’a pas disparu du secteur réglementé, comme l’attestent les cas d’arrestation de réseaux exploitant des femmes contraintes de se prostituer dans des bordels parfaitement légaux.
Aux Pays Bas depuis 2000 il y a 900 affaires de traite. En comparaison en Suède, sur la même période il y en a eu 50 (les Pays Bas comptent à peu près le double de population que la Suède).
En Suède, il y avait à peu près 30% de la population qui était d’accord avec cette loi cadre dans les années 1990. Il y a maintenant dans les sondages 80 % des Suédois qui approuvent cette loi incluant l’interdiction d’achat d’actes sexuels. La prostitution de rue a beaucoup diminuée, de près de 80% selon le bilan fait par le gouvernement suédois après 10 ans d’application, alors que sur la même période elle a explosé partout ailleurs (au Danemark elle a été multipliée par 2, et en Norvège par 3, ce qui fait que dans ces 2 pays comparables à la Suède on trouve un pourcentage de personnes prostituées par rapport au nombre d’habitants 5 à 6 fois supérieur à celui de la Suède). En ce qui concerne la traite, le nombre de personnes prostituées étrangères est resté stable en Suède alors qu’il a fortement augmenté partout ailleurs. Mais ce qui est très important aussi dans cette expérience est l’impact sur le changement des mentalités. Selon les enquêtes, on voit qu’avant cette loi le pourcentage d’hommes ayant recours à la prostitution était presque identique en Suède et aux Pays Bas : 14% en Suède, 13% aux Pays-Bas. 10 ans après cela a diminué de moitié en Suède (7%) alors qu’on est passés à 21% aux Pays-Bas, auxquels il convient de rajouter les nombreux clients étrangers (le tourisme sexuel représente 5% du PIB des Pays Bas).
Par ailleurs les associations accompagnant les personnes prostituées témoignent du fait que celles qui souhaitent sortir de la prostitution trouvent dans ce cadre légal une force morale supplémentaire pour chercher de l’aide. En effet en pointant la responsabilité du client, la loi a un effet de déculpabilisation pour les femmes, considérées comme des victimes et non comme les responsables de la situation.
————————————————————————– Le Yuka dur
Une réponse à Prostitution, toujours…
Arguments féministes contre l’industrie de la prostitution (source liste d’études féministes internationale)
Prostitution – Pourquoi il faut mettre fin à une des plus anciennes violations des droits humains
Arguments féministes contre l’industrie de la prostitution
par Finn Mackay, militante féministe et chercheure
Je suis certaine que tout le monde serait d’accord sur certaines choses : par exemple, que les personnes impliquées/exploitées dans ce secteur ne devraient pas être pénalisées. Les groupes féministes réclament la décriminalisation des personnes exploitées dans la prostitution, le retrait de la loi des crimes de flânage et de racolage et l’effacement de tous les dossiers criminels concernant ces infractions, puisque la présence de tels dossiers inhibe encore davantage l’entrée des femmes dans l’économie formelle du marché du travail, de la formation et de l’éducation et les étiquette injustement comme criminelles. Les groupes féministes ne réclament en aucune façon la criminalisation des femmes en prostitution et ils trouvent intolérables les amendes, sentences de prison et ordonnances restrictives infligées aux femmes relatives à des comportements antisociaux.
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