Dans le premier bulletin d’UNIR, le N°1, d’octobre 1952, l’éditorial:
« Ce bulletin s’adresse à ta raison, a ton libre arbitre (..). Est-ce trahir que de briser la conspiration du silence et de l’acceptation inconditionnelle en posant aux cadres du parti les questions qu’ils ne pensent peut-être pas à se poser? (..) Il t’appartient donc, devant ce premier numéro de notre bulletin, de déterminer une position vis-à-vis de ta conscience de militant révolutionnaire. Vas-tu, en dirigeant responsable, examiner les arguments produits et tenter, après les vérifications honnêtes, de les peser, de les réfuter même, pour mettre cette conscience de militant en paix et te prouver que nous avons tort de critiquer la ligne présente du bureau politique indiscuté ? Vas-tu au contraire, en permanent soumis, déchirer ce bulletin, sous le prétexte facile qu’il est fractionniste, sans même peser les remarques qu’il contient, tout comme si tu avais peur d’être entraîné, de trouver là des vérités auxquelles tu ni le courage ni la capacité de répondre? ».
En 1972, vingt ans plus tard, dans une brochure (merci Alain!) annonçant la création des C.I.C. (Centres d’Initiative Communiste) voilà comment les militants d’UNIR parlaient de la création et du contenu de leur bulletin:
Je saute la présentation de l’initiative des C.I.C, (Cf: un peu plus bas),
pour passer tout de suite à l’histoire que présente le groupe UNIR de lui-même:
L’OPPOSITION COMMUNISTE AVANT LES C.I.C.
UNIR
Unir est le premier organe d’opposition communiste lancé à l’intérieur du P.C.F. depuis la Libération.
Il a été politiquement engendré par la session du Comité Central du P.C.F. des 3 et 4 septembre 1952, au cours de laquelle Jacques Duclos, assurant l’intérim de Maurice Thorez, fit ratifier la nouvelle ligne opportuniste dite de “Front National Uni”.
Sortant d’une période d’actions de commandos coupés des masses (la manifestation aventuriste du 28 mai 1952 à l’occasion de la venue du général américain Ridgway à Paris) le Parti Communiste était conduit par un Comité Central alors docile, vers une politique dont toute perspective révolutionnaire était bannie. Le “Front National Uni” ne visait qu’à l’union de tous les “bons Français” pour l’indépendance du pays et pour la paix. Il devait rapidement conduire à des meetings communs avec les dirigeants du R.P.F. gaulliste et amener Jeannette Vermeersch à répondre à des militants qui s’étonnaient de l’étendue de cette alliance: “Oui, même avec les collabos”.
La même session du Comité Central avait pris la décision de sanctionner deux membres du Bureau Politique, ceux qui avaient les plus belles biographies militantes: André Marty et Charles Tillon. Le changement de politique était évidemment lié à cette épuration préventive.
C’est au sortir d’une assemblée d’information des communistes de la région parisienne qu’un groupe de militants décida de “faire quelque chose”, entreprit de solliciter d’autres camarades sûrs. Le 10 octobre 1952, le N°1 d’UNIR paraissait sur 4 pages, en appelant à “briser la conspiration du silence” et en déclarant contre-révolutionnaire la ligne d’union sacrée adoptée par le Comité Central.
Staline vivait encore, et le chemin ne fut pas facile à la douzaine de militants qui animaient et finançaient le petit bulletin, sans oser même mettre une adresse de ralliement, et l’expédiant à 500 militants, parmi lesquels les cadres principaux du Parti.
Déformés eux-mêmes par des années de stalinisme, répugnant à “l’activité fractionnelle” qui leur paraissait encore hérétique, craignant le déshonneur de l’exclusion, redoutant de “fournir des armes à l’ennemi”, ils n’eurent que plus tard l’idée de regrouper une opposition après des mois de diffusion anonyme d’informations, de documents, d’analyses destinés à ouvrir les yeux des militants qui suivaient encore, mais surtout à mettre les cadres en face de leurs co-responsabilités.
La réaction de la direction fut claire, et souvent variable dans ses formes: à la vérité, il suffisait d’opposer la calomnie. C’est ainsi que Fajon accusa UNIR d’être une feuille des Renseignements Généraux, de la Sûreté Nationale, destinée à attaquer Auguste Lecoeur et à soutenir Marty. Plus tard, Lecoeur ayant rejoint les “poubelles de l’histoire”, Duclos affirma qu’UNIR était financé et même imprimé par le Parti Socialiste S.F.I.O., tiré à l’imprimerie de Guy Mollet à Arras.
