Brice nous retrouve devant la mosquée de Birmandreis (Bir Mourad Reïs) et nous allons chez lui.
Brice, c’est un ami qui vit en France, en Ariège, mais travaille ici depuis des années. Il adore l’Algérie et les Algériens, s’est pris de passion pour la culture berbère et ses poteries, a pris des milliers de photographies dans les déserts, où l’amène son travail, ou dans les ports, où il va très souvent se promener. Brice a une grande et belle maison qu’il loue dans ce quartier, plutôt résidentiel, des hauteurs d’Alger. Ce soir il y a sa fille, Lucie, de passage à Alger pour un stage de quelques mois, et une femme, souriante et silencieuse, appelons-la Antigone, qui lui tient la maison. Elle a préparé un très bon repas, et, pour une fois, nous buvons du vin. Nous mangeons donc tous ensemble puis ils nous emmènent en voiture dans un autre quartier pour dormir dans l’appartement d’Antigone qu’elle nous prête pour quelques jours.
Le vendredi 13 avril, je me réveille dans cet appartement inconnu. Il a plu toute la nuit. Je ne sais pas où nous sommes, dans quelle rue, dans quel quartier de la banlieue d’Alger. Aquilina, qui ne veut pas manger les petits gâteaux de la réserve d’Antigone, part chercher du pain dans le quartier. À son retour, devant nos bols de café noir, nous discutons de la condition des femmes algériennes. Cet appartement, occupé, apparemment, par une femme seule, est une rareté dans ce pays, où les femmes ne peuvent normalement pas vivre seules mais doivent habiter chez un père, un frère ou un mari. Aquilina me raconte l’histoire de sa cousine, brillante élève, habitant dans une chambre de cité universitaire, mais qui, à la fin de ses études, se retrouve à la rue, ne pouvant plus rentrer dans sa famille, à la suite du divorce de ses parents. Cette cousine a dû se résoudre à épouser un Algérien vivant en Allemagne, donc à quitter le pays…
Aujourd’hui c’est le jour de la prière, tout s’arrête dans le pays. Surtout entre midi et deux heures. Aquilina va passer la journée avec son tonton. Donc quand Brice passe nous récupérer à l’appartement nous allons retrouver cet homme dans une gare routière voisine. C’est un petit monsieur charmant, à l’accent parisien, aux yeux vifs, toujours en train de plaisanter. Aquilina part avec lui et Brice, après avoir apporté de la graine de couscous à sa maison pour le repas, m’embarque alors dans une longue promenade en voiture dans Alger.
Nous allons tout d’abord, profitant d’une accalmie de la météo, jusqu’au monument des martyrs qui domine le sud de la ville.
En-dessous de nous, tout le port et la côte jusqu’au Cap Matifou. Beaucoup de visiteurs, des jeunes surtout, qui se photographient en riant. Ce pays est jeune. J’ai été très surpris d’apprendre, par Omphale, que le taux de fécondité des femmes algériennes s’était, ces dernières années, effondré, car l’Algérie me semble, dans ses rues tout au moins, un pays fondamentalement jeune. Le monument me paraît, en lui-même, plutôt laid. Il est très haut, et à chaque pied, une statue symbolise le peuple algérien, dans une posture héroïque. Bref, nous avons la même chose à la maison !
En contrebas nous allons voir un très grand centre commercial bâti en souterrain. Celui-ci est désert, prière oblige. De grands téléviseurs, accrochés aux piliers, montrent la cérémonie d’enterrement de l’ancien dirigeant Ben Bella à El Aliah, le cimetière d’Alger. Tous les chefs d’États du Maghreb sont réunis autour de l’actuel président algérien. C’est en direct et le commentaire, en français, est murmuré d’une voix compassée, pour témoigner du recueillement de la nation toute entière.
En fait Brice voulait surtout me montrer des tableaux de Baya, une artiste algérienne contemporaine et amie de Picasso, dans une galerie d’Art. Mais celle-ci est fermée. Son peintre préféré c’est Stambouli. C’est très coloré, naïf et gai… Mais je n’y connais rien.
En ressortant je m’approche des immeubles construits par Pouillon juste après l’indépendance. C’est le quartier de Diar El Mahçoul (cité de la promesse tenue). Ils sont déjà bien abîmés et sales mais surtout ce qui m’intrigue c’est la foule des paraboles qui en envahit les terrasses. Et au milieu de toutes ces antennes une cabane habitée par une famille. Le bidonville s’installe sur les toits…
Puis, en voiture, nous nous promenons dans Alger en longeant le bord de mer et en remontant par Bab El Oued. Il pleut maintenant à torrent. Brice a peur que l’eau ne soulève les plaques d’égout et que nous tombions dans un de ces trous invisibles sous le déluge boueux qui dévale les rues. C’est dans ce même quartier que, dans les mêmes circonstances, il y a eu plus de 1000 morts en 2001. Cette ville, dont beaucoup de quartiers pauvres sont accrochés à de fortes pentes, n’est pas faite pour la pluie.
Après le repas, un très bon couscous au grain très fin, ni Lucie (qui doit bûcher) ni Antigone ne voulant nous accompagner, nous repartons mais cette fois-ci vers le cap Matifou.
Ce qui était à l’époque coloniale un lieu de villégiature, un petit port au bord de l’eau, de l’autre côté de la baie, est devenu une banlieue d’Alger. Des barres d’immeubles en construction remplacent les cités d’urgences qui abritent depuis des années les victimes du tremblement de terre de Boumerdess.
La pluie incessante ne fait qu’en rajouter le caractère sinistre. Je retrouve, à travers le pare-brise, le petit port, une maison européenne, et curieusement une ancienne église enchâssée à l’intérieur d’une caserne militaire.
Brice me fait remarquer que c’est à la présence d’arbres le long des trottoirs que l’on reconnaît les anciens centres-villes de l’époque coloniale. Comme si les Algériens, construisant après, avaient oublié de rajouter de l’ombre devant leurs maisons.
On rejoint Aquilina et son oncle à Rouiba, une ville de la Mitidja et on rentre sur Alger. Nous passons récupérer Lucie, et il nous invite à manger des brochettes dans un quartier excentré d’Alger à Draria. Cette ville semble n’avoir comme seule fonction que les restaurants de brochettes. Il y en a sur toute l’avenue centrale et ils ont l’air tous bondés. Il faut dire que c’est vraiment très bon. Et puis nous rentrons. Demain, nous partons visiter Tipaza.
Caillou, 5 mai 2012
Une pause aussi car le tout est tres emouvants.
Tu devrais editer a petit livre.
Merci
Bises.