Chapitre 18
Thierry s’était assis. Il regardait sans comprendre le mot trouvé dans la malle d’Henry. Mais comment ce « Robert » pouvait-il se trouver dans une lettre destinée à Henry ? Cela ne collait plus du tout ! Robert, ce type qu’il n’avait pas réussi à rencontrer à Lyon, c’était dans l’histoire d’Adrien ! Comment pouvait-il se retrouver dans les affaires de son frère Henry que plus rien ne rattachait ensemble depuis 1939! Cette lettre ne comportait pas de timbre ou d’adresse d’expéditeur, elle avait donc été remise de la main à la main, mais par qui, et quand ?
En dessous, dans une pochette cartonnée, il y avait quelques coupures de presse… Les feuilles étaient jaunies et les endroits des pliures risquaient de se déchirer… Il découvrit qu’il s’agissait d’articles de la Dépêche et du Midi Libre datés, tous deux, du 10 août 1953. Il déplia tout doucement le premier, celui du journal local, l’édition de Muret. Celui-ci relatait l’horrible accident de chemin de fer qui s’était produit la nuit précédente entre Béziers et Narbonne. Ce train, venant de Marseille, roulait beaucoup trop vite et, pour une raison encore inconnue, avait percuté un convoi de marchandises qui, venant de Perpignan, circulait en sens inverse. Erreur d’aiguillage ? L’article ne l’affirmait pas… Une enquête était en cours pour déterminer les causes de ce drame épouvantable qui avait causé la mort de quatre voyageurs, dont un Murétain, Henry Lecourt. Ce militaire, de retour d’Indochine, venait d’être démobilisé à Marseille et rentrait chez lui. La rédaction locale de la Dépêche exprimait toutes ses condoléances attristées à cette famille très honorablement connue de la ville, etc.
Le jeune homme réfléchissait en regardant, au-dessus de la malle ouverte, sur un cintre accroché à un clou, la tenue militaire de son oncle, repassée et poussiéreuse,
Henry était à Marseille le 9 août. Il descend du bateau. C’est trois mois après le retour d’Adrien, puisque Chavez lui a indiqué comme date avril ou mai 1953. C’est peut-être le même bateau. Est-ce que cette lettre a pu lui être remise par erreur ? Est-ce qu’elle était destinée à son frère ? Qui la lui a remise ? Un docker ? Un copain à Chavez ? Et pourquoi l’Espagnol ne lui en avait rien dit ? Il ne s’en souvenait pas ? Pourtant il lui avait donné des détails précis sur son oncle Adrien, il aurait du se souvenir de l’arrivée, trois mois plus tard d’un homonyme, surtout s’il avait été chargé de lui faire remettre un courrier. Henry était-il revenu dans un convoi exclusivement militaire ? Et dans ce cas comment aurait-il pu être confondu avec son frère ? Et puis qui étaient ces gens Marcel et Gabrielle ? Des militants marseillais? Et dans ce cas Chavez devait les connaître !
En tout cas Il détenait maintenant une preuve tangible de l’existence de ce Robert, ce prénom donné par inadvertance par Raoul Descombes et que Chavez n’avait même pas voulu lui donner. Maintenant, avec ce papier, le vieil espagnol n’hésiterait plus !
Et si Adrien n’avait pas été prévenu en avril ou mai, il était donc rentré en contact avec ce type de Lyon ? Que s’était-il passé ? Adrien était-il tombé entre les mains de la police et dans ce cas comment Blanchard ou Raoul n’en avaient-ils pas retrouvé trace ?
Il referma doucement la porte de la chambre oubliée et il rentra chez lui, bien décidé à contacter Maximin le plus vite possible et à repartir Marseille s’il le fallait.