Guy Ducoloné assura qu’Unir était édité par “Paix et Liberté”, mais lorsque cette organisation anti-communiste disparut, on laissa entendre que les titistes n’étaient pas étrangers à UNIR. Au moment de la crise sino-soviétique, UNIR fut cité avec les groupes maoïstes…
Pendant que ces campagnes grotesques se développaient, abusant souvent des communistes honnêtes mais trop confiants, UNIR poursuivait son chemin. Il passa à six pages et mentionna une adresse postale. commença à recueillir des abonnements, moins nombreux il est vrai que les lettres d’injures de camarades… dont beaucoup le rejoignirent par la suite.
Le XXème Congrès du P.C.U.S., en faisant éclater la réalité du stalinisme et malgré l’absence d’analyse politique sérieuse sur les racines des déformations en U.R.S.S. et dans les démocraties populaires, provoqua un afflux d’abonnements de militants qui apprenaient la valeur des accusations de l’appareil. UNIR eût 16 pages, passa à 24 pages le jour où il publia le premier, le texte intégral du Mémorandum de Togliatti, puis à 32 pages dans la formule actuelle, avec plus de 7.000 abonnés, parmi lesquels une majorité de membres du Parti, beaucoup de responsables, quelques permanents, grâce auxquels il put dénoncer de plus en plus largement les impostures de l’appareil.
En 1963, la campagne pour la réhabilitation d’André Marty que Duclos et ses pareils avaient osé traiter de “policiers” recueillit un millier de signatures, sous l’égide d’un Comité d’Honneur de 100 membres, parmi lesquels 50 membres du P.C.F. dont une dizaine seulement furent exclus.
Depuis 1952, Unir a publié ponctuellement 11 numéros chaque année et de nombreuses brochures sur l’unité, sur “Fils du Peuple”, sur “Notre Staline”, sur “le droit de tendances”, “le dossier algérien du P.C.F.”, etc.
Avant chaque Congrès du P.C.F., UNIR a ouvert des tribunes de discussion sur les projets de thèses de la direction permettant aux militants que l’Humanité censurait, d’exprimer tout de même leur opinion.
Un supplément mensuel ronéotypé est envoyé chaque mois aux abonnés communistes avec des documents photographiques, fac-similés d’articles comparés, permettant à ces abonnés d’argumenter, de démontrer, de convaincre dans les rangs du Parti. Par ce supplément mensuel sont engagées, en cas de désaccords, des “consultations générales” qui déterminent démocratiquement l’orientation ou les méthodes. Une consultation de ce genre est actuellement en cours pour savoir si UNIR doit être supprimé sous sa forme publique, en cas de lancement d’un journal mensuel des Centres d’Initiative Communiste, et se cantonner dans le rôle de “bulletin de liaison entre les membres du P.C.F.” qui militent dans ses rangs pour le redressement révolutionnaire et démocratique.
Outre cette bataille permanente, UNIR a pris des initiatives qui ont entraîné des pressions militantes considérables sur la direction du P.C.F. et l’ont obligée à en tenir compte. C’est le cas notamment de “l’Histoire du P.C.F.”.
Une décision d’éditer l’histoire du Parti avait été prise avant la deuxième guerre mondiale par le Comité Central du Parti; mais depuis l’édition de l’Histoire d’André Ferrat, les variations de la ligne et les “défaillances”, notamment pendant la première année de l’occupation nazie, rendaient l’application de la décision difficile. UNIR constitua trois commissions de rédaction avec des vétérans du Parti, des militants ayant vécus les grands événements de son histoire et des historiens (dont plusieurs appartenaient d’ailleurs à la Commission d’Histoire près le Comité Central). Des projets furent ainsi établis, contradictoirement, par trois commissions, et leur synthèse fut publiée par chapitres dans les colonnes d’UNIR dont tous les abonnés et lecteurs furent invités à critiquer, discuter, amender le projet.
C’est ainsi que parurent les trois tomes de l’Histoire du P.C.F. de 1961 à 1964, contraignant bientôt la direction du Parti à publier sa version, après que Jacques Fauvet eût sorti la sienne, non sans larges emprunts à l’Histoire élaborée collectivement par UNIR. Et ce document critique, malgré ses défauts, son aspect polémique, constitue non seulement une réfutation des falsifications de la direction du P.C.F., mais un matériau de comparaison que des dizaines d’historiens dans le monde, ont utilisé et cité.
On a accusé Unir d’avoir répandu des illusions sur la possibilité du redressement du P.C.F.
Son collectif responsable ne refusant jamais la publication d’une critique mais refusant l’insertion des compliments, a tiré les leçons de sa longue expérience, effectivement jalonnée d’erreurs et d’illusions, mais ayant permis de catalyser un courant de résistance dans le P.C.F. et fournissant des arguments à ses militants les plus conscients. La majorité des abonnés d’Unir ne croit plus – depuis l’intervention armée en Tchécoslovaquie – à la possibilité du redressement interne. C’est pourquoi, se refusant à considérer que les désaccords sur ce point sont une divergence insurmontable, Unir cherche à faire se compléter le travail intérieur de redressement, qui continue – avec ceux qui le veulent – et la pression extérieure, publique, des membres et anciens membres du P.C.F. qui pensent que la salut viendra du dehors. D’où le soutien d’UNIR à la tentative actuelle des “Centres d’Initiative Communiste” pour un épaulement réciproque des vrais communistes à l’intérieur et à l’extérieur, pour faire progresser le courant jusqu’à la crise salutaire.
