Vendredi dans la matinée.
Une grande salle plutôt large et peu profonde avec une baie sur toute la devanture.
Dehors la place du marché et les ruines de l’ex-supermarché qui n’a pas réouvert après l’explosion de l’usine AZF.
Le quartier HLM d’Empalot était un des plus pauvres et des plus sinistres de Toulouse ; situé dans une sorte d’impasse, au sud de la ville, coincé entre une rocade et la Garonne. Mais une Garonne à cet endroit particulièrement sale puisqu’elle vient de traverser toute la zone industrielle et ses usines dépotoirs. Le quartier, construit dans les années cinquante, s’était peuplé au fur et à mesure des vagues migratoires, d’abords espagnoles, italiennes, portugaises puis, dans les années soixante, maghrébines, africaines et maintenant turques, asiatiques…
La pauvreté, le chômage battant tous les records, une délinquance très forte, interne au quartier, due à des petites bandes adolescentes enrichies par les trafics en tout genre mais surtout ceux de shit et de la coke, un espace abîmé par la saleté, les tags, les poubelles partout et l’abandon des services publics, des feux parfois, allumés dans des caves, qui enfument et qui tuent les voisins au-dessus, tout cela rendait la vie impossible. Les blancs s’étaient enfuis n’y laissant que leurs vieux, leurs infirmes et tous ceux incapables de payer les loyers du secteur privé. Il y avait aussi quelques lieux essayant de survivre, une bibliothèque, un centre social, des éducateurs de rues, des bénévoles d’associations…
Il y a là les habitués du quartier, mais très peu de maghrébins. Eux n’y vont pas au bistrot. Ou du moins pas dans celui-là. On peut les voir plutôt en face au salon de thé à la menthe qui fait aussi les gâteaux orientaux. Et puis eux ne jouent pas, ou pas de ça et surtout pas ici. Les habitués sont des chômeurs qui viennent trouver ici un peu de lien social. C’est ceux qui rient trop fort, c’est ceux qui s’apostrophent. Les habitués ce sont aussi ces deux femmes qui reviennent du marché sur la place, ces quelques types aux trognes d’ivrognes, et ces 3 ou 4 personnes âgées assises aux tables.
Tout le monde, chômeurs, femmes, vieux, regarde l’écran du RAPIDO.
Dans les mains le coupon magique qui va rendre riche, pour 1 euro.
Dans les mains tout l’espoir des pauvres.
Ils le triturent ce petit bout de papier coloré que la bonne femme rigolarde derrière le comptoir vient de leur vendre, il y a quelques instants.
L’écran du RAPIDO, comme un oracle, comme une des drogues du quartier, mais licite, mais approuvée par le gouvernement, va bientôt se mettre à bouger.
Toutes les cinq minutes, les chiffres s’affolent et s’immobilisent un par un… et les espoirs s’envolent.
Alors les pauvres se retournent, vont au guichet du comptoir et reprennent une dose d’espérance en même temps qu’un verre de rouge.
Caillou. Février 2007