Université d’été d’ATTAC.
Toulouse le 26 Août 2012
Atelier Prostitution et Mondialisation
Présenté par Sandra et Huayra pour la Commission genre d’Attac et Judith Trinquart, médecin
La violence de la prostitution, impact sur le corps des femmes
La prostitution ce n’est certes pas de la sexualité. Cest de la marchandisation des corps et c’est de la violence sexuelle. La violence initiale fondamentale de la prostitution c’est l’acte sexuel non désiré, à répétition, subi par la personne prostituée, quelque soit le type de prostitution, que ce soit de rue, de l’escorting, dit « prostitution glamour », du salon de massage. Et pour se protéger de ces actes sexuels qu’elles ne désirent pas, les personnes prostituées vont développer une forme de défense qui est au départ une défense physique et psychique involontaire que j’ai appelée la décorporalisation.
Définition : processus de modification physique et psychique correspondant au développement de troubles sensitifs affectant le schéma corporel et engendrant simultanément un clivage de l’image corporelle, dont le résultat final est la perte de l’investissement plein et entier de son propre corps par une personne, avec pour conséquence la perte du soin de son corps et de sa santé. Ce processus est provoqué par la nécessité de s’adapter à un contexte d’effractions corporelles répétées et régulières, ou imposant un vécu d’instrumentalisation extrême du corps de l’individu.
Donc cela affecte 2 choses : le schéma corporel et l’image corporelle. Ces 2 éléments sont les instances qui nous permettent de construire notre corps. ( voir Françoise Dolto dans « L’image du corps »)
Pour expliquer ce dont il s’agit prenons comme exemple un petit garçon atteint de poliomyélite. Le schéma corporel de ce petit garçon est modifié puisqu’il va être atrophié des membres et des jambes, donc il aura un schéma corporel atteint. Par contre s’il a des parents qui l’aiment qui lui disent qu’il est beau, qu’il est mignon, qui l’entourent d’affection, qui lui disent qu’il est capable de réaliser plein de choses, qui peuvent l’encourager à faire du sport, à se développer physiquement, il va avoir une image corporelle qui va être bien construite. Un enfant investi d’affection, d’amour, pourra aller au maximum de ses possibilités, devenir un champion de sport paralympique, faire des choses bien.
On peut donc avoir un schéma corporel atteint et une bonne image corporelle. Il y a des gens qui ont les 2.
Prenons à contrario l’exemple d’une petite fille absolument ravissante, avec un schéma corporel parfaitement complet, mais qui a une mère qui lui répète tous les jours qu’elle est moche, qu’elle ne l’aime pas, qui la rejette. Elle va se construire une image corporelle très mauvaise, ne sera pas investie d’amour et d’affection et cherchera ensuite dans toutes les
situations cette affection et cet amour qui lui ont manqué. Elle va construire des histoires à répétition qui seront des échecs, va vouloir modifier son aspect physique, va faire faire des opérations chirurgicales à répétition, par exemple se fera faire gonfler les seins, une bouche plus grosse,… A l’âge adulte, c’est une femme qui essaie de se faire aimer avec des choses qui ne vont jamais marcher,…avoir un premier mariage qui sera un échec, toujours courir après cet amour maternel qu’elle n’a jamais eu. Donc c’est une personne qui a un bon schéma corporel mais une image corporelle catastrophique.
Il y a bien sûr aussi des gens qui ont un schéma corporel catastrophique et une image corporelle catastrophique aussi !
Donc la décorporalisation touche les deux, le schéma corporel et l’image corporelle.
– Au niveau de l’image corporelle la décorporalisation va produire un clivage. On aura la personne prostituée et la personne privée. La personne prostituée va se construire un personnage qui n’est pas elle, pour se protéger. Donc des personnalités fantasmagoriques qui leur permettent de se prostituer avec un faux nom, avec du maquillage. Une sorte de théâtralisation, de schizoïdie.
-Et au niveau du schéma corporel, il va y avoir apparition de ces troubles sensitifs de cette anesthésie, qui va apparaître progressivement.
D’abord une hypoésthésie, une insensibilité, d’abord au niveau de la sphère génitale : pour se protéger de ces rapports sexuels que l’on ne veut pas ressentir, ces rapports sexuels non désirés, on cherche à s’anesthésier au niveau de la sphère génitale.
Ensuite l’anesthésie gagne l’ensemble du corps. On ne ressent plus de sensations. « C’est comme si je n’étais pas là, comme si j’étais à l’extérieur de mon corps » peuvent dire des personnes prostituées. Quand elles ne sont plus en situation de prostitution, les effets disparaissent, elles retrouvent des sensations normales. Mais plus les personnes restent dans la prostitution plus cette absence de sensations s’installe de façon définitive.
Donc au départ c’est un mécanisme de défense momentané, qui devient petit à petit permanent. Ces personnes ne vont plus rien ressentir, plus ressentir la douleur, plus les signaux de maladies, les alertes que le corps envoie. On aboutit ainsi à un désinvestissement corporel. Le seuil de tolérance à la douleur est très élevé. Elles aboutissent à une grande négligence corporelle. Peu de soins médicaux et d’hygiène sanitaire.
