Septembre arrive enfin.
Pierre entre comme surveillant dans le lycée où Andrée travaille déjà. Il a, pendant l’été, perdu de vue Michel, Jacques et les copains anars. Seuls comptent Madeleine et son nouveau travail. Il rentre dans un moule…
Puis, après une quinzaine de jours, Pierre rencontre André à la sortie du bahut et elle lui propose de venir chez elle pour poser ses affaires, boire un coup, se changer, avant qu’elle ne vienne manger chez eux, rue de l’Université. « Juste un frichti, cela fera plaisir à Madeleine. »
Mais rue de la Condamine, rien ne se passe comme prévu. Il est assis sur l’unique chaise, elle est allongée sur la couverture rouge. Après avoir beaucoup parlé de Michel, ils ne savent plus trop quoi dire. Andrée le regarde avec des larmes dans les yeux. Il voudrait pouvoir lui dire les mots qui la consolent mais il n’en connaît pas. Il est gauche. Alors il se lève et vient s’asseoir près d’elle et lui caresse le visage. Elle ferme les yeux pour ne plus le voir, pour cacher son chagrin de Michel qui est parti et ne reviendra plus. Le visage de Pierre descend doucement vers les lèvres d’Andrée. Il ne sait plus lui même si c’est du désir ou de la consolation, mais il finit quand même par toucher ses lèvres et, après un instant d’hésitation, elle lui rend son baiser et ils s’embrassent. Très vite ils baisent comme s’il fallait faire vite. Elle pour se rendre à ses armes, et tant pis si ce n’est pas Michel, pour le renfoncer dans le silence dont il n’aurait pas du sortir. Baiser ! Cela lui fera plaisir à lui et elle en a envie ! Et lui sans réfléchir, ce corps laiteux maintenant lui fait dresser la queue. Elle halète d’un coup, il éjacule aussi, pas d’amour là-dedans c’est juste une méprise. Il se sent dégueulasse, elle se cache dans le lit. Il n’y a pas de mot échangés…
Après cette confusion, il s’en va et descend les escaliers puis se retrouve dans la rue, ensoleillée, de cette fin d’après-midi. Il part vers la Gare St-Lazare. Il fait beau, mais Pierre est mal comme un jour de pluie. Il va vers l’Opéra, les grands magasins désertés, tourne devant les « femmes nues – lampadaires ». Il pense qu’il pue maintenant, qu’il pue vraiment.
Les platanes du boulevard des Italiens sont poussiéreux et disent des « Merdes » retentissants aux quelques flics du carrefour qui jouent tous seuls dans le vide. Pierre marche, le dégoût aux lèvres et 50.000 virgules au cœur. Il va porter sa pourriture, maintenant, comme tous les autres. Les autres femmes nues, celles du Louvre, les bien grasses, offrent leurs corps en admiration à la guerre.
Pierre, la fourmi Pierre, la poussière Pierre, vu du haut de Notre-Dame, longe la Seine, puis tourne vers la Gare d’Orléans. La place vide est tranchée comme une tarte par le double rayon de ses pas et avalée sans coup férir par son ombre.
Pierre lentement, « Madeleine je t’ai trompé… »
Madeleine qui part sans réfléchir.
Pierre assis à la table qui se tait.
La nuit tombe, la page se tourne, il va pleurer.
À suivre…
Caillou 1967