La suite des événements dira si le Parti se redressera, s’il se reconstruira à partir d’une scission ou s’il sera constitué uniquement de l’extérieur. Les militants d’UNIR pensent que les tenants d’une autre stratégie ne peuvent pas plus qu’eux préjuger de cet avenir sur lequel peuvent peser des événements indépendants de leur volonté: crise en U.R.S.S., “nouveau printemps” dans une autre démocratie populaire, coup d’Etat en France avec carence de la direction actuelle du P.C.F., les éventualités sont multiples…
Je retiens, pour ma part, une phrase :
La majorité des abonnés d’Unir ne croit plus – depuis
l’intervention armée en Tchécoslovaquie – à la possibilité
du redressement interne.
L’année prochaine je passe au fonctionnement d’UNIR, à son organisation…
Je recherche toute documentation éventuelle et en particulier aux écrits du groupe, ses suppléments mensuels, son Histoire du PCF…
Caillou, 31 décembre 2011
…
Note:
PRESENTATION des C.I.C
L’histoire de l’opposition communiste, ici résumée dans ses phases les plus significatives, a de quoi étonner ceux qui n’ont jamais appartenu au P.C.F. Pourquoi l’activité des oppositions communistes a-t-elle pris le plus souvent une forme clandestine?
Pour le comprendre, il faut se représenter la vie d’un parti qui, depuis des dizaines d’années, sanctionne par des exclusions l’expression de critiques et de divergences. Il faut se rappeler que l’exclusion est accompagnée de campagnes systématiques de dénigrement où fleurissent les épithètes de “policier”, “traître”, “renégat”, etc, qui ont pour but et le plus souvent pour résultat de préserver l’adhérent de toute contagion critique.
La voie ouverte au militant conscient du fait que l’efficacité révolutionnaire passe par un changement des structures et de l’orientation de son parti est donc étroite. Agir publiquement, c’est se séparer du parti dont il pense qu’il reste la principale force révolutionnaire potentielle, dont il sait le rôle-clé qu’il joue pour toute mobilisation des masses. C’est renoncer à la possibilité même de se faire entendre de ceux qu’il cherche à convaincre. Agir secrètement, c’est également prêter le flanc à la calomnie de l’appareil et encourir le risque de voir ses intentions dénaturées aux yeux des militants. Mais les faits prouvent que cette forme d’opposition, qui fut la seule possible pendant une longue période, a pu maintenir un courant critique qui, en plusieurs occasions décisives, a débouché sur des discussions et des luttes politiques réelles au sein du P.C.F.; les pages qui suivent en témoignent. Difficilement mesurable, dans les structures actuelles du P.C.F., qui imposent aux adhérents un comportement monolithique, l’audience de l’opposition est tout de même attestée par des faits comme la continuité de la diffusion d’ “UNIR”, qui atteint plus de 7.000 abonnés, de même que par les milliers de communistes qui suivirent l’Etincelle au temps de sa parution clandestine.
Il est évident aussi que parmi les centaines de milliers d’adhérents qui ont quitté le P.C.F. depuis la Libération, nombreux sont ceux qui partageaient les vues des oppositionnels, même s’ils n’étaient pas prêts à mener le même combat interne. Le lecteur se demandera pourquoi l’opposition apporte aujourd’hui des changements dans la forme de son action, quelle est la nature et quelle est la portée de ces changements. La dernière partie de cette brochure s’efforce de répondre à ces questions. On y verra dans quelles conditions, internationales et nationales, a été prise, d’un commun accord entre les militants qui assumaient l’initiative de l’action clandestine des oppositions communistes, la décision de créer des Centres d’Initiative Communiste (C.I.C.) pour mener une action publique, en liaison avec les militants qui poursuivent la lutte interne.
On y verra aussi que l’objectif que s’assigne l’opposition unie, s’il est toujours la rénovation communiste, peut être conçu, en raison même de la situation dans le mouvement communiste et en France, selon des modalités différentes.
Nul ne peut préjuger de l’issue de l’action poursuivie sous cette forme. Mais l’effort théorique et pratique entrepris par les militants des C.I.C. pour réorienter dans une voie révolutionnaire et réorganiser dans des structures démocratiques la force politique essentielle de la classe ouvrière n’intéresse pas seulement les communistes. Il concerne tous les militants qui mènent le combat pour le socialisme.