Je suis dérangé, encore une fois, par la sonnette de la porte d’entrée. Mais, cette fois ci, c’est décidé, je ne répondrais pas. Toute la nuit, ils ont hurlé dans l’appartement du cinquième. Les voisins criaient dans l’escalier. Les flics sont arrivés vers 3 heures du matin… Et je n’ai pas pu fermer l’œil.
Le carillon électrique recommence de plus belle et résonne dans le couloir. Mais, qu’on me foute la paix ! Je suis censé dormir ! Et si je ne dors pas c’est mon problème. Ils n’ont rien à savoir de ma vie, je ne me mêle pas de la leur. Et j’ai tout l’avant-dernier chapitre à relire ce matin. Je n’ai pas le temps pour faire la causette, ni avec la concierge ni avec la voisine de palier. Elles passent leur temps à papoter…
Mais c’est qu’ils insistent ! Ces imbéciles ! Dire que je vis dans cet immeuble minable pour payer la pension alimentaire époustouflante de mon ex. Bon. Tant pis ! Je range mes notes dans la chemise, sauvegarde mon travail sur l’ordinateur et me lève. Dans le couloir d’entrée, je les entends discuter derrière la porte.
– Il est là monsieur l’Inspecteur ! J’en suis certaine. Je n’ai pas quitté la cage d’escalier et je peux vous assurer qu’il n’est pas sorti ce matin !
Voilà maintenant qu’on frappe avec le poing sur la porte.
– Ouvrez monsieur. C’est la police !
Je me décide. Ils sont deux. Un homme et une jeune femme, tous deux en uniforme.
La pipelette est juste derrière eux.
– Vous voyez ! Je vous l’avais bien dit qu’il était là.
Et elle penche la tête pour regarder dans mon appartement.
Je me coince dans l’entrebâillement de demande au flic :
– C’est pourquoi ?
– Nous faisons une enquête de voisinage concernant le crime de cette nuit chez vos voisins du dessus. Nous avons quelques questions à vous poser.
Je m’écarte et les laisse entrer et je referme sur la mine dépitée de la bavarde.
Ils s’installent autour de la table de la cuisine, mais je n’ai que 2 chaises, alors l’inspecteur sort son calepin et son adjointe reste debout.
– Puis-je vous demander vos nom, prénom, âge et profession ?
– Tartempion, Jules, 58 ans, écrivain.
– Vous habitez ici depuis longtemps ?
– 3 ans.
– Connaissez-vous les Duchemin ?
– Non. Je devrais ?
– Oui, c’est vos voisins du dessus.
– On s’est croisé, rien de plus.
– Quels sont vos rapports avec eux ?
Depuis qu’ils avaient emménagé, il y à quelques mois, tout l’immeuble vibrait aux cris du mari, aux pleurs de l’épouse, aux hurlements des deux gosses. J’avais beau fermer toutes les écoutilles et ne me préoccuper que de moi et de mon travail, il y avait des coups dans les murs qui résonnaient dans toute la cage d’escalier, des cris de douleur qui vibraient dans la moiteur des soirs d’été, quand toutes les fenêtres sont ouvertes. Leurs disputes incessantes faisaient l’objet de tous les papotages inutiles des voisins qui encombraient l’entrée quand je descendais ramasser mon courrier dans le hall. La police était venue au moins dix fois et ils me demandaient quels étaient mes rapports avec ce couple ?
– Aucun.
– Vous n’avez rien entendu cette nuit et les jours précédents ?
Ils vont m’inculper de non-assistance à personne en danger ? Parce que je refuse d’écouter et de donner le moindre intérêt à ce qui se passe à l’étage au-dessus, au-dessous, devant, derrière et tout autour ? Qu’est ce qu’ils me veulent ?
– Que s’est-il passé que j’aurais dû entendre ?
– Votre voisin a étranglé sa femme devant les enfants. Mme Duchemin était décédée à notre arrivée dans les lieux. Ce matin, le mari dit qu’il était rentré tard, à la suite d’une sortie avec des collègues de l’usine, qu’il ne se souvient de rien, soutient qu’il était ivre. Nous voudrions confirmer l’heure de rentrée ?
– Tard.
– Avec des copains ?
– Je ne sais pas. Il y a toujours beaucoup de bruit chez eux et je dormais quand j’ai été réveillé.
– Est-ce que c’est habituel ?
– Permanent.
– M. Duchemin nous dit que sa femme le houspillait tout le temps quand il rentrait.
– Peut-être. Je ne sais pas. À vrai dire je ne l’entends pas tellement cette femme, sauf quand il la frappe. Mais comme je vous le disais, j’étais endormi quand il est rentré. Je sais que c’était tard, quand je me suis réveillé c’était vers onze heures, mais je ne peux rien dire sur ce qui s’est passé avant. D’ailleurs, je me fiche pas mal de ce qui se passe chez mes voisins…
– Et bien nous vous remercions Monsieur Tartempion. Nous allons continuer notre enquête.
Le flic était déjà levé quand sa collègue me demanda, en souriant :
– Qu’est-ce que vous écrivez Monsieur Tartempion ? Je suis une bonne lectrice et votre nom m’est inconnu.
– J’écris surtout des biographies.
C’est vrai que mon nom n’apparaît pas trop sur la jaquette des bouquins que je publie. C’est plutôt le nom de mes sujets : Gilles de Rais, Dracula, Landru, Petiot, l’Étrangleur de Boston… Le Petiot surtout a été un succès de librairie, tiré à 25 000 exemplaires. Et je suis quand même un peu vexé qu’elle ne me connaisse pas même si sa question me fait plaisir. D’un coup je ne suis plus un voisin, mais quelqu’un de plus important que ça.
– C’est passionnant ! Sur quel sujet travaillez-vous en ce moment ?
– C’est un peu secret. Mon éditeur ne veut pas que j’en parle, mais c’est, je l’avoue un sujet formidable.
– Oh ! dites-moi en un peu plus.
La jeune femme a un regard émoustillé. Même si son collègue s’impatiente, je vois bien qu’elle rêve de revenir me voir, en dehors des heures de service, pour que je lui montre mon travail… Peut-être pour que je lui dédicace un de mes livres. J’en suis tout fier.
– Je travaille sur la correspondance de Mme de C. qui raconte 13 années d’une vie conjugale épouvantable. Je suis sûr que vous serez passionnée par la vie de cette femme qui fut assassinée par son mari au XVIIe siècle. Il l’a étranglée devant ses enfants.
Caillou 12 novembre 2007
J’ai beaucoup aimé: La collecte des monstres, d’Emmanuelle Urien.
(http://www.emmanuelle-urien.org)
Pour se renseigner sur les violences faites aux femmes :
http://www.avft.org/
Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail
Un gros dossier sur les violences conjugales:
http://www.charente-maritime.pref.gouv.fr/etat/services/droitsfemmes/violence/violence_au_sein_du_couple.htm
Bonjour Caillou matinal!
dans ton texte, un parallèle:
entre la violence intra muros chez les voisins, et la violence d’intrusion à la porte de l’écrivain, les mêmes coups dans la porte et les murs.
et bien sur une contradiction: entre son refus de la vie réelle (l’écrivain dans sa tour d’ivoire) et son sujet de travail qui se recoupent.
Ce dernier point , permets moi de le contester: je crois qu’on ne peut écrire si on ne se frotte pas à la vie, au moins de temps en temps.