Le repas de fête s’éternisait. Les adultes aiment rester à table, se raconter mille choses, se disputer parfois. Ils boivent des cafés et des liqueurs. Les mères posent leurs pieds sur les chaises…
Et l’après-midi se passe ainsi.
Il faisait, dehors un temps de chien. La télévision, dans la salle à manger, n’était pas accessible. Les parents n’auraient pas aimé que son bruit se superpose au leur. Alors nous, nous sommes partis tous les 6 dans la chambre au fond du couloir, dans la chambre de Sébastien.
Six adolescents, allongés sur le lit, assis sur le fauteuil, le pouf, sur le tapis… Il y avait Sébastien, le plus jeune, son frère Olivier, les cousines Julie et Sarah, mon frère Bryan et moi. Je n’étais jamais rentré dans sa chambre, une chambre de garçon, au fond pas si différente de la mienne. Les posters aux murs parlaient de motos et de handballeurs, les miens montrent plutôt des petits chats et des chanteuses de soul, mais pour le reste entre le bureau neuf, l’étagère avec ses livres et la penderie, elles se ressemblent.
On ne se connaît pas très bien. Je suis proche de mes cousines bien sûr… Mais on ne se voit qu’une ou deux fois par an, à Labenne, et les garçons encore plus rarement. Nous ne savions pas quoi nous dire. Alors pour détendre l’atmosphère Sébastien a proposé un jeu.
– C’est le jeu de l’histoire à deviner. Vous le connaissez ?
Nous avons accepté. Nous étions même enchantés à l’idée de jouer.
– Il faut d’abord tirer au sort.
Il a sorti un dé et c’est moi qui fus désignée. Sébastien me demanda de sortir.
– Nous t’appelons dès que cela commence.
De l’autre côté de l’appartement, j’entendais les rires des parents, tous au salon, autour de la grande table de ce repas du premier de l’An. Après quelques instants dans ce couloir, Julie vint me chercher. Ils étaient tous assis et m’avaient laissé le pouf de libre.
– Alors voilà, Amandine, tu dois deviner une histoire en nous posant des questions auxquelles nous ne pouvons répondre que par oui ou non. Tu peux prendre tout le temps que tu veux.
Moi je réfléchissais.
– C’est une histoire vraie ?
Ils se regardèrent tous… Ils souriaient, mais ne savaient pas trop quoi répondre. Puis finalement Sébastien me dit
– Oui.
– Elle est arrivée à l’un d’entre vous ?
Il y eut un silence, avec des petits rires, puis plusieurs me répondirent que non.
– Elle m’est arrivée à moi ?
Je ne compris pas pourquoi ils se sont tous pliés de rire ! Et tous ensemble me dire que oui !
– L’année dernière ?
C’était une question un peu bête ,vu que nous étions le premier de l’an…
– Oui.
– L’automne dernier ?
– Non
– Cet été ?
– Oui !
Et là de nouveau, ils s’esclaffèrent.
L’été dernier j’étais en vacances dans les Landes, à Labenne, chez mes cousines. Si c’était une histoire vraie et qu’ils la connaissaient tous c’est que c’était Julie et Sarah qui l’avait racontée.
– Pendant les vacances, chez Sarah et Julie ?
Alors là ce fut l’explosion de rire ! Ils me firent signe que oui mais aucun ne pouvait plus me répondre tellement ils rigolaient. J’étais vexée ! Enfin Sébastien reprit un peu son calme…
– Oui !
Du coup je ne m’adressais plus qu’à lui. Les autres étaient incapables de me répondre.
– C’était à la plage ?
– Oui !
– Avec mon petit frère, avec Bryan ?
– Non !
Mon frangin, (c’est un crétin !), se marrait encore plus fort que les autres.
– Alors j’étais seule ?
– Oui !
– Comment tu le sais ?
– On ne peut te répondre que par oui ou non donc je ne peux pas répondre à cette question.
– Mais il y avait Julie ?
– Oui.
– J’étais seule et il y avait les cousines ?
– Non
– Seulement Julie ?
– Oui
Je n’y comprenais plus rien. Julie était là, mais j’étais seule ? Cette histoire n’avait ni queue ni tête. L’été dernier, sur cette plage des Landes, j’étais souvent avec un garçon, Arnaud, qui habite leur ville, un copain de collège de Sarah… En fait j’étais très amoureuse de lui ! Je le trouvais très beau, intelligent. Nous avions flirté. Il m’avait embrassée… Pas si souvent car il y avait toujours mon petit frère ou mes cousines pour nous accompagner ! Et puis à la fin des vacances, nous avions été séparés, et j’étais très triste de repartir. Heureusement qu’il avait, depuis, souvent téléphoné à la maison et qu’il m’écrivait par mails des lettres très sympathiques. Ce qui prolongeait en plein cœur de l’hiver les moments si beau de l’été dernier… Alors si j’étais sur cette plage… C’était avec lui ?
– J’étais avec Arnaud ?
– Non
Je ne comprenais plus rien. Ils se moquaient tous de moi. J’avais un peu envie de pleurer de leur jeu à la con ! Il n’y avait pas d’histoire du tout ! Et puis brusquement je crus deviner.
– Donc Julie était avec lui ?
Sébastien et tous les autres me regardèrent en riant.
– Oui.
Julie était toute rouge et elle pouffait de rire.
– Ils se baignaient ?
– Non
Mais s’ils ne se baignaient pas et qu’ils n’étaient pas avec moi, où pouvaient-ils être ?
– Sur la dune ?
– Oui
Et là, c’est tous les cinq qui me répondirent en hurlant de rire. Je les voyais tous en train de se foutre de ma gueule… Je réfléchissais… Julie est plus grande et plus belle que moi. Et puis elle vit à Labenne toute l’année…
– Il t’a embrassée ?
Julie ne pouvait plus me répondre tellement elle rigolait… Mais tous me dirent
– Oui
– Arnaud l’a embrassée ?
– Oui
– Pendant que j’étais sur la plage ?
– Oui
Sarah se leva d’un seul coup et dit
– Bon ça va là. On arrête ! Sébastien, tu lui expliques.
Mais moi je voulais savoir. Maintenant je voulais tout savoir !
– Tu as fait l’amour avec lui ?
Julie ne me répondit pas, Sarah ne riait plus du tout… Mais les garçons répondirent tous en chœur :
– Oui !
– Et depuis cet été ?
– Oui !
Il y eut des bruits de pas dans le couloir.
La porte s’ouvrit. C’était mes parents.
– Allez les enfants. On s’en va. Cela fait au moins une heure qu’on vous appelle !
Bryan me dit qu’il m’expliquerait tout plus tard. J’étais au bord des larmes, mais il me fallut le cacher à mes parents, rester digne devant les autres, devant cette garce de Julie !
Et ensuite tout alla très vite. On s’embrassa. Je me suis retrouvée à l’arrière de la voiture. Mon frère m’expliqua quand même la règle de ce jeu. Nous avions au moins deux heures de route pour rentrer à la maison. Et pendant tout le trajet, sous une pluie battante, derrière les vitres de la bagnole, je pleurais à cause d’un jeu si bête et qui m’avait rendue jalouse.
Caillou. 11 janvier 2007
Vous voulez connaître la règle de ce jeu ?