La porte de la cave s’est ouverte lentement, pour ne pas grincer. Il est entré et a posé l’attaché-case sur un carton. Il a plié son pardessus et il s’est assis dans l’angle du mur et il a fermé les yeux. Par le soupirail, il n’y a que la lumière du réverbère de la rue, le jour n’est pas encore levé. Au loin, le train de 7h29 fait crisser ses freins dans la gare. Les voitures qui tournent l’angle de l’avenue se font de plus en plus fréquentes et l’immeuble s’ébroue. Il entend les bruits des pas qui descendent l’escalier commun, la porte d’entrée qui claque, les réveils qui sonnent, les radios qui s’allument dans les cuisines, les enfants qui déjeunent et les voix sourdes des parents qui les pressent.
Il fume sa première cigarette. Les mômes ont dévalé d’un seul coup les escaliers et sont partis vers l’école du quartier. D’autres pas, qu’il n’a pas reconnus, filent devant le soupirail et il entend le bus qui passe dans l’avenue. Le jour se lève et une vague lueur sale monte lentement. Les étagères qui courent sur le mur sont remplies d’outils, cartons de douilles et d’ampoules électriques, produits pour la voiture, vieux pots de peinture, des produits ménagers, cartons de papiers inutiles. Il y a aussi le vélo de Jean, celui avec des petites roues à l’arrière…
La concierge qui balayait devant la porte s’est interrompue au départ de Juliette et elles discutent toutes les deux, juste au-dessus du soupirail. Il entend parler de la vie qui est de plus en plus chère et des salaires qui ne bougent plus.
– Qu’est-ce que vous allez faire à midi ? demande son épouse et la pipelette lui répond : un petit-salé aux lentilles, ce n’est pas trop onéreux et cela tient bien au corps, surtout que la radio parle d’un retour du froid pour la fin de la semaine, et nous ne sommes qu’en février…
Il écoute la conversation qui s’éteint, les pas de Juliette qui s’éloignent. La concierge chante un peu toute seule. Il reconnaît vaguement une vieille chanson d’avant, quelque chose comme j’attendrai, le jour et la nuit, j’attendrai toujours, ton retour. Le boulanger qui passe fait tinter sa sonnette.
Quelque temps plus tard il ouvre son attaché-case et en sort le livre de management intuitif qu’il étudie en ce moment. C’est de l’américain traduit rapidement et les idées en sont comme déduites les unes des autres, enfilées sur un fil, sans qu’il y ait contradiction entr’elles. Un chemin du raisonnement qu’il lui faut parcourir, pas à pas, pour tuer le temps…
À midi les gamins rentrent de l’école et leurs rires, leurs appels, leurs gros mots chuchotés, leurs godasses réveillent tout l’immeuble.
La rue est maintenant déserte. Il fait un peu froid, mais le soleil a fini par percer et un de ses rayons pénètre dans la cave où il fait miroiter des milliers de grains de poussières dorés. Il mange une pomme et une barre de céréales. Il boit aussi dans une bouteille en plastique…
Après le départ des enfants l’après-midi s’étire, interminable. Il y a même un vrai moment de silence. Il dort un peu, le visage tourné vers la lumière dorée qui diminue petit à petit. C’est un coup du ballon contre le mur qui le réveille d’un coup. Il entend son fils et ses copains qui s’appellent dans la rue. Les plus grands se bousculent. Les encouragements aux uns et les ordres aux autres résonnent.C’est toute une furie de foot qui se met en place et c’est tout juste s’il entend encore la vieille dame du rez-de-chaussée, à droite, qui a peur pour ses carreaux.
Il est debout, contre le mur, juste en dessous et il fume sa dernière cigarette blonde. Le paquet est écrasé, dans sa main. Un bruit dans le couloir.Il cache la lueur de la clope dans le creux de sa main. C’est le monsieur du troisième qui va dans sa cave après avoir été vider sa poubelle. Il l’entend fureter quelques instants puis la porte se referme et la lumière du couloir s’éteint. Il retourne s’asseoir sur le carton près de l’entrée. Dans le couvercle du bagage, il prend son gros agenda noir, celui qui va de septembre à septembre et il en tourne les pages une à une. Depuis la fin du mois de janvier elles sont vides.
La nuit est tombée. Les gamins sont montés faire les devoirs, mettre la table. Il y a encore quelques pas pressés qui tapent sur le trottoir. La télévision s’est mise en marche et il en entend les différents jingles dans les appartements au-dessus de lui. Il se lève. Il enfile son pardessus et il sort. Dans l’escalier on entend son pas lourd et le bruit du trousseau de clef.
– Bonsoir, chéri, tu as passé une bonne journée au bureau ?
et il lui répond que c’est de plus en plus dur avec le chef de service, qu’il craint la prochaine vague de licenciements, mais que, aujourd’hui c’était bien. Elle l’embrasse. Jean court dans le couloir. Juliette s’esclaffe et lui dit:
– J’ai préparé un petit-salé aux lentilles. Nous allons nous régaler tous les trois.
Caillou 1992
Au départ une idée de scénario pour un film.
<p><p>Qu’est-ce que tu attends pour écrire un livre? Je te l’ai dit cent fois, mais tu n’as pas confiance en toi. Si tu attends la perfection pour t’y mettre, bien sûr tu n’y arriveras jamais. Tu as du talent, du coeur, de l’imagination, de la créativité. Ecris et présente ton texte à l’éditeur. Nous on veut des choses simples de la vie qui nous fassent rire et pleurer. Le texte sur le petit salé est super. Continue. Bises Gaby</p></p>
Dans tous tes textes, les images sont là d’emblée, les sons, l’épaisseur même de l’air, les odeurs des corps, des matières ; on entre direct dans la cuisine ou la chambre, sans passer par le couloir!
Merci de ton regard sensuel, précis, souvent désenchanté et tellement humain.
Bises de Christine