Dans le coton

Dans le coton tout blanc… je n’y vois plus rien et j’entends à peine.
Juste un vague écho d’aspirateur dans un couloir au loin.

Dans le coton tout blanc, je ne me sens plus, plus de bras, plus de jambes, plus de peau… Je ne sens même pas le drap ou la toile qui me touche. Je ne sens rien.
Ai-je mal ? Faudrait faire le compte. Un par un voir ce qui va et ce qui ne va pas. Mais comment faire un inventaire sans voir et sans ressentir. Dans le blanc du coton, il y a comme une lueur plus forte, un peu, sur le côté. Peut-être une fenêtre? Dans une vague, très vague coloration du blanc, un peu plus froide peut-être, c’est certainement une fenêtre, vers la droite, mais comment le savoir ?

Et si je parlais ? Pourrais-je m’entendre ? Mais je n’en ai pas la force. Je crois que c’est bloqué. Il y a un poids sur ma mâchoire. Je sens tout le bas du visage écrasé, tenu, par un étau. Et bien tu vois bien que tu sens quelque chose ! Et ma langue, dans ma bouche ? Non je ne sens plus rien?

L’aspirateur s’est éteint ! J’entends une porte s’ouvrir et des pas nerveux qui s’approchent. Il y a quelqu’un, tout près de moi. Je me fais la réflexion (toute intérieure mais je ne peux pas rire) que finalement j’entends quand même. C’est rassurant ! Et j’entends une voix de femme qui me parle tout près. Elle a dû se baisser. Je dois être allongé. Va savoir. Monsieur, Monsieur, vous m’entendez ? Si vous m’entendez serrez un peu ma main… Il y a une main ? Où ça ? Et la serrer comment ? Et puis je sens, mais cela vient de loin, de très loin, comme quand mon père remontait de la cave avec les deux casiers de bouteilles qui bringuebalaient, un mouvement quelque part du côté gauche, en bas. Elle doit avoir pris ma main dans la sienne et attendre que je me manifeste…


C’est très bien, très bien, Monsieur. Je reviens tout de suite.

Et je l’entends partir en courant vers la gauche.
Elle sort de la chambre sans refermer la porte.
Dans le coton tout blanc où je gis en silence.
Elle appelle un interne, revient immédiatement.
Ne bougez pas, Monsieur. Ne vous affolez pas.
Je suis là près de vous.

Et elle reprend ma main.
Moi je m’appelle Alice.
Où donc est le miroir, le pays des merveilles ?
Je suis une infirmière.
Il faut vous retenir, m’écoutez, ne pas vous endormir.
Vous êtes aux urgences de l’hôpital Rangueil.
Ne vous endormez pas !

Et voilà le docteur. Je ne vois rien. J’entends autour de moi des gens qui s’agitent.
Préparez le cumulo, dégagez les nimbus !
Il a une voix ce type !
On l’embarque tout de suite ! Les stratos, on se grouille !
On me soulève d’un coup. Je suis dans une coquille.
Nettoyez-moi ce sang ! Le cirrus est-il prêt ? Oui monsieur…
Cela roule, j’entends des claques aux portes et dans mon coton blanc
la voix d’Alice à mon oreille :
Un moment d’équilibre,
C’est maintenant ou jamais,
mais nous allons ensemble
Vous sortir de là !

Caillou le 26 septembre 2007

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