– De plus en plus difficile de trouver un photographe compétent pour se faire tirer le portait dans cette ville !
L’homme ronchonnait derrière son volant.
– J’ai juste besoin de photos d’identité et il n’y a plus que des photomatons dans les halls de supermarché ! Ils ont tous disparu. Vous n’en connaissez pas un, vous ?
Je ne disais rien. Que dire ? Que j’avais vu fermer les uns après les autres tous les photographes de quartier pendant toutes ces années où ce gentil conducteur, qui m’avait pris en stop à la sortie de la ville, ne s’en était pas rendu compte, n’ayant plus besoin de leurs services…
– Et vous ? Vous ne vous faites pas prendre en photo ?
Hélas non, et depuis très longtemps, mais je ne voyais pas comment lui en expliquer la raison.
– Je n’en ai pas eu besoin.
– Et bien vous en avez de la chance !
Puis il continua à parler pour ne rien dire tandis que je regardais la route devant nous.
La dernière fois que je m’étais retrouvé devant l’objectif d’un appareil photo ce fut un désastre. C’était au cours d’une fête champêtre et j‘étais assis sur une chaise de jardin, en ferraille, blanche, sous un cerisier. Tout autour de nous nos amis buvaient et discutaient. Un copain essayait son tout nouveau boîtier numérique et il prit beaucoup d’images. Le soir venu il me demanda qui était la personne derrière moi, qui avait les mains posées sur mes épaules. Il ne la connaissait pas. L’image, toute petite sur l’écran de son appareil, j’eus du mal à la comprendre ! Puis je reconnus, dans un léger flou de bougé, un ami très cher perdu depuis quelques jours… Que pouvais-je lui répondre sinon que je voyais souvent des visages dans les miroirs des pièces où je me savais seul ? Que pouvais-lui dire qui ne lui aurait pas immédiatement fait penser que j’étais un fou délirant ?
– Non je ne sais pas qui c’est.
– Mais c’est bizarre ! Regarde comme il pose ses mains ! C’est quand même quelqu’un que tu connais, non ?
– Nous étions très nombreux. Toi-même tu ne connaissais pas tout le monde !
– Oui, c’est vrai mais quand même…
Puis il se perdit dans la contemplation des autres photographies qu’il avait prise.
Dans ces miroirs où ma mère se tient très souvent, bien droite et souriante, tandis que j’essaye une nouvelle chemise, dans ces glaces où, dès fois, ils sont des dizaines à me regarder, venait maintenant de s’ajouter un autre ami aimé et disparu.
Je sortis de ma rêverie. L’automobiliste me parlait et je ne l’avais pas entendu.
– Excusez-moi, vous disiez ?
– Vous partez où comme ça ?
Il ne parlait certainement pas de la destination de mes rêveries intérieures mais, plus prosaïquement du but de mon voyage.
– Je vais passer une semaine au bord de la mer, vers Narbonne. Je reviendrais vers le 30.
– Et bien je vais vous laisser au prochain carrefour car je dois prendre l’autoroute… Alors bonnes vacances !
– Merci monsieur. J’espère que vous trouverez un photographe. Au revoir.
Caillou, 20 juin 2008
une très belle et douce manière de rendre un hommage, tout en parlant d’une profession en voie de disparition; j’espère que tu ramèneras de belles photos de voyage…
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