Le lendemain matin, samedi, lorsque Thierry se réveilla, Nathalie avait laissé une note sur le frigo. Elle rentrerait plus tard car elle avait une réunion d’étudiants. Il attendit 10 heures en préparant le repas puis, une fois la table mise, il descendit jusqu’à la cabine téléphonique. Il composa le numéro d’Aubervilliers et, la troisième sonnerie, il entendit Blanchard qui répondait…
– Mr Blanchard. Je vous prie de m’excuser pour ce petit dérangement. Je représente la société immobilière Lariboi…
– Cela ne m’intéresse pas ! Et il avait raccroché.
Conformément aux instructions Thierry devait attendre un quart d’heure. Une grosse dame attendait son tour. Il ne pouvait pas décemment la laisser planter devant pendant autant de temps. Aussi il lui laissa la place. Elle entra dans la cabine, referma soigneusement la porte, et commença à papoter. Cela n’en finissait pas. Elle parlait en regardant l’appareil et en faisant des mimiques comme si elle avait son interlocutrice en face. Thierry attendait qu’elle en ait fini. Elle levait les bras au ciel, s’esclaffait… mais elle ne raccrochait pas ! Alors qu’elle continuait à dégoiser elle se retourna d’un coup affolée. Thierry venait d’ouvrir la porte et lui prenant le combiné des mains se mit à hurler : Veuillez excuser cette interruption momentanée de nos services ! Puis, la contournant dans l’espace exigu, il raccrocha. La grosse dame, interloquée puis furieuse, sortit sans un mot et très dignement tandis qu’il rappela un numéro griffonné dans son carnet d’adresse. Il eut immédiatement Blanchard au téléphone.
– Tu me téléphones bien d’une cabine ?
– Oui, oui… Ne vous inquiétez pas.
– Mais qu’est-ce que tu foutais ? Je suis en robe de chambre, moi !
– Oh rien c’était une pipelette à qui j’avais eu le malheur de laisser la place. Comment allez-vous ?
– Moi ça va. C’est pour toi que je m’inquiète. Est ce que tu es surveillé à Toulouse ?
– Non, je ne crois pas. Et vous ?
– Non, ou alors ils sont devenus très fort ! En tout cas nous avons bien fait de mettre ce système de téléphone de cabine à cabine. S’ils veulent maintenant nous écouter ils devront s’occuper de toutes les cabines du quartier.
– Il y en a beaucoup ?
– Oh, une bonne vingtaine… Bon, accélère, je commence à attraper froid. Pourquoi tu m’appelles, tu as du nouveau ?
Thierry lui raconta sa découverte de la lettre dans la malle d’Henry puis il lui fit part de toutes les questions que son contenu lui posait. L’ex-flic à la retraire l’interrompit au bout de quelques instants.
– Il faut que l’un de nous deux aille revoir ton Chavez. Mais là il s’agit de ne plus se faire suivre par des types, de ceux du genre de ton Max ! Comment tu vois la chose toi ?
– Il vaut mieux que j’y aille. J’ai bien peur qu’il ne veuille pas vous parler…
Maximin se mit à rire.
… d’autant que nous avons un bon contact. Chavez sait bien que je ne cherches que mon oncle, ou ses enfants, dans cette histoire. Je ne veux pas à lui attirer des ennuis à lui, ou à ses anciens camarades.
– Bon, si tu peux te libérer, tu vas aller à Marseille, Moi, je ne bouge pas et je te rejoindrais dès que possible. Quand peux-tu y aller ? Demain matin ? Et ton boulot ?
– Je vais poser quelques jours qui me restaient sur les vacances de l’année dernière.
– Bon. Tu me contactes dès que tu as du nouveau ?
– Toujours avec ce système de cabines ?
– Oui, c’est franchement plus prudent tant que je ne sais pas qui nous suit et pourquoi. Et même procédure. Tu siffles et je descends au numéro suivant sur ta liste, c’est la cabine du square…
– Ils vont rigoler les voisins de vous voir monter de descendre les escaliers en robe de chambre…
– Et bien je ne déshabillerais plus en attendant tes coups de fil. Allez, bonne chance petit.
Le « petit » raccrocha. Il avait trouvé que Blanchard avait l’air un peu triste. Pourvu qu’il ne lui arrive rien.
À suivre…
Caillou.1984