Le problème n’est plus alors d’offrir plus de soins, ou des soins de proximité. Le problème c’est que l’on a un vécu d’instrumentalisation du corps que l’on ne fait réparer que quand rien ne va plus. On peut donner des couvertures sociales, offrir un centre de soin etc. Le problème n’est plus là. Il est qu’elles ont perdu leurs corps, et ne le font plus soigner parce qu’elle ne ressentent plus les choses.
Par exemple : « La semaine dernière j’ai reçu une personne en
situation de prostitution, elle avait la CMU, elle avait un médecin traitant, elle était régulièrement suivie dans un service de psychiatrie ; eh bien elle était couverte de furoncles en train de s’abcéder et elle ne faisait rien pour les soigner, parce que elle n’était «plus dedans», elle n’était plus investie, et pourtant elle disposait de ce qu’il fallait pour se soigner.
Quelles sont les violences dans la prostitution ?
Je parle bien de prostitution, pas de la traite.
– Le taux moyen des personnes prostituées ayant subi des antécédents de violences sexuelles est de 80 à 95%. C’est donc énorme. On parle d’inceste, de pédophilie et de viol. (Voir les différentes enquêtes). Le nombre d’enquêtes semble important mais en fait il y en a très peu car c’est une population qui n’intéresse pas grand monde.
– En situation de prostitution le taux de personnes qui subissent des violences sexuelles est de 65% .
Il y a un lien particulier entre l’inceste et la prostitution. Le système prostitutionnel est un gros recyclage des personnes victimes d’inceste. Un psychiatre chilien : Jorge Barudy a dit : «La prostitution est à la société ce que l’inceste est à la famille». Les 3 grandes analogies en sont : la loi du silence, la fonction de sacrifice et de bouc émissaire et l’argent.
– Sur les violences dans le système, Eva Thomas parle du «formatage». La réalité du formatage a été bien repéré par les proxénètes puisqu’ils utilisent le viol individuel ou collectif pour «dresser» les filles. Vous avez certainement entendu parler des maisons de «dressage» utilisées par les proxénètes de l’Est pour «dresser» les filles avant qu’elles n’arrivent sur le trottoir des capitales européennes. Ce sont des maisons où les filles sont amenées et ou elles sont violées pendant des jours et des jours pour les amener à être plus dociles et plus soumises. Une fois qu’elles ont subi ce type de dressage elles ne posent plus de problèmes.
– On distingue l’existence d’un proxénète physique et d’un proxénète psychique.
Le premier c’est celui que l’on voit sur le trottoir, derrière les filles. Le second, le proxénète psychique c’est l’ensemble des antécédents de violences sexuelles qu’ont connues la plupart des femmes qui sont dans la prostitution. C’est celui qui est dans la tête de façon consciente ou inconsciente. Il y a des personnes qui se souviennent des violences sexuelles qu’elles ont vécues et une grande majorité qui ne s’en souviennent pas.
Dans les consultations d’aide aux victimes 50 à 60 % des personnes subissant des violences sexuelles ont déjà vécu des violences sexuelles dans l’enfance ou dans l’adolescence mais ne s’en souviennent pas. Et c’est en parlant avec elles que les souvenirs d’inceste ou de pédophilie remontent à la surface. C’est la nouvelle violence qui fait ressurgir la violence antérieure.
Ainsi, les personnes prostituées de 30, 40 ou 50 ans qui sont sur le trottoir ne se souviennent pas forcément de ce qui les a amenées sur le trottoir. Ce sont ces violences sexuelles qui les y ont amenées, c’est cela le proxénète psychique. Et c’est encore plus terrible et pervers qu’un proxénète physique parce qu’elles s’imaginent être là de leur propre choix. C’est encore plus difficile pour elles de se rendre compte de ce qui s’est passé et donc d’arriver à s’en sortir.
– Les conséquences directes de la violence de ce système prostitutionnel c’est que, au même âge, les personnes prostituées connaissent beaucoup plus de mortalité et de morbidité que la population générale : les tentatives de suicide, l’alcoolisme, la toxicomanie. La violence est le premier facteur de mortalité et de morbidité chez les personnes prostituées et non pas, comme on a l’habitude de le dire les maladies sexuellement transmissible, sida ou autre maladies.
C’est la violence qui tue bien avant tout le reste.
– Les personnes prostituées sont extrêmement isolées. Isolement familial, car elles ne veulent rien dire aux familles, isolement social parce qu’elles connaissent très peu de personnes en dehors du milieu de la prostitution, isolement par la contrainte parce que les proxénètes ont la main mise sur leurs familles restées au pays. Donc ce sont des personnes en état de vulnérabilité, de précarité et de désocialisation.
Que faire contre cette décorporalisation ?
D’abord arrêter la prostitution, faire une restauration par la parole car ces personnes ont besoin de parler, de leur vécu de violence, de tout ce qui s’est passé. Il faut une dévictimisation, car ce sont des victimes et il faut reconnaître que la prostitution est une violence. En France en 2010 on a enfin reconnu que la prostitution était une violence à l’encontre des femmes. Il faut reconnaître que les auteurs de la violence sont le client et le proxénète. Or si le proxénète est poursuivi, le client ne l’est toujours pas. Et donc la question est aussi : que faire avec ce fameux client ?